Le processus d’innovation en mode et les nouveaux produits mode

1.2.3 Les modèles de développement de nouveaux produits
De façon générale, les activités reliées au développement de nouveaux produits peuvent être séparées en trois grandes étapes : (1) les activités de pré-développement, qui comprennent la découverte et la sélection des idées, l’identification des besoins et l’évaluation préliminaire des ressources techniques, financières et commerciales, (2) les activités de développement, qui concernent le développement physique du produit, et (3) les activités de post-développement, qui touchent le lancement final du produit sur le marché (Cooper et Kleinschmidt, 1995).
Au fil des ans, les modèles de développement de nouveaux produits proposés dans la littérature ont subi de fréquentes mises à jour. Cooper et Kleinschmidt (1995) les répartissent en trois grandes catégories, à savoir les modèles séquentiels (e.g. Himmelfarb, 1992; Urban et Hauser, 1980), les modèles à chevauchement de phases (overlapping) (e.g. Erhorn et Stark, 1994; Rosenthal, 1992) et les modèles de passage d’étape (stage gate) (e.g. Cooper, 1990). Selon le premier modèle, les produits se déplacent séquentiellement dans le processus de production en traversant une série d’étapes définies. À chaque étape, tous les procédés doivent être complétés avant que les produits ne puissent passer à l’étape suivante. Cette approche présente plusieurs lacunes. Entre autres, elle n’intègre les fonctions marketing seulement lors des étapes finales de production, ce qui peut résulter en un produit inadapté au marché, elle n’encourage pas la communication entre les fonctions et elle est relativement lente (May-Plumlee et Little, 1998). Le second modèle naît d’une volonté de répondre à quelques- unes de ces faiblesses. Ce modèle est encore séquentiel, mais les étapes de production peuvent cette fois se dérouler simultanément dans plusieurs départements, ce qui s’avère plus rapide et efficace (Rosenthal, 1992). Quant au troisième modèle, il s’avère une évolution du modèle précédent en ceci qu’il fait précéder chacune des étapes d’une phase d’évaluation gérée par les gestionnaires seniors, lesquels sont responsables de poser une réflexion sur la poursuite du processus, favorisant ainsi un plus grand succès au moment du lancement du produit (Cooper, 1990). Cette approche n’est toutefois pas parfaite. Par exemple, le processus est susceptible d’être suspendu lors des phases d’évaluation si toutes les tâches requises ne sont pas complétées, nuisant ainsi à la poursuite du développement. Comme solution, Cooper (1994) introduit le modèle de développement de troisième génération (Third Generation Process), lequel jouit d’une plus grande flexibilité grâce à la combinaison d’étapes simultanées et de phases d’évaluation floues, permettant ainsi, par exemple, à un produit d’avancer à l’étape successive de production à condition que certaines tâches soient éventuellement complétées. En somme, dans beaucoup de milieux, le modèle séquentiel semble aujourd’hui laisser sa place à une approche plus participative, où les fonctions manufacturières se sont notamment intégrées aux fonctions de design (Cooper et al., 2003).
1.2.4 Le processus d’innovation en mode
Dans le vêtement, il existe différents modèles de développement de nouveaux produits. Dans la plupart des cas, ceux-ci sont de type séquentiel (e.g. Burns et Bryant, 1997; Sadd, 1996), quoique certains des auteurs rappellent que la réalité ne l’est pas tout autant. Le modèle de Gaskill (1992), validé par la suite par Wickett, Gaskill et Damhorst (1999), ajoute des facteurs d’influence internes et externes et s’avère l’un des rares à incorporer quelques éléments de simultanéité, mais ce dernier fournit peu de détails à cet égard. En intégrant les informations provenant de recherches précédentes, de présentations professionnelles, de documentaires et de discussions avec des spécialistes de l’industrie, May-Plumlee et Little (1998) élaborent le modèle de développement de produit à phases cohérentes sans intervalle (no-interval coherently phased product development). Ce modèle, divisé en six phases, fait ressortir pour chacune d’elles la nature de l’implication des fonctions de marketing, de marchandisage, de design et développement, et de production, soutenant ainsi la vision d’intégration mise de l’avant par Cooper et al. (2003).
Le développement de nouveaux produits dans le vêtement diffère visiblement de celui rencontré dans les autres secteurs d’activité. D’abord, les produits sont développés selon une logique saisonnière et sous la forme de collections plutôt qu’individuellement. Une collection peut représenter plusieurs catégories de produits, lesquelles doivent être gérées simultanément durant le processus de production. Puisque le résultat de ce processus est multiple, ce dernier augmente en complexité (May-Plumlee et Little, 1998). De plus, parce que plusieurs collections doivent généralement être produites au cours d’une année, certaines d’entre elles peuvent se retrouver à des étapes différentes du processus de production en un temps donné, de sorte que les processus se chevauchent par nature (May-Plumlee et Little, 1998). Par exemple, pendant qu’une collection est en développement, la collection précédente peut être en phase de production et une troisième, à l’étape de vente (Burns et Bryant, 1997). Enfin, les stratégies mises de l’avant pour développer tout produit d’une collection de vêtements se différencient de celles sous-tendant le développement d’autres types de produits. En effet, le développement d’une ligne de vêtements peut non seulement découler de designs originaux, mais également reposer sur l’imitation, la modification de produits existants, le développement en commun ou une combinaison de ces sources (Glock et Kunz, 1995), ce qui en fait une activité unique.
Par ailleurs, le développement de collections de vêtements ne s’effectue pas en vase clos. L’innovation appliquée à un produit de cette nature repose sur un large réseau intégré de partenaires et d’intermédiaires que Simoni (2003) appelle filière fibre-textile- vêtement. Saviolo et Testa (2002) mettent d’ailleurs ce réseau en lumière lorsqu’ils identifient les sources d’influence à la base des tendances saisonnières suivies par les marques de mode. Pour les auteurs, les sources sont multiples :
* les bureaux de style, qui proposent des tendances dérivant de l’interprétation et de l’anticipation des goûts des consommateurs,
* les producteurs de fibres, qui exposent leurs nouveautés deux ans avant qu’elles se retrouvent sur le marché,
* les producteurs de tissus, qui présentent généralement leurs produits dans les foires spécialisées.
Le Pechoux , Little et Istook (2001) ajoutent que les tendances peuvent concerner des secteurs connexes, comme les chaussures, les accessoires et l’ameublement, d’autres industries, comme celles touchant le monde du divertissement, des sports, de la musique ou de l’automobile, ou plus largement des mouvements culturels, sociaux, technologiques ou économiques. À l’échelle internationale, il existe d’ailleurs des experts en tendances qui publient régulièrement des analyses à mi-chemin entre la sociologie et le marketing (Saviolo et Testa, 2002). Parmi celles-ci, on compte notamment Naisbitt, Toffler et Popcorn aux États-Unis, l’Institut RISC en France et GPF & Associati et Trend’s Lab en Italie. Ces informations viennent donc compléter les analyses internes effectuées parallèlement par les griffes.
1.2.5 Les particularités des griffes
En somme, le processus de développement de nouveaux produits en mode implique la collecte et l’analyse d’une variété de sources d’influence qui s’ajoutent aux informations relatives aux ventes du marché et de la marque, puis la révision d’idées appliquées aux tissus, styles et prix des produits (Le Pechoux, Little et Istook, 2001). Pour Barrère et Santagata (2005), le modèle actuel d’innovation dans le vêtement se veut à l’écoute du marché :
Si le créateur était plus proche de l’artiste dans le modèle de la haute couture (Cristobal Balenciaga et son atelier), dans celui de la mode démocratique qui lui succède, il est en revanche plus proche du designer (Martin Margiela) et il est, en tendance, plus intégré dans une création collective qui prend en compte le marché (Barrère et Santagata, 2005 : 50).
Dans le cas des griffes et du prêt-à-porter, Simoni (2003) nuance toutefois cette idée et souligne que la créativité des designers est libre des lourdes contraintes provenant des forces externes. Selon l’auteur, contrairement aux marques de vêtements de masse qui utilisent fortement les chiffres de ventes passés et offrent un milieu créatif empreint de contraintes, les griffes sont davantage tournées vers le futur et offrent une grande indépendance aux designers. Munis d’un pouvoir d’influence considérable sur la direction des collections, ces derniers sont invités à appliquer librement leur créativité à l’interprétation de l’humeur de leur marché cible afin d’y répondre par des créations uniques, hautement individualisées et différenciées de l’offre des concurrents.
Vu le rôle central occupé par le designer au sein de la griffe, il est intéressant de rendre compte de ses responsabilités. Seul capable d’intervenir stratégiquement sur les aspects immatériels qui unissent le produit et le consommateur, le designer doit faire figure de faiseur de tendance (trendsetter), c’est-à-dire anticiper et créer la tendance, concevoir et diriger l’offre globale de produits, rendre reconnaissable à travers un fil conducteur commun les produits des différentes catégories, développer simultanément et faire coexister la continuité (du style) et l’évolution (expressive), de même que donner le mot final sur l’image d’une collection et l’image publicitaire (Giannelli et Saviolo, 2001).
Par ailleurs, Saviolo et Testa (2002) rappellent que les griffes ont avantage à mettre de l’avant, lors du développement saisonnier des collections, une identité stylistique propre prenant racine dans les codes permanents de la griffe et pouvant être reliée aux formes, matériaux, détails et types de produits favorisés (e.g. la robe-chasuble colorée de Missoni, les couleurs douces et les coupes décontractées de Giorgio Armani et le nylon de Prada). Pour les auteurs, l’identité stylistique forme, avec l’histoire, l’identité de détail et l’identité visuelle des griffes, l’identité de marque, particulièrement importante dans une industrie où les dimensions symboliques et évocatrices des produits dominent les aspects techniques et fonctionnels.
Lire le mémoire complet ==> (Cette collection de prêt-à-porter est-elle un succès ?)
Le regard des griffes internationales sur la performance
Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de maître ès sciences (M.Sc.)
HEC MONTRÉAL – Sciences de la gestion (marketing)

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