Le problème du chômage de la ville de Drummondville

2.2 Le problème du chômage

Dès décembre 1929, le chômage est identifié par les autorités municipales comme un des problèmes les plus importants à Drummondville. Le maire, lors d’une assemblée spéciale regroupant les membres du conseil de ville et des manufacturiers locaux, explique que la « situation […] est loin d’être bien attrayante pour bien des familles dont le chef ne peut trouver emploi nulle part et dont plusieurs sont acculés à une misère relative20. » Avant que paraissent, l’été suivant, les premières statistiques sur la situation du chômage, un indice concret rend compte de ce phénomène.

En effet, en février 1930, le conseil de ville demande à l’usine Celanese de construire une bâtisse pouvant abriter les nombreuses personnes qui y sollicitent chaque jour un emploi21.

En août 1930, une enquête du gouvernement fédéral estime à 120 le nombre de chômeurs résidant à Drummondville22. Ces chiffres sous-estimeraient cependant la situation réelle du chômage, plusieurs personnes n’ayant pas donné leur nom aux endroits indiqués à cette fin23.

D’ailleurs, les données de Recensement Canada (1931) indiquent un taux de chômage de 9,9%, ce qui correspond à 209 personnes sans emploi24. Au cours des années suivantes, peu de données quantitatives sont fournies sur le nombre de chômeurs à Drummondville. Des demandes de cartes d’identité, de secours directs et de paiement de loyers apparaissent dans les procès-verbaux du conseil de ville, mais elles ne sont pas présentes de façon aussi systématique pour toutes les années. Nous utiliserons ces données à titre indicatif dans le prochain chapitre. Les autres indices sont le plus souvent de l’ordre du discours et démontrent des contradictions qui les rendent peu fiables. Par exemple, les éditoriaux qui font un bilan de l’année dressent généralement un portrait positif de la situation de l’emploi à Drummondville. En 1932, le rédacteur écrit: « Contrairement à ce qu’on a vu ailleurs, les manufactures locales, sans aucune exception, ont continué de fournir du travail relativement en abondance25. »

19 Le journal rapporte les propos de la Revue du Québec industriel, qui donne à Drummondville le titre de la ville la plus industrialisée du Québec en raison de la proportion d’habitants qui travaillent dans les manufactures. « La ville la plus industrialisée au Québec », La Parole, 23 juin 1937, 12, 8, p.1.

20 « La question du chômage est mise à l’étude par nos autorités municipales et les manufacturiers », La Parole, 12 décembre 1929, 4, 7, p.17.

21 Procès-verbaux du conseil municipal de Drummondville, séance du 11 février 1930.

22 « Ouverture d’un bureau de placement en notre ville », La Parole, 28 août 1930, 5, 22, p.1.

23 Des individus auraient fait croire aux chômeurs que le gouvernement prenait leur nom pour les envoyer à la guerre. Idem.

Parallèlement à ces articles empreints d’optimisme, les demandes d’octrois que formule le conseil municipal à l’endroit des paliers supérieurs de gouvernement sont au contraire accompagnées d’une description négative du problème du chômage, l’idée étant de justifier l’aide financière réclamée.

Ainsi, toujours en 1932, lorsque le conseil de ville demande une aide supplémentaire pour des travaux publics, il affirme que « le nombre des chômeurs a plutôt augmenté au cours de l’hiver et qu’un nombre considérable d’hommes se trouvent sans aucune ressource et sans travail26. » La même année, les autorités municipales tentent d’obtenir une somme additionnelle pour des secours directs. Une fois de plus, elles insistent sur le nombre «!très élevé27!» de personnes sans emploi.

24 À titre de comparaison, au Cap-de-la-Madelaine, 35,3 % de la population est touchée par le chômage, à Chicoutimi, 28 %, et à Sherbrooke, 15 %. Gouvernement du Canada, 7e Recensement du Canada, 1931, vol. VI. Chômage, Ottawa, Imprimerie du Roi, 1934, p. 1269 et 1273, cité dans Micheline Martin, Drummondville: son développement et ses travailleurs 1925-1940, Drummondville, Société historique de Drummondville, 1984, p. 105.

25 « Une autre année s’achève », La Parole, 29 décembre 1932, 7, 40, p.3.

26 Procès-verbaux du conseil municipal de Drummondville, séance du 22 mars 1932

Malgré le peu de données et les discours contradictoires, certains indices permettent de constater un nombre de chômeurs grandissant. En décembre 1932, le journal local affirme que, pour ce mois, 120 familles ont bénéficié des secours directs (425 personnes dont six célibataires)28.

Nous pouvons présumer que les personnes sans travail sont alors plus nombreuses, puisque les bénéficiaires de secours directs ne représentent pas l’ensemble des chômeurs. Néanmoins, les chiffres présentés par le bureau de placement29 en juillet 1936 démontrent une hausse sensible du nombre de sans-emploi par rapport à 1932. Durant les mois d’avril, mai et juin, environ 1!500 personnes ont logé une requête à ce bureau, dont 455 hommes et 349 femmes en provenance de Drummondville30.

À quoi serait due l’augmentation du nombre de chômeurs durant ces années? Outre l’accroissement naturel de la population locale, qui fournit chaque année de nouveaux jeunes en âge de travailler, il faut noter le phénomène de la migration vers Drummondville de personnes à la recherche d’emploi.

Ce phénomène est d’ailleurs constaté dès 1930. En effet, le journal local mentionne alors qu’un «bon nombre» des chômeurs résident dans le grand Drummondville depuis seulement six mois31. Dans les premières années de la crise, ces nouveaux venus constituent une source constante de préoccupations.

Certes, le nombre croissant d’établissements industriels nécessite une main-d’œuvre importante. D’ailleurs, les autorités locales ne cherchent pas à stopper complètement la venue de ces migrants, mais plutôt à contrôler le flux vers Drummondville. Pour cela, les élus municipaux tentent notamment de réduire les publicités traitant de la bonne situation économique de Drummondville. Deux exemples sont particulièrement révélateurs. En décembre 1933, le journal l’Événement invite la ville à publier un article sur le développement industriel de Drummondville.

Le conseil refuse, puisqu’« un pareil article serait de nature à attirer un surcroît de population dans la ville32 ». Ce problème reste entier en 1934, puisque le maire Moisan demande aux visiteurs, tels que les voyageurs de commerce, « de ne pas parler en terme trop élogieux de l’abondance du travail à Drummondville. L’activité industrielle qui règne chez nous est peut-être vantée trop souvent à l’étranger et c’est pour cette raison que des familles nouvelles nous arrivent presque continuellement d’un peu partout33. »

27 Procès-verbaux du conseil municipal de Drummondville, séance du 25 octobre 1932.

28 « Secours donnés à nos indigents », La Parole, 12 janvier 1933, 7, 42, p.1.

29 Ces chiffres constituent un meilleur indicateur, chaque résident devant utiliser ce service pour obtenir un emploi dans une manufacture ou pour des travaux publics.

30 Les autres individus habitent à Saint-Joseph (353 personnes) et Grantham (221 personnes). « Le travail du bureau de placement », La Parole, 16 juillet 1936, 11, 12, p.1.

En fait, ces nouveaux chômeurs sont en nombre suffisamment important pour que des mesures soient prises pour les aider. Les repas servis à l’Hôpital Sainte-Croix à partir de 1931 en sont un exemple. Bien qu’il ne s’adresse pas uniquement à cette clientèle, ce service est utilisé essentiellement par les nouveaux venus.

En effet, les autorités locales, qui recommandent à cet hôpital tous les individus réclamant du secours au poste de police, constatent qu’il s’agit d’«!indigents dont la plupart [sont] des étrangers venus [à Drummondville] dans le but de trouver de l’ouvrage34.!» En août 1931, on dira même que la « totalité » des 96 repas ont été servis à des nouveaux arrivants35. Deux ans plus tard, le conseil de ville, qui fournit 0,30!$ pour chaque repas, décide de cesser cette pratique, puisque le gouvernement provincial ne veut plus participer à son financement avec les sommes allouées aux secours directs36. De janvier

1931 à décembre 1933, l’Hôpital Sainte-Croix aura servi entre 84 et 247 repas par mois37, pour un coût total de 1!311!$ (figure I). Certes, les mêmes personnes ont pu bénéficier plus d’une fois de cette mesure d’assistance. Néanmoins, l’aide offerte aux nouveaux résidents illustre la présence d’un phénomène de migration devant lequel les autorités locales sont appelées à réagir.

31 « Ouverture d’un bureau de placement en notre ville », loc. cit.

32 Procès-verbaux du conseil municipal de Drummondville, séance du 12 décembre 1933.

33 « Le travail à Drummondville », La Parole, 18 octobre 1934, 9, 27, p.1.

Vers la fin des années 1930, le regain économique que connaissent d’autres centres urbains grâce aux usines de guerre paraît avoir favorisé le départ des migrants vers d’autres lieux. En effet, en janvier 1939, l’éditorialiste de La Parole affirme:

«!Nous avons été chanceux que plusieurs familles étrangères, qui étaient venues s’établir ici au début de la crise, aient quitté notre ville38 ». En septembre de la même année, le rédacteur dit même craindre l’exode des familles ouvrières si le conseil municipal ne favorise pas la venue de nouvelles manufactures39. Il est difficile d’évaluer l’ampleur de cet exode, mais lorsque Drummondville profite enfin de la croissance liée à l’industrie de guerre, vers 1941, elle fait face au problème inusité du manque de main d’œuvre masculine.

34 « Notre ville recevra de la Commission du chômage un montant de 1,500$ en secours », La Parole, 12 mars 1931, 5, 50, p.1.

35 « Repas aux indigents », La Parole, 27 août 1931, 6, 22, p.1.

36 Procès-verbaux du conseil municipal de Drummondville, séance du 28 novembre 1933.

37 Ces données, fournies par le journal La Parole, ne sont pas présentées dans la figure I, puisqu’elles ne sont pas disponibles pour chaque mois.

38 « De nouvelles manufactures », La Parole, 12 janvier 1939, 13, 34, p.1.

39 « Que tous nos contribuables aillent voter samedi ! », La Parole, 21 septembre 1939, 14, 18, p.1.

Figure I: Repas fournis à l’Hôpital Sainte-Croix entre avril 1931 et décembre 1933

Repas fournis à l'Hôpital Sainte-Croix entre avril 1931 et décembre 1933

Sources: Procès-verbaux du conseil de ville de 1931 à 1933.

Effectivement, en juillet 1941, l’ingénieur de la ville informe le conseil municipal que les travaux de canalisation d’aqueduc et d’égouts dans le quartier Saint- Pierre ne peuvent être poursuivis à un rythme accéléré en raison du manque d’hommes40.

Par contre, la main d’œuvre féminine ne manque pas, comme en font foi les nombreuses demandes de cartes d’identité que formulent les femmes au cours de cette période41. Les prêtres de Drummondville leur auraient demandé d’effectuer de telles démarches pour obtenir un emploi dans les usines42.

40 « Le conseil projette d’exécuter des travaux publics urgents pour un montant de 20!500$ », La Parole, 24 juillet 1941, 16, 10, p.1.

41 Sur les 54 demandes de cartes d’identité formulées en 1941, 23 proviennent de femmes.

Ainsi, les autorités locales de Drummondville sont confrontées à un nombre de chômeurs croissant. Ces personnes sans emploi, comme dans tous les pays alors en crise, disposent de minces ressources financières pour subvenir à leurs besoins primaires.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les élites locales et les mesures d’aide aux chômeurs durant la crise des années 1930 à Drummondville
Université 🏫: Mémoire présenté à l’université du Québec à Trois-Rivières comme exigence partielle de la maîtrise en études québécoises
Auteur·trice·s 🎓:
MAUDE ROUX-PRATTE

MAUDE ROUX-PRATTE
Année de soutenance 📅:
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