Le parasitisme et la causalité: Droit de la responsabilité civile

Le parasitisme et la causalité: Droit de la responsabilité civile

C) La remise en cause du traditionnel lien de causalité

Extension du droit commun de la responsabilité civile, le parasitisme suppose donc encore – pour sa sanction – que soit caractérisée l’existence d’un lien de causalité entre la faute commise par le parasite et le préjudice subi par le parasité.

Or, comme le constate M. Le Tourneau, « la jurisprudence ne se montre pas trop rigoureuse à cet égard » 287. En effet, au-delà même du fait qu’il soit dans l’action préventive au fond 288 ou en référé d’autant moins nécessaire d’établir un lien de causalité que l’existence d’un dommage n’est elle-même pas requise – seul comptant son risque de survenance -, une tendance s’est depuis quelques années dégagée en jurisprudence tendant à établir l’existence d’un préjudice en l’inférant simplement des actes déloyaux accomplis.

Ainsi l’étude des multiples facettes de la notion de parasitisme en première partie nous aura-t-elle par exemple permis de constater que nombreuses sont les décisions qui se contentent d’un préjudice éventuel ou possible et ceci, tout particulièrement, en matière de confusion.

Le plus souvent en effet, la constatation directe par le juge d’un préjudice consistant dans la confusion entre les entreprises parasite et parasitée est impossible pour la bonne et simple raison que cette confusion s’opère – par hypothèse même et selon l’expression consacrée – dans l’esprit de la clientèle ou du public : aussi les juges se contenteront-ils alors de relever que le procédé utilisé était « de nature à provoquer » ou « à créer une confusion » ou mettront-ils en exergue une simple possibilité, un simple « risque de confusion », pouvant être cité ici l’arrêt particulièrement significatif de cette tendance jurisprudentielle qui fut rendu par la Cour d’appel de Douai le 21 Décembre 1989.

Les juges, en effet, après avoir estimé qu’était dépourvu de pertinence l’argument du défendeur selon lequel les demanderesses ne pouvaient prospérer en leur demande faute de pouvoir justifier d’un préjudice exactement quantifié, n’ont pas hésité à déclarer que « la preuve d’un préjudice chiffré [ en l’occurrence ici une baisse précise du chiffre d’affaires des demanderesses « qui serait la mesure de leur préjudice » ] n’est pas une condition nécessaire au succès d’une telle demande dès lors que de la démonstration d’un risque de confusion entre deux produits concurrents, s’infère nécessairement l’existence d’un préjudice » 289.

Ainsi les juges semblent-ils par une telle formule faire fi de la preuve du préjudice ainsi que de l’exigence relative au lien de causalité en ne cherchant pas à démontrer le préjudice mais en se contentant simplement de le déduire de la faute commise, ce qui n’a pas manqué de susciter les réactions de la doctrine et par là même d’engendrer les théories les plus inattendues quant au fondement même de la sanction du parasitisme économique.

Si M. Mousseron s’est avec d’autres auteurs demandé si le parasitisme ne relevait pas du régime de la propriété dans la mesure où le préjudice – constata-t-il – n’est plus requis en cas d’atteinte à la propriété 290, Mme Frison-Roche est quant à elle venue établir un rapprochement de la théorie du parasitisme avec celle des troubles du voisinage : ne pourrait- on pas, se demande-t-elle en effet, invoquer une théorie dite « des troubles anormaux de concurrence » uniquement fondée sur le constat d’un comportement déloyal et donc sans égard au préjudice ? 291

De même, et alors qu’il est acquis que « concurrence déloyale, concurrence parasitaire et agissements parasitaires ne sont [en réalité] que différentes facettes de la responsabilité civile » 292 de sorte que le parasitisme peut être sanctionné sur le fondement de la responsabilité du fait personnel, Mme Malaurie-Vignal s’est interrogée : « On connaissait la responsabilité sans faute. Peut-on encore parler de responsabilité pour faute, sans préjudice ? » 293.

288 …sur laquelle nous reviendrons plus avant.

289 CA Douai 21 Déc. 1989, R.D.P.I. 1989, n° 3, p. 316.

290 Mousseron (J.-M.), Entreprise : parasitisme et droit, Colloque sous la direction de Mme Simon J., précité, JCPéd. Ent. 1992, Cah. Dr. Ent. n° 6, p. 15 et s.

291 Frison-Roche (M.-A.), Les principes originels du droit de la concurrence déloyale et du parasitisme, RJDA 1994, n° 6, p. 483 et s.

292 Druez-Marie (C.), Le parasitisme appliqué à la protection des signes et des formes, Petites Affiches 25 Déc.1998, Doctr. p. 5 et s.

293 Malaurie-Vignal (M.), Parasitisme et notoriété d’autrui, précité, JCP éd. G. 1995, I, Doctr. n° 3888, p. 471 et s., spéc. n° 17.

La jurisprudence, de son côté, s’était dans un premier temps il est vrai montré prudente dans son expression : ainsi, lorsqu’il déclarait que « les faits générateurs d’un trouble commercial impliquent l’existence d’un préjudice » 294, le juge semblait vouloir dire que le préjudice était ce trouble commercial lui-même.

Plus étonnante en revanche était déjà l’expression employée par la Cour d’appel de Paris le 3 Avril 1995, laquelle en effet – en déclarant que « le préjudice, comme pour tout acte de concurrence déloyale, s’infère du seul dénigrement »295 – établissait une double présomption.

En effet, en estimant que le préjudice s’inférait des actes déloyaux, les juges présumaient à la fois l’existence du préjudice et l’existence d’un lien de causalité entre celui-ci et la faute commise.

Persistant dans cette voie, la Chambre commerciale jugera par exemple en 1996 qu’il résulte nécessairement des actes déloyaux constatés par la Cour d’appel l’existence d’un préjudice, fût-il moral, pour la société qui en est victime, résultant des procédés fautifs utilisés par la parasite 296 ou en 1997 qu’ « il s’infère nécessairement des actes déloyaux constatés l’existence d’un préjudice » 297 : la faute, selon toutes ces espèces, engendre donc nécessairement un préjudice.

Ainsi, seuls sont ici appréhendés les moyens déloyaux employés, c’est à dire la faute parasitaire, en dehors de toute considération tenant au dommage qui en résulte 298, ce constat rejoignant l’opinion de M. Jonquères pour qui n’est pas tant sanctionné le fait d’avoir causé un préjudice à autrui que celui d’avoir pour ce faire commis des actes déloyaux 299.

294 Cass. Com. 25 Fév. 1992, Bull. civ. 1992, IV, n° 88.

295 – CA Paris 3 Avril 1995, D. 1995, I.R. p. 128, cité par Mme Izorche in Les fondements de la sanction de la concurrence déloyale et du parasitisme, réf. précitées. – Dans le même sens : CA Paris 24 Mai 1995, D. 1996, Somm. p. 252, obs. Izorche M.-L.

296 Cass. Com. 27 Fév. 1996, Pompes funèbres, D. 1997, Somm. p. 104, obs. Serra Y. ; RJDA 1996, n° 732.

297 Cass. Com. 8 Juill. 1997, Lyon meubles, P.I.B.D. 1998, III, p. 24.

298 « Ce qui importe, c’est de s’attaquer aux moyens et non aux buts » estime M. Le Tourneau (J.-Cl. Concurrence – Consommation, Fasc. n° 227, spéc. n° 3).

299 Jonquères (J.), note sous Cass. Com. 22 Oct. 1985, Soc. Générale de Mécanographie, R.D.P.I. 1985, n° 2, p.137 et s. (arrêt rendu en matière de concurrence déloyale).

De même rejoint-il l’opinion de M. Paul Roubier lorsqu’il estime que la preuve du préjudice n’est nécessaire que pour l’obtention de dommages et intérêts mais qu’elle n’est en revanche pas exigée pour le succès de l’action en général qui a avant tout pour objectif de sanctionner un exercice abusif de la liberté du commerce et de l’industrie.

Cette distinction de l’action en réparation et de l’action en cessation qui, seule, serait dispensée de la preuve d’un préjudice n’a cependant guère prospéré en jurisprudence qui l’a même dépassée en estimant – lorsqu’il s’agit de faire cesser des agissements déloyaux – que le simple « risque » de la survenance d’un préjudice dans le futur suffit à justifier la condamnation de leur auteur.

La jurisprudence au premier abord originale qui sanctionne, à l’image de la responsabilité pénale, la simple tentative parasitaire trouve alors sa justification dans l’aspect préventif susceptible d’être revêtu par l’action en parasitisme, aspect qui trouve lui-même sa justification dans le principal objectif de l’action en responsabilité civile dont celle en parasitisme constitue l’une des formes particulières.

Comme a pu en effet le souligner M. Le Tourneau, « la fonction première de la responsabilité civile est de prévenir les dommages plus que de les réparer ou de les compenser, d’où (le fait que) tout individu qui risque de souffrir d’un dommage illicite peut demander la suppression de son fait constitutif, avant même la réalisation du dommage, afin d’en prévenir la survenance » 300.

Constatons enfin que si les tribunaux s’attachent donc davantage à la faute qu’au préjudice qui en résulte, un pas supplémentaire a été franchi par la jurisprudence avec un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 29 Avril 1998 dans lequel les juges se sont non seulement dispensés de vérifier le lien de causalité entre la faute et le préjudice en énonçant que le second s’inférait de la première mais n’ont qui plus est pas hésité – pour établir cette faute – à s’affranchir purement et simplement des éléments concrets du cas d’espèce en énonçant très expressément qu’ « il s’infère de tout acte de cette nature un préjudice » 301…

300 Le Tourneau (P.), La responsabilité civile professionnelle, Coll. Droit de poche – Droit des affaires, Economica 1995, spéc. p. 30.

Une fois le tryptique faute – dommage et lien de causalité établi, va donc intervenir la sanction des faits de parasitisme, sanction dont il nous faut à présent envisager la teneur et les implications.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le parasitisme économique : passe, présent et avenir
Université 🏫: Université Lille 2 - Droit et santé - Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur PETIT Sébastien

Monsieur PETIT Sébastien
Année de soutenance 📅: Mémoire - D.E.A. Droit Des Contrats Option Droit Des Affaires - 2001-2002
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