La création du concept du « risque de développement »

Le risque de développement en droit brésilien et québécois – Section II :
Le risque de développement peut être défini comme les risques inconnus qu’un produit ou une activité peuvent entraîner en raison de l’état insuffisant des connaissances scientifiques et techniques au moment où le bien a été conçu, fabriqué ou encore quand l’activité a été pratiquée374.
La mise à l’écart de la responsabilité civile pour le risque de développement est loin de faire l’unanimité. Le grand enjeu de cette défense est la conciliation des intérêts de l’industrie et de ceux des consommateurs. D’un côté, ces derniers s’attendent à une grande protection à un moindre coût, tandis que de l’autre, les fabricants pensent que l’étendue de la responsabilité doit être la plus restreinte possible. Comment combler ces deux attentes contradictoires ?
Il importe de noter que par le biais du développement scientifique, la société a connu, au XXe siècle, une évolution sans précédent dans plusieurs domaines comme la santé, les aliments, les moyens de communication, etc. Néanmoins, il peut arriver que les nouvelles technologies apportent également des effets indésirables et nuisibles en raison de la méconnaissance de tous leurs effets. Un exemple qui illustre bien la situation est la cigarette. Si, dans un premier temps, sa consommation était liée au prestige et au pouvoir, plusieurs années plus tard, elle est devenue un grand problème de santé publique. En effet, au fur et à mesure que les recherches ont démontré les effets nocifs du tabac sur le corps, des programmes ont été mis en place pour conscientiser la population sur les risques liés à la consommation de la cigarette.

374 Pour une définition suggérée par Nathalie Vézina, consulter note 7; l’auteur brésilien Marcelo Junqueira Calixto définit le risque de développement comme étant les risques qui ne sont pas connus même pour l’état de la science et de la technique le plus avancé à l’époque de l’introduction du produit dans le marché de consommation et qui ne sera découvert qu’après un certain temps d’utilisation du produit, grâce au progrès scientifique. Marcelo JUNQUEIRA CALIXTO, A responsabilidade civil do fornecedor de produtos pelo risco do desenvolvimento, Rio de Janeiro, Renovar, 2004, p. 176.

De nos jours, un autre débat sur l’état des connaissances scientifiques est celui des organismes génétiquement modifiés (OGMs)375. Les nouvelles technologies dans le domaine bioalimentaire soulèvent la méfiance de la population en général, qui s’interroge quant à savoir si d’ici quelques années, les scientifiques ne se rendront pas compte que les OGM sont nuisibles pour la santé. Il s’agit, à notre avis, d’une inquiétude normale lorsqu’on analyse les découvertes réalisées par rapport à la cigarette et à certains médicaments.
En ce qui a trait aux médicaments, les nombreuses tragédies376 liées à leur consommation ont contribué à ce que le public et les organismes de défense du consommateur hésitent à accepter ce type de défense, parce qu’il est possible que même en respectant les normes statutaires de développement et de fabrication, on découvre après la mise en marché du médicament qu’il peut occasionner des effets secondaires graves qui n’avaient pas été prévus lors des recherches cliniques377.
Nous nous proposons, dans le présent chapitre, d’analyser les positions adoptées par les droits civils brésiliens et québécois ainsi que par la common law canadienne à l’égard du risque de développement comme cause d’exonération de la responsabilité. Avant d’y arriver, il est toutefois important d’examiner la question du point de vue du droit communautaire européen, créateur du concept.

375 Le risque de développement est également débattu dans le domaine environnemental.

376 L’un des cas les plus connus est celui de la thalidomide, supra, note 5. Cependant, il y en a d’autres comme le D.E.S., supra, p. 57.
377 À cet égard, mentionnons le cas de l’anti-inflammatoire Vioxx, dont le retrait du marché mondial a été effectué en 2004 à l’initiative du fabricant, le laboratoire Merck & Co. Inc., à la suite d’un essai clinique (APPROVe) en vue d’évaluer l’efficacité du médicament pour prévenir la récurrence des polypes du côlon (croissance anormale de tissus parfois cancéreux). Au cours de l’essai, on a constaté un risque accru de cardiopathies graves, telles que la crise cardiaque ou des accidents cérébrovasculaires, après 18 mois de traitement continu. Selon les informations du laboratoire, les résultats des analyses préliminaires ont confirmé 7,5 cas d’incidents cardiovasculaires par 1000 années-patients avec placebo et 14,8 cas par 1 000 années-patients avec Vioxx, c’est-à-dire presque le double. Il est intéressant de noter que le risque de troubles cardiovasculaires associé à la consommation du Vioxx était connu depuis 2000, suite à une étude de Merck intitulée VIGOR (Vioxx® Gastrointestinal Outcomes Research). Suite à cette étude, Santé Canada, en 2002, avait émis un avis contenant des renseignements préliminaires sur le risque associé à l’utilisation du Vioxx et a par la suite exigé la modification de l’étiquetage du médicament, notamment pour inviter l’utilisateur à la prudence s’il a des antécédents de cardiopathie. Merck Frosst Canada, Centre d’information Vioxx, Site [Enligne] http://www.merckfrosst.ca/mfcl/fr/corporate/products/vioxx_withdrawal/vioxx_ need_to_know.html (Page consultée le 19 août 2009) ; Santé Canada, Foire aux questions – Retrait de Vioxx par Merck. Site [en ligne] http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/media/advisories-avis/_2004/2004_50bk2-fra.php (Page consultée le 19 août 2009).
A. La contribution du droit communautaire européen
1. La création du concept du « risque de développement »
Des auteurs prétendent que l’expression « risque de développement » est une création de la doctrine européenne378, et que sa définition tirerait son origine du droit communautaire379.
D’après le Professeur Le Tourneau, l’expression serait « malvenue », car « ce n’est jamais le risque qui exonère, mais le défaut inconnu lors du lancement du produit »380. À cet égard, la professeure espagnole Maria Angeles Parra Lucan prétend que l’expression « risque de développement » ne constitue qu’une abréviation dont le significat est : les risques que le développement technique et scientifique nous permet de découvrir381.
2. L’adoption de la défense
En raison de la diversité législative dans laquelle le risque de développement est mentionné en Europe, un auteur français affirme qu’une telle cause d’exclusion a une portée large, c’est-à-dire qu’elle ne se restreint pas aux produits défectueux. Selon cet auteur, le concept s’appliquerait à « tout phénomène indécelable susceptible de causer un dommage » dès qu’il découle d’une activité humaine.382

378 Pascal OUDOT, Le risque de développement, Contribution au maintien du droit à réparation, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2005, p. 14 ; Philippe Le TOURNEAU, Responsabilités des vendeurs et fabricants, Paris, Éditions Dalloz, 2006, p. 110.
379 P. OUDOT., préc., note 378, p. 25.
380 P. TOURNEAU, préc., note 378.
381 M. JUNQUEIRA CALIXTO, préc., note 374, p. 183, note 283, en citant Maria Angeles PARRA LUCAN, Daños por productos y protección del consumidor, Barcelona, Jose Maria Bosch Editor ,1990, p. 519/520.
382 P. OUDOT., préc., note 378, p. 17.

Dans le cadre de la communauté européenne, la défense du risque de développement a été adoptée pour la première fois par la Directive 85/374383 concernant la responsabilité du fait des produits défectueux. L’article 7 de la directive énonce les causes qui peuvent exclure la responsabilité du fabricant envers la victime du fait de son produit, et le risque de développement en fait partie. Le texte précise ainsi que le producteur ne sera pas tenu responsable s’il prouve « que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ».
Presque une décennie plus tard, les États membres ont signé la Convention de Lugano384 sur la responsabilité des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement. Cette convention les autorisait à exclure la responsabilité de l’exploitant lorsque l’état des connaissances scientifiques et techniques « au moment de l’événement ne permettait pas de connaître l’existence des propriétés dangereuses de la substance ou le risque significatif que présentait l’opération concernant l’organisme »385.
Enfin, la Directive 2004/35386 sur la responsabilité environnementale prévoit la possibilité pour les États membres d’exclure la responsabilité de l’exploitant pour les coûts des actions environnementales. Toutefois, il est essentiel que celui-ci prouve qu’il n’a pas commis de faute ou de négligence et que le dommage est dû à une émission ou à un mode d’utilisation d’un produit dans le cadre d’une activité qui en règle générale n’est pas « susceptible de causer des dommages à l’environnement au regard de l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment où l’émission ou l’activité a eu lieu »387.
Lire le mémoire complet ==> (La responsabilité civile de l’industrie pharmaceutique : le risque de développement)
Étude comparative des droits brésilien et québécois
Mémoire présenté à la Faculté de droit en vue de l’obtention du grade de Maîtrise en droit (LL.M.)
Université de Montréal – Faculté des études supérieures et postdoctorales

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