Enjeux et conflits de la licence légale, les phonogrammes

Enjeux et conflits de la licence légale, les phonogrammes

Chapitre 2 – Enjeux et conflits de la licence légale

Dès sa mise en place, la licence légale fut l’objet de critiques, provenant pour l’essentiel des producteurs de phonogrammes. Le droit exclusif qui leur est reconnu par la loi de 1985, leur est aussitôt retiré en matière de sonorisation audiovisuelle.

Si les artistes- interprètes sont plutôt favorables à une application large du système de licence légale, les producteurs phonographiques contestent le taux pris en compte dans le calcul du montant de la rémunération équitable qu’ils estiment insuffisant, et réclament un retour à la libre négociation de leur droit.

La pérennité du système de licence légale est subordonnée à l’adoption d’un compromis entre les diffuseurs, artistes-interprètes et producteurs. Le compromis normatif de 1985 ne satisfait que partiellement les intérêts forcément contradictoires des différents protagonistes (section 1).

Le contentieux était inévitable : les actions enclenchées par les producteurs de phonogrammes du commerce auront pour conséquence de remettre en cause l’application de la licence légale à la télévision (section 2) et mettront à jour les coûts réels du système (section 3).

Section 1. Convergence et divergences d’intérêts

L’idée que les auxiliaires de création se voient reconnaître un droit sur leur contribution est unanimement admise. Le système mis en place n’est pas globalement contesté : la rémunération de ces ayants-droit n’est pas remise en cause. Ce sujet est même l’objet d’une collusion des différents protagonistes afin de restreindre aux nationaux (et aux ressortissants communautaires) le bénéfice de la rémunération équitable (§ 1). Il ne fait pas pour autant oublier les nombreux points d’achoppement existants pour l’essentiel, entre les chaînes de télévision et les producteurs de phonogrammes (§ 2).

§ 1. Un point d’entente

A titre liminaire, examinons un point qui fait l’objet d’un consensus général de la part des protagonistes du système de licence légale, et qui n’est pas l’objet de contestation directe, bien qu’il soulève d’importantes questions d’un point de vue juridique sinon équitable. Il s’agit des bénéficiaires de la rémunération équitable.

A. La détermination des bénéficiaires de la rémunération équitable par l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle

On peut considérer l’ensemble des bénéficiaires de deux points de vue. D’une part, les bénéficiaires du système de la licence légale qui sont l’ensemble des protagonistes : les utilisateurs (qui bénéficient d’une absence de contrainte) comme les intervenants (qui bénéficient d’une rémunération). D’autre part, les bénéficiaires de la rémunération qui sont les personnes auxquelles la redevance perçue en contrepartie de l’utilisation des phonogrammes est reversée.

Les bénéficiaires de la licence légale. Le système mis en place proclame l’existence d’un droit à rémunération aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes. Cette contrepartie financière est due afin d’indemniser les intervenants de la perte du bénéfice de leur droit exclusif reconnu aux articles L. 212-3 pour les artistes-interprètes et L. 213-1 du Code de la propriété intellectuelle concernant les producteurs de phonogrammes.

Le monopole sur leur contribution reconnu aux intervenants n’est soumis à aucune condition de nationalité, de même que la rémunération équitable perçue en contrepartie de la perte de celui- ci est due pour tous les phonogrammes publiés à des fins de commerce « quel que soit le lieu de fixation de ces phonogrammes »1. Cette rémunération est partagée à part égale entre les deux catégories d’auxiliaires de la création.

Les bénéficiaires de la rémunération équitable. L’article L. 214-2 du Code de la propriété intellectuelle restreint la liste des bénéficiaires de la rémunération équitable aux seuls artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes fixés pour la première fois en France. Nous avons vu que la convention de Rome du 26 octobre 1961 laissait aux Etats signataires la possibilité d’émettre des réserves en ce qui concerne son article 12 (le système de licence légale). La France avait entendu restreindre doublement le bénéfice de ce système en retenant comme critère d’application la nationalité du producteur sous réserve de réciprocité.

L’article L. 214-2 précisant que ses dispositions produisent effet « sous réserve des conventions internationales », le bénéfice de la rémunération équitable doit donc être étendu aux phonogrammes dont le producteur est ressortissant d’un Etat contractant à la Convention de Rome faisant bénéficier les producteurs de phonogrammes fixés pour la première fois en France du même traitement (clause de réciprocité).

A ce stade, nous remarquerons que les réserves émises par la France lors de la signature de la Convention concernent uniquement les droits des producteurs ; l’article ne mentionnant pas le sort des artistes-interprètes, faut-il comprendre qu’il existe une différence de traitement entre les intervenants d’un phonogramme ressortissants d’un Etat contractant, seul le producteur recevant une rémunération équitable ?

Les ressortissants de l’Union européenne. Concernant les ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne, la précision que l’article L. 214-2 s’applique « sous réserve des conventions internationales » rappelle la subordination de ce texte au respect de droit communautaire.

Les intervenants issus d’un autre Etat membre doivent dès lors bénéficier de la protection nationale au nom du principe de non-discrimination posé à l’article 7 du Traité de Rome de 19581. La protection nationale sera accordée aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes du commerce provenant d’un autre pays de l’Union européenne. A ce titre, ils bénéficient du droit à rémunération équitable.

B. La détermination des bénéficiaires de la rémunération équitable par les sociétés de répartition des droits

Il ressort du dispositif juridique détaillé ci-dessus que le système de licence légale doit s’appliquer :

  •  pour les phonogrammes fixés pour la première fois en France, quelle que soit la nationalité de l’artiste-interprète et du producteur ;
  •  pour les phonogrammes dont le producteur est ressortissant d’un Etat contractant sous réserve de réciprocité de traitement2 quel que soit le lieu de fixation ;
  •  pour les phonogrammes dont le lieu de fixation ou la nationalité du producteur se rattache à un pays de l’Union européenne.

1 CJCE, 20 octobre 1993, affaire Phil Collins, JCP, 1994, I, 3748.

2 L’article 5 §1.b pose un critère de fixation (les intervenants bénéficient du traitement national dès lors que « la première fixation du son a été réalisée dans un autre Etat contractant »).

Celui-ci peut-il ‘‘racheter’’ le non respect des conditions posées pour que le traitement national soit reconnu aux intervenants (cas du phonogramme dont le producteur n’est pas ressortissant d’un Etat contractant mais dont le première fixation du son aurait été réalisée dans un Etat contractant), contredisant ainsi l’article L. 214-2 qui réserve le bénéfice de la licence légale aux seules fixations effectuées en France ? Cela ne semble pas possible dans la mesure où cette condition existe en matière de reconnaissance du traitement national, et que les conditions déterminant les bénéficiaires de la licence légale sont indépendantes.

Dans la pratique, ce système ne fonctionne que partiellement sans que les divers protagonistes n’y trouvent vraiment à redire. La perception est bien prélevée pour tous les phonogrammes utilisés, quel que soit leur lieu de fixation (France, , Etat membre de l’Union européenne Etat contractant à la Convention de Rome, Etat non-contractant à la Convention de Rome) et la nationalité de leur producteur, comme le prévoit l’article L. 214-1, al. 4.

Toutefois, les sommes perçues ne sont en pratique jamais reversées aux ayants-droit étrangers. Si on suit le raisonnement de droit international privé présidant à la signature de la Convention de Rome, cela peut se justifier pour des ayants-droits ressortissants d’un pays non signataire, ce pays fut-il la plus importante provenance de phonogrammes utilisés (les Etats- Unis).

En revanche, cela est plus difficile à comprendre lorsque les droits revenant à des ressortissants de pays signataires ne sont pas davantage reversés. L’ADAMI a ainsi toujours refusé de reverser les droits des artistes-interprètes de Jamaïque, pourtant partie à la Convention de Rome depuis 1994.

Dans la pratique, les sociétés de répartition chargées de ventiler les sommes perçues par la SPRE entre les différents intervenants, faisant fi des conventions internationales sensées s’appliquer, ne distribuent pas à leurs homologues étrangers les sommes auxquelles leurs ressortissants ont pourtant droit1. Les sommes non payées sont affectées aux actions de soutien prévues par l’article L. 321-9.

On peut toutefois comprendre que les artistes-interprètes et les producteurs français ne se soucient pas de cette atteinte qui, après tout, ne les concerne pas directement. Cela étant, si les sociétés de répartition sont réticentes pour payer les intervenants étrangers pour l’exploitation française de leur phonogramme, elles répugnent tout autant à reverser aux intervenants français les sommes perçues au titre de l’exploitation à l’étranger de leur phonogramme, dans un pays non-contractant de la Convention de Rome.

1 De facto, les sociétés de répartition des droits appliquent l’article L. 214-2 comme si la mention « sous réserve des conventions internationales » n’existait pas. Les intervenants étrangers ne peuvent donc revendiquer leurs droits sur leur contribution que pour l’exploitation de leurs phonogrammes fixés en France. C’est ce qui explique que, pour l’année1999, l’ADAMI ait payé quinze fois moins de rémunérations aux artistes américains qu’elle n’a consacré d’argent à la création (soit 580 000 euros pour 448 ayants droits ou résidents américains).

Néanmoins, les différents protagonistes ne se sont pas émus de cette dérive1. Il est vrai que, concernant les diffuseurs, ils s’estiment libérer par le versement qu’ils effectuent à la SPRE et ne recherchent pas à contrôler l’effectivité des paiements (pourtant, l’utilisation non autorisée d’un phonogramme et sans rémunération compensatoire est assurément contrefactrice).

Les producteurs ne semblent pas s’en inquiéter, sans doute parce que l’exploitation des phonogrammes français aux Etats-Unis (principal pays non-signataire de la Convention de Rome) reste insignifiante2.

Enfin, les contentieux entre les artistes-interprètes et les sociétés chargées de la répartition de leur droits, s’ils portent bien sur l’affectation des sommes et le paiement des ayants-droits, concernent d’avantage la catégorie des sommes non réparties que irrépartissables (en reprochant, à l’ADAMI notamment, son manque de diligence en matière de recherche des ayants-droits3 et le fait qu’elle ne redistribue les droits perçues qu’aux seuls ayants-droit adhérents alors que contrairement aux sociétés d’auteurs ses missions résultent de la loi et non d’un mandat4).

Mais le problème de la répartition des encaissements des sociétés de répartition, notamment ceux effectués par la SPRE, s’il concerne à la marge le système de licence légale, n’est pas pour autant l’objet de profondes divergences. Les différends concernent directement le système en tant que tel, et les affrontements les plus vifs ont lieu autour de la question du champ d’application du système.

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