Le traitement de l’inexécution du contrat – la breach of contract

«… traitement de l’inexécution imputable au débiteur en droit anglais à travers l’histoire, et un rappel précis des règles désormais applicables à la breach of contract. La seconde partie se veut elle plus prospective, puisqu’elle a pour ambition de juger…»
Université De Lille II – Centre RENE DEMOGUE – Droit Des Contrats

Ecole doctorale des sciences juridiques, politiques,
économiques et de gestion

Mémoire D.E.A. de Droit Des Contrats, Option Droit Des Affaires

Le traitement de l’inexécution (la breach of contract)

Jean-Frédéric CARTER

Sous la direction de Madame le Professeur S. Le Gac-Pech

2002 – 2003

L’Université n’entend donner aucune approbation, ni improbation aux opinions émises dans les mémoires, ces opinions doivent être considérées comme propre à leur auteur.
Dans le débat qui anime actuellement la communauté juridique européenne, nous remarquons quelque chose d’évident : les adversaires1 comme les partisans2 d’un code européen en parlent comme d’un événement dont la survenance devient chaque jour plus certaine.
P. Legrand, dans son article « Sens et non-sens d’un code civil européen », réagit aussi violemment contre l’idée d’un code civil européen parce que justement, il sent le mouvement favorable décidé à aller au terme de la démarche3.
P. Legrand n’a pas de mots assez durs pour condamner ce qui semble pourtant une véritable « révolution copernicienne »4, capable de positivement bouleverser nos microcosmes juridiques.
Quel que soit donc le côté où l’on se situe, l’on est conscient de l’imminence et de l’importance des événements.
Le sujet est traité avec le plus grand sérieux, même s’il l’est moins bien chez nous que dans beaucoup de pays européens5.
Comme le précise C. Witz6, l’enjeu ici sera pour la Communauté Européenne de choisir des règles attractives pour les entreprises, et il ne s’agit pas que des grandes entreprises.
La pratique commerciale internationale a besoin de règles sûres ou, à défaut, de règles efficaces.
Au niveau international, la concurrence est suffisamment efficace pour rendre les efforts d’harmonisation européenne pertinents et potentiellement fructueux7.
Ce code sera un moyen de garantir aux investisseurs des règles attractives, sûres, et communes à tous les pays du marché commun.
Selon les mots de E. Hallstein, premier président de la Commission Européenne, il s’agit surtout de faire en sorte que : « dans tout le grand espace communautaire, des faits égaux (soient) traités de manière égale, et ceci de par la loi »8.

1 P. Legrand, « Sens et non-sens d’un code civil européen », Revue Internationale de Droit Comparé, numéro 4,1996.
2 C. Witz, « Plaidoyer pour un code européen des obligations », Recueil Dalloz 2000, Chroniques, p.79.

Dans la perspective de cet « Eurocode » (qu’il soit civil, des obligations ou des contrats), nous pouvons nous interroger sur les règles qui seront choisies comme « guidelines » ou à tout le moins comme source d’inspiration.
La question, pour les juristes français conscients des réalités, est claire : notre droit (français) est-il encore attractif ? Peut-il encore avoir un rôle concret dans la définition des futures règles communautaires ? Il faut le reconnaître, notre droit a été grand.
Il a rayonné en Europe avec les Codes Napoléon, il a diffusé ses concepts en Europe de l’Est (Pologne, Roumanie), en Afrique du Nord (Maroc, Tunisie), au Proche Orient (Liban, Israël).
Il a toujours de grands avantages : notre droit est écrit (car, malgré l’opinion couramment répandue, l’écrit est la voie choisie par le droit communautaire, à la différence de la Common Law…), notre droit est l’expression de la volonté d’un peuple gouverné démocratiquement, notre droit est un droit riche en théorie(s) et un droit riche d’expérience, un droit véhiculé par une langue de qualité, à défaut d’être encore un des plus parlées, et surtout notre droit est un droit codifié.
Le président P. Bézard nous fait partager à ce sujet son expérience de coopération juridique, en nous évoquant une scène rassurante : « Ces fameux codes napoléoniens actualisés sont toujours d’exceptionnels produits d’appel pour le droit français.
Il y a dans ces petits livres rouges que transporte le coopérant dans ses bagages et qu’il dispose sur sa table de conférence pour s’y reporter constamment, quelque chose de magique pour les participants étrangers.
Ils leur apparaissent comme les bibles du savoir et de l’expérience dans le domaine du droit. »9

3 Voir en ce sens les résolutions du Parlement Européen du 6 Mai 1994, publiée au J.O.C.E. 1994, C. 205, pp.518 et s., et du 26 Mai 1989, publiée au J.O.C.E. 1989, C. 158, pp. 400 et s.
4 C. Witz, op. cit., p 84, C in fine.
5 C. Witz, op. cit., p. 79.
6 C. Witz, op. cit., p 81.
7 J. Basedow, « Un droit commun des contrats pour le marché commun », Revue Internationale de Droit Comparé, numéro 1, 1998, p 20 : « V. L’Unification et la Concurrence des Ordres Juridiques ».
8 E. Hallstein, « Angleichung des Privat und prozessrechts in der Europäischen Wirtschaftsgemeinschaft », RabelsZ 28, 1964, pp. 211, 230.

Mais notre droit est-il encore grand ? Le droit français n’a peut-être plus les atouts qui lui permettaient de rivaliser encore au début du XX° siècle avec le droit anglais (rappelons les affrontements loi contre loi sur les sociétés commerciales, et l’adoption en France en 1867 d’une loi qui se voulait libérale pour stopper l’hémorragie de sociétés vers l’Angleterre). Sinon, pourquoi entendrions-nous de la part des hommes d’affaires français eux-mêmes : « (…) le succès du droit français n’est pas souhaitable, car il manque de souplesse et n’est pas adapté aux problèmes financiers et économiques, comme l’est le droit anglo-saxon. »10
Ce dernier jouit d’une réputation de flexibilité, de pragmatisme, et de bienveillance pour les opérations économiquement efficaces.
Il est vrai que la Common Law est orientée vers la pratique du droit plus que vers la théorisation de celui-ci : elle est l’archétype des droits prétoriens.
La Common Law (ou « le » Common Law, peu importe, puisque les deux justifications, grammaticale et étymologique, se valent) étant le droit des pays les plus puissants du monde (Etats-Unis d’Amérique, Canada, Australie, Royaume-Uni…) et un droit parfaitement intégré dans tous les pays du Commonwealth, s’impose donc comme un adversaire des droits de tradition romano-germanique, surtout dans le contexte d’une codification européenne.
L’Europe n’est bien sûr pas le seul territoire sur Terre où les deux systèmes cohabitent : les Etats-Unis en sont un autre exemple.
Mais l’Europe est le seul où les deux systèmes doivent s’accorder d’égal à égal, et non pas d’Etat fédéré à Etat fédéral, le lien de subordination amenant la Louisiane à réserver son droit civil aux affaires intérieures qui n’auraient (de plus) aucune influence sur le commerce inter-états.

9 P. Bézard, « Le droit français est-il encore exportable ? », in Mélanges en l’honneur de Christian Gavalda, Propos Impertinents de Droit des Affaires, Dalloz, 1998.
10 P. Bézard, op. cit., intro.

La Common Law est réputée plus adaptée à la vie des affaires et de là, plus attrayante pour une Europe en compétition économique avec les Etats-Unis.
Cet apparent état de choses nous amène naturellement à nous interroger sur les solutions françaises et, puisque l’expérience est inédite pour un continent « pluri- juridique » (comme l’appelle P. Legrand11), essayons de savoir quelles règles séduiront le législateur européen de demain.
Ne pouvant évidemment pas comparer l’ensemble du domaine contractuel et, étant donné qu’il nous fallait choisir un sujet d’étude où les différences n’étaient pas telles que toute comparaison était inutile, nous avons choisi de nous pencher sur une période des relations contractuelles que l’on qualifiera de pathologique : l’inexécution des obligations contractuelles imputable au débiteur de ces obligations.
Premièrement, il se trouve que, dans les deux systèmes que nous allons comparer (le droit français et la Common Law, principalement la version anglaise de celle-ci, pour des raisons d’accessibilité des documents évidentes), le sujet est au centre de vives controverses doctrinales.
En France, le débat sur l’existence d’une véritable responsabilité contractuelle n’est pas nouveau : déjà R. Rodière et P. Esmein s’étaient interrogés sur la même question il y a quelques cinquante années12.
Les protagonistes se nomment désormais D. Tallon13, P. Le Tourneau, P. Rémy, G. Viney, mais le débat est resté le même.
Les opposants à l’existence d’une responsabilité contractuelle telle que nous la connaissons sont même venus dire que, pour une fois, l’exemple à suivre nous viendrait de l’Angleterre14.
En Angleterre justement , le débat est plus large : il ne s’agit pas ici de responsabilité contractuelle uniquement, mais de la question de savoir si la Common Law anglaise a besoin d’une théorie générale du contrat.
La question de l’inexécution n’est donc qu’une partie de ce plus vaste débat, mais elle a une importance toute particulière puisque la notion de breach of contract (nous l’entendons pour les besoins de cette étude comme l’inexécution totale imputable au débiteur, soit une actual ou anticipatory breach) actionne des remèdes à l’inexécution provenant de l’Equity et de la Common Law.
Le choix de cette comparaison est enfin justifié puisque la question de l’inexécution n’est pas traitée de la même façon dans les deux systèmes, et que ces différences nous amèneront à réfléchir sur le formalisme, et sur les concepts sous- tendant ceux-ci15.
Comparer le traitement de l’inexécution en droit français et en droit anglais, puis tenter de convaincre le lecteur que la Common Law a, dans ce domaine, un avantage certain, telle est la tâche que nous nous sommes efforcés de remplir.
Afin de mener à bien notre ambition, nous avons privilégié un plan classique en droit comparé, mais adapté aux nouveaux instruments qui nous sont désormais offerts.
La première partie se veut essentiellement descriptive : nous y découvrirons le traitement de l’inexécution imputable au débiteur en droit anglais à travers l’histoire, et un rappel précis des règles désormais applicables à la breach of contract.
La seconde partie se veut elle plus prospective, puisqu’elle a pour ambition de juger un ensemble de règles par rapport à l’autre en fonction des intérêts propres à la matière contractuelle.
La Common Law nous dévoilera au long de cette étude ses caractères essentiels : aspect pratique indéniable, flexibilité et adaptation naturelle aux besoins de l’économie de marché.

11 P. Legrand, op. cit., p. 781.
12 R. Rodière, « Une notion menacée : la faute ordinaire dans les contrats », Revue Trimestrielle de Droit Civil, 1954, pp. 14 et s. P. Esmein, « L’obligation et la responsabilité contractuelle », in Mélanges Ripert, Tome II, pp.101 et s, 1950.
13 D. Tallon, « Pourquoi parler de faute contractuelle ? », in Ecrits en l’honneur de G. Cornu, pp. 429 et s. D. Tallon, « L’inexécution du contrat : pour une autre présentation », Revue Trimestrielle de Droit Civil, 1994, pp.223 et s.
14 D. Tallon, op. cit., n°13.
15 « La comparaison des droits sera culturelle ou ne sera pas », P. Legrand, « Le droit comparé », collection Que sais-je ?, P.U.F., 1999, in fine.

Sommaire :

Première partie : La présentation de la Breach of Contract
Chapitre 1 : L’historique de la breach of contract
I. Remedies precede rights (1066-1450)
II. L’orientation contractualiste (1450-1602)
III. La simplification moderne (pp. 17-18)
Chapitre 2 : Le fonctionnement de la breach of contract
I. Sa place parmi les autres modes de termination du contrat
II. Sa signification
III. Les remèdes attachés à la breach of contract
IV. Le particularisme américain
Deuxième partie : Les atouts de la Breach of Contract
Chapitre 1 : Son adaptation à la vie des affaires
I. La distance prise avec la conception morale
1. L’économie de la faute en Common Law
2. Le recours à la faute en droit français
II. Les ressorts de l’analyse économique
1. Le traitement de l’inexécution efficiente
2. Le traitement de l’inexécution en général
Chapitre 2 : Sa réception par le droit du commerce international
I. Dans les textes
II. Dans l’esprit

  1. La breach of contract : Remedies precede rights 1066-1450
  2. L’orientation contractualiste 1450-1602, La breach of contract 
  3. La breach of contract et les modes de termination du contrat
  4. La signification de la breach of contract
  5. Les remèdes attachés à la breach of contract
  6. Le particularisme américain – la breach of contract
  7. L’économie de la faute par la Common Law – la breach of contract
  8. Le recours à la faute contractuelle en droit français
  9. Les ressorts de l’analyse économique du droit des contrats
  10. Le traitement de l’inexécution du contrat en général
  11. L’inexécution du contrat dans le droit du commerce international
  12. Inexécution des contrats et moyens en général
  13. Droit à l’exécution, Exception d’inexécution et Résolution du contrat
  14. Dommages et intérêts de l’inexécution du contrat

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