Unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait

L’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait – Chapitre second :
257. – Il est désormais temps pour nous de mettre en adéquation la classification de ces institutions, avec le fond du mécanisme qu’elles mettent en œuvre. En effet, eu égard aux propos précédents, nous avons tenté de montrer que la gestion d’affaires, comme la société créée de fait présentaient une logique similaire, de nature à rendre possible leur unification. Mais celle-ci est-elle souhaitable ? La réponse nous semble devoir être affirmative, du fait du constat selon lequel la distinction de ces deux mécanismes engendre des incohérences (Section 1), dont certaines pourraient être résolues par leur unification (Section 2).
Section 1 : Les incohérences engendrées par la distinction entre gestion d’affaires et société créée de fait
258. – Il est un fait établi que personne ne contestera, qui tient à ce que la gestion d’affaires, comme la société créée de fait, sont des notions controversées. Il s’agit donc ici pour nous de faire l’état des critiques qui fusent à leur égard. Or, s’agissant de la gestion d’affaires, c’est par l’intermédiaire de la contestation de la notion de quasi-contrat à laquelle elle appartient, que celles-ci l’atteignent (§1). Les critiques sont par ailleurs tout aussi importantes s’agissant de la notion de société créée de fait (§2).
§1) Les critiques adressées à la notion de quasi-contrat
259. – Les critiques adressées à la notion de quasi-contrat tiennent pour l’essentiel à son existence. En effet, si au terme de multiples controverses, la doctrine était parvenue à dresser une vision unitaire du quasi-contrat (A), sa pertinence actuelle semble incertaine (B).
A) La notion de quasi-contrat
260. – La question de la notion de quasi-contrat est assurément l’une de celles qui a le plus habité l’esprit des juristes, de par le passé226, et jusqu’à nos jours. En effet, la description générale du quasi-contrat offerte par l’article 1371 du Code civil semble, dans ce cadre, peu éclairante. Les quasi-contrats y sont dépeints comme les « faits purement volontaires de l’homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties. » La formulation ainsi adoptée par les rédacteurs du Code civil apparaît alors dans son excessive généralité, faisant obstacle à une délimitation opératoire du quasi-contrat. Partant de ce constat, la doctrine a donc très tôt compris que l’éclairage ne saurait venir du texte, pour proposer des théories détachées de sa stricte lecture exégétique.
261. – La difficulté est encore accentuée, en l’occurrence, par le fait que l’on ne saurait requérir l’arbitrage de l’histoire, par l’étude de la genèse de cette institution. En effet, il est notoire que les romains abordaient les obligations naissant quasi ex contractu, qui engendreront par la suite les quasi-contrats, sous l’angle casuiste qui leur est caractéristique, sans jamais être parvenus à fédérer l’ensemble de leurs composantes autour de traits communs. Il s’agissait alors uniquement d’une « catégorie intermédiaire »227 entre le contrat et le délit, qui était appréhendée « négativement : ce n’est pas un contrat, car il n’y a pas à son origine de rencontre des consentements et ce n’est pas un délit, car le fait qui en est la cause n’est ni prohibé, ni dommageable. »228 C’est donc a posteriori que l’unité a du être recherchée. Le champ était ainsi largement ouvert à la controverse doctrinale, et les auteurs ont alors émis diverses propositions pour en faire part, dont nous ne recenserons que les principales.

226 Les auteurs font remonter la controverse au mouvement de redécouverte du Droit romain au XIIIe siècle : V. à ce propos, E. Terrier, La fiction au secours des quasi-contrats, ou l’achèvement d’un débat juridique, D. 2004 p. 1179, n°31 ; Ph. Le Tourneau, Répertoire Civil Dalloz 2008 v° Quasi-contrat, n°4 ; J. Honorat, Rôle effectif et rôle concevable des quasi-contrats en droit actuel, RTD. Civ. 1969 p. 653.

227 E. Terrier, La fiction au secours des quasi-contrats, ou l’achèvement d’un débat juridique, D. 2004 p. 1179, n°28.
262. – Certains auteurs se sont tout d’abord attachés à cerner le quasi-contrat par une dynamique de rapprochements avec le contrat229. La notion de quasi-contrat résiderait dans la correspondance pouvant être établie entre ses composantes et certains contrats nommés du Code civil, la seule différence entre eux étant liée au fait que dans le cadre du quasi-contrat, ferait défaut l’existence du consentement des parties à l’origine des effets de Droit engendrés : la gestion d’affaires prendrait alors les traits d’un quasi-mandat, pendant que la répétition de l’indu ferait figure de quasi-prêt de consommation. En définitive, poussée à son paroxysme, cette conception conduirait à voir dans le quasi-contrat un contrat fictif. Mais si cette position était tenable dès lors que la liste des quasi-contrats se limitait aux deux exemples qu’en offre le Code civil, les choses ont changé par l’avènement de l’enrichissement sans cause en suite de l’arrêt Boudier de 1892230. En effet, on ne peut, le concernant, établir aucune correspondance avec un contrat nommé consacré par ledit Code231. Par ailleurs, on peut remarquer en quoi cette position apparaît comme étant davantage descriptive qu’explicative, montrant par-là que le recours à la fiction de consentement n’est pas adapté, et ne constitue ainsi qu’une justification par défaut.
263. – Une autre conception s’y opposait, assimilant l’obligation née du quasi-contrat à une obligation légale imposée pour des raisons d’Equité. Or, l’un des plus célèbres défenseurs de cette position fût Planiol. En effet, l’éminent auteur s’avérait très critique de la classification des sources des obligations opérée par le Code civil à travers la distinction des contrats, quasi-contrats, délits, quasi-délits, et de la loi. Selon lui, il serait ici plus exact de marquer une opposition entre le contrat et la loi, qui formeraient les deux seules sources envisageables d’obligations. Il a ainsi consacré un Chapitre de son Traité élémentaire de Droit Civil à cette question, afin de détailler sa vision des choses.

229 V. en ce sens Demolombe, op. cit n°53, supra n° 152: « Un quasi-contrat, mais c’est quasi un contrat ! En voilà suivant nous, la vraie traduction ».

230 Cass. Req 16 juin 1892.
231 Néanmoins, malgré ce grief, certains auteurs ont pu chercher à revenir à cette perception de la notion de quasi-contrat : V. J. Honorat, op. cit n° 25 où l’auteur propose une définition du quasi-contrat en énonçant « entendre par là une obligation imposée, mais qui crée néanmoins entre les personnes auxquelles elle incombe une relation juridique et matérielle semblable à celle résultant d’un contrat déterminé. »
264. – Or, il nous paraît nécessaire d’en faire mention ici, en ce que celle-ci déterminera la physionomie imprimée par lui s’agissant du mécanisme quasi-contractuel. Ainsi, l’auteur pose les bases de la summa divisio qu’il souhaite instaurer, en justifiant la position ainsi adoptée :
« dans le contrat, [écrit-il], la volonté des parties forme l’obligation : c’est elle qui en est la force créatrice, et qui en détermine à la fois l’objet et l’étendue ; le législateur n’intervient que pour sanctionner l’œuvre des parties en leur donnant une action, ou pour la surveiller en établissant des limites à leur liberté, au moyen de prohibitions et de nullités. En l’absence d’un contrat, la naissance d’une obligation ne peut avoir d’autre cause que la loi : si le débiteur est obligé, ce n’est pas parce qu’il l’a voulu, il n’y pense même pas, et le voulût-il, que sa volonté serait impuissante à le lier, puisque, par hypothèse, elle serait isolée, et ne répondrait pas à celle de son créancier ; si l’obligation existe, c’est donc uniquement parce que le législateur le veut. Donc, toutes les obligations non conventionnelles ont pour source la loi ; ce sont des obligations légales. »232 A ceci il ajoute que lorsque le législateur crée une telle obligation, c’est parce qu’il y a « dans la personne du créancier ou dans son patrimoine, une circonstance qui rend cette création nécessaire, et cette circonstance n’est autre qu’une lésion injuste pour lui, qu’il s’agit d’éviter, si elle est encore à l’état futur, ou de réparer, si elle est déjà réalisée. »233
265. – Or, une fois le principe de cette nouvelle distinction acquis, il s’attache ensuite à classer les quasi-contrats en son sein. A ce titre, il condamne d’abord toute forme de rapprochement d’avec le contrat, en ce que le quasi-contrat ne repose pas sur un accord de volonté, ce qui le sépare du contrat par une « différence essentielle »234. Par ailleurs, contrairement au contrat, la volonté de l’obligé est ici indifférente235. Par voie de conséquence, c’est donc dans le volet des obligations légales que doit s’insérer le quasi-contrat. Au soutien de cette thèse, Planiol ajoute qu’il en épouse la logique, puisque « quand on recherche le trait commun qui réunit tous les faits appelés quasi-contrats, l’obligation quasi-contractuelle apparaît comme provenant toujours d’un enrichissement obtenu sans cause aux dépens d’autrui, et dont il s’agit de restituer la valeur […] Un pareil enrichissement est, par sa définition même, un fait illicite, puisqu’il est sans cause ; […] Voilà donc les quasi-contrats, que la classification usuelle rapproche malencontreusement des contrats, transférés en quelque sorte à l’autre pôle du droit, et annexés à la classe des faits illicites : ce sont les faits illicites involontaires. »236
266. – Mais là aussi, cette thèse n’a pu perdurer car cette distinction établie entre le contrat et la loi a pu être considérée comme trop réductrice. En effet, toute obligation trouve sa source dans la loi, qui en reconnaît le principe, et à ce titre, les contrats comme les quasi-contrats sont logés à la même enseigne. Cette justification n’est donc pas pertinente, et il a fallu alors chercher ailleurs, sans pour autant rompre totalement avec l’héritage de Planiol.
267. – C’est au Doyen Carbonnier que l’on doit les bases de la notion de quasi-contrat traditionnellement enseignée aujourd’hui. Selon lui, au fondement des obligations nées d’un fait juridique, il y a l’idée de « rétablir, dans un patrimoine, un état antérieur que le fait juridique, par hypothèse, avait rompu. La rupture peut venir de ce qu’une brèche avait été faite à ce patrimoine, ou de ce que quelque chose, au contraire, y avait été versé en trop. »237
A la première hypothèse, l’auteur fait correspondre la notion de « fait juridique dommageable »238, faisant référence aux cas de responsabilité extracontractuelle. Le second cas quant à lui se voit rattaché au concept de « fait juridique profitable »239, comprenant en son sein les quasi-contrats. La catégorie des obligations quasi-contractuelles reposerait alors sur l’idée que celui ayant reçu injustement un avantage d’autrui doit être contraint à le lui restituer. On remarque ainsi que ce faisant, Carbonnier s’inscrit néanmoins dans la ligne de Planiol, en distinguant « les quasi-contrats spéciaux [la gestion d’affaires, et la répétition de l’indu], et l’enrichissement sans cause, théorie générale. »240
268. – Cette position a été reprise et approfondie par Mélina Douchy, donnant ainsi au quasi-contrat ses traits actuels241. Nous en avons déjà distingué certains éléments s’agissant de l’étude spécifique de la gestion d’affaires, mais il convient maintenant de le formaliser de manière générale. Selon cette analyse, la figure quasi-contractuelle trouverait à sa base le constat d’un appauvrissement spontanément consenti par une personne au bénéfice d’une autre et ceci sans que l’avantage corrélatif ne repose sur une cause justificative reconnue par le Droit. De ce fait, ce dernier serait alors conduit à réagir face à cet enrichissement indu pour des raisons d’Equité, par l’intermédiaire de ce mécanisme. Il s’agirait dès lors pour lui de rétablir l’équilibre préexistant entre les patrimoines des différents protagonistes à l’opération. Pour ce faire, le quasi-contrat aurait pour conséquence de faire naître des obligations visant à compléter ce « mouvement économique à l’aller »242, par un « mouvement économique au retour »243, dans le but d’effacer l’opération initiale en compensant la perte subie par l’appauvri244.
269. – Il s’agit donc ici de la notion de quasi-contrat majoritairement admise par les auteurs, dessinée au terme d’une nette évolution de la pensée doctrinale. Mais, il semble que cette notion se soit une nouvelle fois dérobée, du fait de l’évolution jurisprudentielle postérieure qu’a connu le quasi-contrat, si bien que le maintien de cette perception de ce mécanisme paraît actuellement incertain.
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Mémoire de fin d’études – Master 2 Contrat et Responsabilité
Université de Savoie Annecy-Chambéry

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