L’école de Chicago comme référence, Approche socio-ethnographique

L’école de Chicago comme référence, Approche socio-ethnographique

4. L’école de Chicago comme référence

L’expression «Ecole de Chicago » regroupe un ensemble de travaux de recherches sociologiques conduites entre 1915 et 1940, par des enseignants et des étudiants de l’université de Chicago. C’est en 1930, lorsque Luther Bernard présente les différentes écoles de sociologie existantes, que l’on utilise pour la première fois ce terme.

Ce courant de pensée ne se révèle pas homogène, appliquant une approche théorique commune, pourtant, l’Ecole de Chicago offre plusieurs caractéristiques lui donnant une certaine unité et une place particulière et distincte dans la sociologie américaine.

Ce qui la distingue des recherches sociologiques précédentes est sans doute son côté empirique, qui va marquer un impact dans ce type de recherche. En effet, les chercheurs vont essayer de produire des connaissances utiles au règlement des problèmes sociaux concrets.

Nous sommes donc, ici, en présence d’une sociologie urbaine qui a produit un nombre impressionnant d’études, sur les problèmes que la ville de Chicago rencontrait alors149. Pourtant, elle s’est surtout penchée sur un problème politique et social majeur qui concernait à l’époque toutes les grandes villes américaines, l’immigration et l’assimilation des millions d’immigrants à la société américaine.

D’autre part, l’autre contribution des chercheurs de l’Ecole de Chicago a été le développement de méthodes originales de recherche. En effet, ils ont utilisé de façon scientifique des documents personnels, avec un travail sur le terrain systématique et une exploitation de sources documentaires diverses. Et ce sont ces méthodes qualitatives qui vont se développer et être à la base d’une nouvelle forme de sociologie.

Nous ne reviendrons pas ici sur l’historique de l’Ecole de Chicago150, nous nous intéresserons plutôt aux méthodes d’investigations de ce courant qui restent à la base de notre propre démarche de recherche.

On peut donc dire que le travail de l’Ecole de Chicago est caractérisé par une démarche empirique qui se propose d’étudier la société dans son ensemble. En effet, ces recherches se penchent sur la connaissance pratique directe. H Becker explique la perspective de recherche de ce courant comme suit :

« Pour comprendre la conduite d’un individu, on doit savoir comment il percevait la situation, les obstacles qu’il croyait devoir affronter, les alternatives qu’il voyait s’ouvrir devant lui ; on ne peut comprendre les effets du champ des possibilités, des sous-cultures de la délinquance, des normes sociales et d’autres explications de comportement communément invoquées, qu’en les considérant du point de vue de l’acteur151 ».

Cette conception de la recherche ne peut se mettre en place sur le terrain que grâce à des techniques regroupées sous le terme de «sociologie qualitative ». On utilise d’une part des documents privés comme des autobiographies, le courrier privé, les journaux, les récits faits par les individus.

On s’oriente aussi sur un travail de terrain que les chercheurs appellent aussi étude de cas, qui va s’appuyer sur diverses techniques comme l’observation, l’interview, le témoignage, ou encore sur l’observation participante, technique qui nous intéresse plus particulièrement pour la suite de notre travail et que nous allons donc étudier.

Il faut cependant noter que ce courant a aussi développé des recherches plus quantitatives, plus marginales, mais qui reste à l’origine de la sociologie américaine à partir de la seconde guerre mondiale.

Entre 1921 et 1931, une quinzaine de recherches sont menées sur un aspect de la vie urbaine, par des étudiants inscrits en thèse sous la direction de Park. Les méthodes utilisées alors, sont peu structurées et peu réfléchies.

Pour choisir une méthode, il faut d’abord choisir une théorie. A cette époque, on retrouve beaucoup de postures méthodologiques interactionnistes, nécessitant de prendre en compte le rôle de l’acteur et voir son monde de son point de vue. Ces recherches prennent alors appui sur diverses formes d’observations participantes.

Certains courants ethnographiques adoptent même la position d’immersion dans son terrain. L’observation in situ est donc utilisée par les chercheurs, dans un cadre universitaire, pour étudier des populations qui restent socialement très éloignés du chercheur. La description de l’étranger par Simmel152 va rester longtemps un modèle dans la description de la position de l’observateur.

Pourtant, ce sont des sociologues comme Hughes153 ou Blumer154 qui vont permettre d’orienter l’observation in situ comme moyen d’investigation. Celle-ci consiste en une observation personnellement menée et de manière prolongée des situations ou des comportements auxquels le chercheur s’intéresse.

C’est dans les années trente que le travail de terrain trouve des contours plus précis. L’université de Chicago fournit un cadre institutionnel et intellectuel, ce qui permet un rapprochement de l’anthropologie et de la sociologie.

Blumer155 a largement contribué au développement de ce type de recherches, fournissant un cadre et des justifications à caractère épistémologique, dans une période où la recherche de terrain n’avait pas encore vraiment de statut scientifique.

En effet, de nombreuses critiques, accompagnées d’une dévalorisation de l’observation directe comme recueil de données, jugent négativement les recherches poursuivies à l’Ecole de Chicago.

Pourtant, durant toute cette période de critiques, Blumer s’attachera à défendre le travail de terrain, sans vraiment remettre en cause les autres méthodologies.

Tout ceci n’empêchera pas certains sociologues formés à d’autres écoles d’utiliser l’observation (Whyte156 ou Gouldner157).

C’est à partir des années cinquante, que des chercheurs utilisant le travail de terrain, publient des comptes rendus des conditions dans lesquelles ils ont mené leur recherche.

Ils exposent les problèmes pratiques, permettant d’une certaine façon de montrer la validité de leurs analyses.

Ils parlent du besoin d’approprier les modes de relations avec la population étudiée, de la difficulté de construire des catégories d’analyse et enfin, des problèmes de validité de la documentation recueillie.

Parallèlement, les comptes rendus de recherche deviennent plus précis. En fait, l’intérêt pour les significations vécues par les agents a pour conséquence de ne pouvoir définir à l’avance des propositions précises, mais de constituer la thématique au fur et à mesure de la collecte des données. Schatzman158, Strauss159 ou Becker160 font partie de ces chercheurs de terrain qui se sont vus accusés d’empirisme par des personnes méconnaissant la situation des chercheurs de terrain.

Comme nous l’avons vu plus haut, la recherche de terrain, entre 1945 et le milieu des années soixante, ne constitue pas un ensemble unifié.

En effet, on peut distinguer deux groupes de conception de travail.

Le premier attribue à l’observation une visée principalement descriptive, sous tendue par une tradition de l’anthropologie culturelle (Spradley161, Wax162, Hughes163 et certains essais de Blumer164).

Le second considère cette démarche comme un moyen de recueillir des données, nécessaires à l’objectivation des activités et expériences vécues, le degré de participation restant déterminé par le sujet étudié et le chercheur.

Nous nous situerons plutôt dans la première, avec un souci d’expliciter les différentes étapes du travail de terrain, en ayant toujours une attitude réflexive par rapport à celui-ci, rejoignant en quelque sorte la démarche de Hughes.

Ainsi, nous tenterons de nous inscrire dans la tradition de chercheurs comme Becker165, Roy166, Dalton167 ou Gold168 qui ont tous su, par une grande systématicité de leur documentation et par le caractère explicite de leurs comptes rendus, se centrer sur un thème étroit, examinant un aspect d’une situation sociale.

L’ensemble des recherches de terrain ne débouche pas sur une théorie définie, mais permet de monter un cadre d’interrogation, ne réduisant pas le travail du chercheur à la simple vérification d’une hypothèse préalablement formulée. Le résultat de la recherche prenant alors la forme d’un ensemble de notions et d’une liste de questions.

Car enfin, comme le remarquait Hughes, «ce que vous pouvez emprunter à …(Durkheim, Park, Weber, Simmel)…c’est une formulation des problèmes généraux, un ensemble de concepts et quelquefois des hypothèses et des idées qui permettent d’enrichir votre pensée et qui suggèrent des méthodes pour résoudre des problèmes qui vous préoccupent »169.

Il reste à noter qu’à la fin des années soixante, on rencontre deux groupes de chercheurs de terrain, l’un constitué par des anthropologues urbains contraints d’abandonner leurs domaines de recherche traditionnelle (l’ethnologie), l’autre se référant à la phénoménologie. Ces deux groupes usant pourtant d’une analyse du rapport de l’observateur à son objet, abandonnant l’idée que les descriptions sont indépendantes du point de vue du chercheur.

On peut ainsi se référer aux recherches de Paul-Henry Chombart de Lauwe qui au travers de ses travaux170 explore la société urbaine en dressant des hypothèses, mais aussi en amorçant des solutions. Il exploite, ainsi, de nouvelles méthodes et remet en question les relations entre les planificateurs urbains et les chercheurs.

Ainsi, la recherche urbaine a évolué et changé avec la société et ses besoins, il reste donc intéressant de comprendre cette évolution et d’observer la situation actuelle dans nos villes au travers des différentes approches.

5. Conclusion.

On peut donc, au travers de cet exposé, mieux comprendre le choix d’une approche socio- ethnographique en sciences de l’éducation. Aller voir sur le terrain, pour pouvoir saisir ce qui s’y joue vraiment, reste important dans la compréhension réelle des sociétés étudiées.

Les sciences de l’éducation, discipline en constante évolution, sont prêtes à ouvrir leurs champs de recherche. L’ethnographie peut être une manière de mieux saisir les terrains de ses recherches. Cette méthode a déjà été employée pour comprendre la jeunesse dans la ville, au travers de ses tentatives d’insertion, par des chercheurs comme Laurence Roulleau-Berger à laquelle je me réfère pour mes recherche futures.

La jeunesse se retrouve au centre d’enjeux au sein d’actions publiques, démocratique et professionnels. L’interroger ou questionner son entourage ne suffit pas à saisir cette génération.

En effet, j’ai pu constater au travers de ma mini recherche de maîtrise, que l’approche ethnographique permettait de voir des événements quotidiens que personne ne jugeait suffisamment importants pour les prendre en considération. Pourtant, ils peuvent aider à mieux comprendre comment la jeunesse d’aujourd’hui cherche à se faire une place et comment l’adulte et ses institutions ne saisissent pas toujours les enjeux sociaux de ce combat pour l’avenir.

Mettre en place une telle recherche signifie donc de tenter d’éclairer la société sur sa jeunesse, mais aussi, d’apporter de nouveaux savoirs et de nouvelles réflexions qui inciteront peut-être à s’interroger de façon plus objective sur la jeunesse et son avenir.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La jeunesse et le rap, Socio-ethnographie d’un espace intermédiaire
Université 🏫: Université Paris X - UFR SPSE - Département des Sciences de l’Education
Auteur·trice·s 🎓:
Alain VULBEAU

Alain VULBEAU
Année de soutenance 📅: 1999-2000
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