Caractéristiques de l'œuvre musicale susceptible d'être protégée

C.- Caractéristiques générales de l’œuvre susceptible d’être protégée
Comme souvent, lorsque la rigueur des textes fait défaut, le travail jurisprudentiel et doctrinal est intensifié. La discipline du droit d’auteur n’échappe pas à cette règle, d’autant que les concepts manipulés relèvent fréquemment de la subjectivité.
Une distinction s’est traditionnellement établie entre les critères négatifs de définition de l’œuvre (“négatifs en ce sens qu’ils ne doivent, en aucun cas, guider le juge dans l’appréciation qu’il porte sur une œuvre de l’esprit” 24!) et les attributs qu’elle doit impérativement présenter pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur.
• Pour ce qui relève des caractéristiques négatives, l’on peut sommairement 25 passer en revue ces “considérations sans pertinence” (expression empruntée à F. De Visscher et B.Michaux 26 ) en se référant à la classification opérée par B. Edelman 27 :
– le droit ne prend pas en compte le mérite , c’est-à-dire la valeur esthétique de la création, pas plus qu’il ne considère la quantité de travail fourni pour créer l’œuvre ;
– le droit d’auteur fait peu de cas des genres musicaux (classique, jazz, rock, par exemple), ce qui, si telle une différence était exercée, “supposerait l’énoncé d’un jugement de valeur”!28 , écarté par la non-considération sus-mentionnée du mérite ;
– de la même manière, le juge ne peut privilégier telle forme d’expression (musique, peinture…) plutôt que telle autre, ni porter intérêt à la longueur de l’œuvre ;
– enfin, peu importe la destination de l’œuvre (ludique, contemplative, décorative… pour reprendre les finalités citées en exemple par B. Edelman).
• En définitive, pour introduire les qualités qu’une œuvre doit effectivement dégager pour être reconnue et protégée, nous pouvons nous référer au propos de M. Buydens, qui affirme que : “le droit d’auteur n’a pas pour vocation de protéger toute prestation intellectuelle quelle qu’elle soit, mais seulement celles qui répondent aux conditions spécifiques qu’il impose, à savoir la condition d’originalité et celle de mise en forme” 29.
Ces conditions, par l’importance cruciale qu’elles ont acquise dans la détermination juridique de l’œuvre, méritent une attention particulière ; à leur sujet, P.-Y. Gautier a joliment souligné que : “l’originalité constitue l’âme de l’œuvre, la forme étant son corps” 30.
§1.Notion d’originalité
“Alors qu’elle conditionne la protection par le droit d’auteur, l’originalité se prête difficilement à une définition générale” 31. Voilà qui ne laisse subsister que peu d’espoir de présenter cette notion de façon discrète et sommaire. Il est vrai que l’originalité constitue, du point de vue de sa conception, l’un des nombreux buissons d’épine de la matière. Nous allons toutefois tenter de brosser, à grands traits, un tableau général des discussions qui auréolent inlassablement le concept.
a. A la recherche de l’originalité…
Le premier élément à épingler pour cerner l’originalité est assurément son absence formelle totale de la loi du 30 juin 1994 (elle n’était pas plus exprimée dans la loi précédente du 22 mars 1886). A. Strowel le rappelle par ces mots : “c’est la doctrine et la jurisprudence qui ont mis en évidence cette condition d’existence du droit, en la déduisant des notions d' »auteur » et d' »œuvre littéraire et artistique »” 32. L’on est renvoyé, de la même manière qu’on le fût lors de la définition de l’œuvre, aux affres jurisprudentielles et doctrinales.
La Cour de cassation souligne la voie à emprunter 33 : un “effort intellectuel” doit être dégagé ; “de ce dernier découle « le caractère individuel » de l’œuvre en cause ; de ce caractère se déduit enfin qu’il y a « création » : telle est la séquence mise en évidence par la Cour” 34. Le syllogisme juridique est donné ; ses développements ont conduit à une approche pragmatique de l’originalité, qui différencie originalité subjective et originalité objective 35.
• L’originalité subjective fait appel à la perception conceptuelle 36 de la “création originale” : il est exigé que l’œuvre “revête « la marque de la personnalité de [son] auteur » sans que soient requises en outre des qualités artistiques ou esthétiques” 37, 38. L’auteur doit en somme s’être “investi” dans la création, fut-ce seulement dans la démarche abstraite. En conséquence, “l’œuvre doit porter les stigmates de l’activité créatrice” 39 ; elle doit être marquée du sceau personnel de son créateur, de quelque manière que ce soit.
• L’originalité objective relève essentiellement de constructions doctrinales. Plusieurs auteurs 40 s’accordent à écrire qu’une part de l’originalité doit être appréciée en regard d’un choix, de l’utilisation personnelle faite par l’auteur d’une marge de liberté. “A l’évidence, une création entièrement déterminée par diverses contraintes ne permet pas à celui qui la réalise, d’y mettre quelque accent personnel que ce soit” 41.
b. Originalité et nouveauté
La plus grande difficulté reste assurément d’entrevoir la ligne de démarcation entre originalité et nouveauté. Sans s’immiscer complètement dans la controverse 42!, l’on peut affirmer que ce qui est original n’est pas systématiquement nouveau (par exemple, l’adaptation d’une chanson tombée dans le domaine public), et ce qui est nouveau n’est pas nécessairement original, même si le facteur de nouveauté recouvre sûrement quelque élément d’originalité. Reste à savoir si, dans notre optique, ladite nouveauté sera originale au sens du droit d’auteur et si, plus généralement, elle remplira les conditions lui octroyant le statut d’œuvre protégeable…
§2.Nécessité d’une mise en forme de la création
“Il faut que l’auteur ait marqué sa volonté de communiquer en coulant sa création dans une certaine forme : une simple idée n’est pas protégeable” 43. Pour qu’une création prétende à la protection par le droit d’auteur 44 , il faut donc qu’elle ait “dépassé le stade de l’idée, du concept, du thème et (…) reçu une certaine « concrétisation »” 45.
Cette “exigence d’extraction de la forme de l’esprit vers la réalité” 46 , on l’imagine sans peine, peut poser quelques problèmes ; de fait, “la frontière entre l’idée non protégeable et la création de forme (…) est imprécise et peut varier selon les domaines” 47. En matière de création d’œuvres musicales cependant, les difficultés soulevées par la mise en application de ces prescriptions sont, on peut le croire 48 , relativement amoindries.
a. Mise en forme de l’œuvre musicale
Le raisonnement général repris par P.-Y. Gautier est le suivant : “l’œuvre est conçue – c’est l' »idée » ; puis intervient la gestation : préparation, assemblement, coordination, (plan) croissance – c’est la « composition » ; enfin, l’œuvre vient au monde : écriture du roman, de la pièce, du scénario – c’est l' »expression »” 49. Ce n’est, logiquement, qu’entrée dans la phase de “composition” que l’œuvre pourra bénéficier de la protection octroyée par le droit d’auteur.
Cette argumentation peut être appliquée sans peine au schéma de la création musicale ; et l’on peut légitimement affirmer qu’en l’occurrence, l’“idée” se confond presque toujours avec sa “matérialisation”, fut-ce à l’état d’ébauche ou de recherche des notes destinées à constituer le thème définitif. Somme toute, l’idée, naissant de l’esprit, est nécessairement concomitante avec sa transcription, soit sur une partition, soit sur un instrument. Il s’agit certainement là du sens usuel de la notion de “composition” entendue habituellement en matière musicale…
b. Critères d’appréciation relatifs à la forme de l’œuvre musicale
En paraphrasant A. Berenboom 50 et P.-Y. Gautier 51, 52 , nous pouvons écrire que les trois éléments composant l’œuvre musicale sont la mélodie, l’harmonie et le rythme 53.
• La mélodie , c’est le thème, c’est-à-dire l’assemblage de notes permettant l’identification de l’œuvre (par exemple, l’air qui accompagne le refrain d’une chanson). C’est essentiellement sur base de la mélodie que sont fondées les comparaisons en cas de contestation de l’originalité de l’œuvre ;
L’harmonie (les accords qui soutiennent la mélodie) et le rythme (la cadence de l’œuvre), ne sont pas comme tels susceptibles de protection mais, combinés avec la mélodie, ils constituent la typicité de l’œuvre et lui donnent une certaine “couleur”, qui permettra à la création d’être considérée comme originale et dès lors de bénéficier des garanties offertes par le droit d’auteur. C’est ainsi qu’un thème antérieur et repris par un musicien peut être reconnu comme œuvre originale, dans la mesure où le nouvel habillage confère une couleur inédite à la mélodie préexistante.
Tels sont les grands fondements du droit d’auteur ; ses bases, jetées ici succinctement, résultent de plus de deux cents ans d’existence et d’évolution, et reflètent une volonté certaine, à tout le moins de principe, de donner à l’auteur d’une “création de l’esprit” (pour reprendre les termes de la loi française du 11 mars 1957) les moyens d’en préserver la teneur et la spécificité, facteurs relevant directement de sa personnalité.
Il convient à présent d’examiner comment la loi a intégré ces principes et, surtout, comment elle en a traduit et organisé la protection. On pourra s’apercevoir sans difficulté que, comme A. Berenboom l’a annoncé – dénoncé ? – , “le législateur s’est beaucoup plus préoccupé de l’aspect économique de la création que de sa substance” 54.
Lire le mémoire complet ==> (Piratage et contrefaçon : Approche socio-criminologique des violations au droit d’auteur et aux droits voisins en matière musicale)
Travail de fin d’études en vue de l’obtention du diplôme de licencié en criminologie
Université de Liège – Faculté de Droit – École de Criminologie Jean Constant

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