Définition du réfugié, Qu’est-ce qu’un réfugié ?

Définition du réfugié, Qu’est-ce qu’un réfugié ?

A : Définir, c’est classer

Comme nous l’avons signalé, il y a interaction entre l’anthropologue et son terrain, c’est donc un acte décisoire de commencer par définir l’un ou l’autre. Initier et justifier notre démarche au départ d’une confession semble toutefois le chemin le plus emprunté dans notre discipline. (LE ROY, 1999 : 9)

Exerçant la profession d’avocat dans ce domaine spécialisé qu’est le droit des étrangers/droit des réfugiés2, c’est un sentiment d’impuissance qui nous a d’abord saisi, laissant rapidement place à de l’incompréhension face au refus de comprendre une situation du fait de son caractère impensable, refus opposé par des juges et agents étatiques chargés de protéger le territoire d’une « invasion », pensions-nous.

Face, ou à côté, d’une perspective juridique : « Qu’est-ce qu’un réfugié ? » (CARLIER), nous avons voulu privilégier l’homme : « Qui est, ou qui sont, le(s) réfugié(s) ? », une perspective anthropologique. Ainsi s’est présenté le terrain qui, bien sûr, ne se limite pas à la personne du réfugié lui-même, comme nous aurons l’occasion de le montrer (Cf. infra, chap. II, Partie I). Il inclut aussi toutes ces personnes qui non seulement frustraient l’avocat d’une belle victoire, mais encore le laissaient coi et inquiet. Tel était le questionnement initial. Nous voulions savoir ce qui se cachait derrière la norme et son usage, quelle réalité, quelle vérité.

2 Nous reviendrons (Cf. infra Partie I, chap. I, II/) sur la spécificité du droit des réfugiés. Notons dès à présent que le droit des étrangers englobe le droit des réfugiés en ce que celui-ci porte sur le contentieux du regroupement familial, de la nationalité, de la régularisation, etc.

Mais ce dernier s’en distingue par les instances spécifiques qui fournissent le cadre de la procédure de reconnaissance du statut de réfugié. Les avocats usent de ce vocable pour désigner leur spécialité, mais celui-ci n’est pas toujours reconnu. Ainsi, par exemple, il existe, en Belgique, au Barreau de Bruxelles, un classement des avocats par matière dans lequel apparaît le « droit des étrangers », pas au Barreau de Paris.

Cela revenait à définir un terrain en s’appuyant sur la prise de distance comme principe méthodologique universel (KILANI : 47). Et, dans cette occurrence, comme le signale encore KILANI :

« [Cette distanciation] est d’autant plus [nécessaire] là où il existe un écart entre le dire et le faire, le discours et la pratique. Cela est particulièrement le cas de la société moderne, où la société « officielle », qui fonctionne de façon majoritaire sur le mode juridique et contractuel et sur la base de structures formelles, ne coïncide pas souvent avec la société « réelle », c’est-à-dire avec les pratiques sociales, les conflits, les réseaux de sociabilité tels que nous pouvons les vivre ou les observer. » (47,48) Nous aurons l’occasion de l’observer (Cf. Partie II).

Partir de la société pour arriver à la norme et la questionner, c’est à dire renverser la perspective communément adoptée par les juristes qui partent, eux, en principe, de la norme (LE ROY, 1999 : 178 ; EBERHARD, 2000 : 58), cela revenait aussi à définir, au sens de décrire (ROBERT, 1973), « (…) comme objet d’investigation (une) unité sociale de faible ampleur à partir de (la)quelle (on) tente d’élaborer une analyse de portée plus générale, appréhendant d’un certain point de vue la totalité de la société où (cette) unité s’insère. » (AUGE, cité par KILANI : 33).

Ces réfugiés qui arrivent « chez nous », en Europe, en Occident, « dans le monde industrialisé » (HCR, 2000 : 155-183), créent les dynamiques d’une expérience de l’altérité par la rencontre de deux mondes.

C’est d’une véritable problématique d’anthropologie juridique dont il s’agit, de cet itinéraire « dont les balises sont l’altérité, la complexité et l’interculturalité » (EBERHARD, 2002 : 1). On pourrait dire, en faisant ainsi référence à cette vision première et désormais dépassée, mais encore tellement répandue et surtout tellement parlante pour le profane, que l’exotisme s’est déplacé.

Les demandeurs d’asile sont en effet, pour la plupart, issus de régions fournissant traditionnellement le lieu par excellence de l’ethnographie (Afrique, Asie, Amérique latine, …) et, en outre, pour des raisons faisant elles- mêmes partie du rapport à l’altérité : problèmes ethniques, appartenance à un groupe social particulier, …

Et ils viennent à la rencontre d’un univers occidental dominé par d’autres logiques, parlons sans ambages, dominé par la norme (ALLIOT, 1983). Ils viennent ainsi dans notre monde propre, loin des guerres et de la violence et créent le leur sous nos yeux, que nous ne voyons pas car en marge, sur les bords, dans des non-lieux (AGIER).

Précisons ici que le temps est un facteur primordial de toute observation. A cet égard, idéalement, l’anthropologie est probablement parmi les derniers « métiers » du monde moderne pour qui le temps est un atout, joue en sa faveur.

Ceci pour dire que, question de temps, nous avons délaissé un acteur pour un autre, les réfugiés pour les avocats (Cf. Partie II). Face à un relativement bon accueil de la part des avocats, je n’avais que suspicion et méfiance de la part des demandeurs d’asile, et la confiance ne s’installe que sur une certaine longueur.

En outre, en ma qualité d’avocat, je véhiculais une image difficilement dissimulable dans le « milieu des réfugiés » et impossible à déconstruire sur le court terme3. Il est important également de connaître les contingences qui ont orienté le terrain dans un sens plutôt qu’un autre.

Partir de la société, c’est aussi refuser la compartimentation qu’elle nous propose (DUMONT, cité par LE ROY, 1999 : 178), ou justement, questionner cette compartimentation, son rapport à une certaine réalité. Et POUILLON nous met en garde contre les risques de réification des résultats de l’activité classificatoire qu’opèrent, entre autres, la norme, mais aussi le langage :

« On ne classe pas parce qu’il y a des choses à classer ; c’est parce qu’on classe qu’on en découvre. » 4 (122)

« Classer, en effet, consiste à opérer à la fois des regroupements et des distinctions, autrement dit à introduire des différences et des relations au sein d’une totalité confuse qui, autrement, resterait immaîtrisable parce que rien n’y serait discernable. » (112)

Partir de la société, c’est enfin chercher dans la totalité sociale la raison de la compartimentation, c’est « considérer la société comme point de départ et (d)’horizon » (LE ROY, 1999 : Id.). Nous entendons cette considération comme une application du « vieux » principe durkheimien appliqué à l’anthropologie juridique : expliquer le social par du social. C’est à dire que la société n’est pas seulement le principe explicatif, elle est encore l’écran sur lequel on projette nos conceptions et qui les réfléchit ou reflète, le reflet étant une réflexion atténuée.

Mais rechercher les raisons de notre cloisonnement par la norme, c’est, comme nous l’avons dit, poser la question de la vérité, dans son sens originel, c’est à dire la conformité au réel (ROBERT, 1993), l’« adéquation entre le discours et la réalité, entre les mots et les choses » (LECLERC : 206). Car en effet, « (l)’idée du “terrain” anthropologique est indissociable du dévoilement d’une vérité, qu’il s’agisse de la vérité symbolique ou plus modestement de la vérité du contexte de l’observation. » (DAKHLIA).

3 Cette image, je la véhiculais aussi bien sûr à l’égard des avocats, je ne pouvais rêver cette position d’observateur extérieur. Mais, même si elle était tout aussi prégnante et forte de représentations, elle suscitait, cette fois, la confidence, étant donné l’esprit de corps qui joue encore en plein dans le « milieu des avocats » (Cf. Partie II ; ORDRE FRANÇAIS DES AVOCATS DU BARREAU DE BRUXELLES, 2002b).

La vérité est donc acquise, elle est là, elle existe et est opératoire. Cela ne veut pas dire qu’il faille rechercher les raisons d’un tel cloisonnement par la norme dans la norme comme le voudrait la théorie des systèmes autopoïétiques (fermés, indépendants) prônée par KELSEN pour le droit. Car la norme est indissociable de la société et le Droit est à envisager « (…) à la fois comme produit social et producteur de socialité. » (LE ROY, 1999 : 179).

Il y a donc un travail dialectique. Toute classification est à la fois réelle, ou matérielle (GODELIER), et idéelle. Les « choses » peuvent donc être classées de différentes manières, selon les « mythes » (PANIKKAR, cité par EBERHARD, 2001 : 183) qui sous-tendent notre pensée et l’organisent en schèmes conceptuels5, en même temps qu’elles doivent « (…) s’enraciner dans la réalité, correspondre à des écarts objectifs ; autrement dit, le réel doit être lui-même classable. » (POUILLON : 113).

Après nous avoir permis de questionner la norme dans son abstraction, l’inversion de topique doit maintenant nous amener à nous pencher sur le « réfugié » proprement dit, dans sa réalité « tangible » d’abord et sa « vérité » juridique ensuite. C’est l’objet des deux points suivants.6

4 Une sorte d’hypothèse Sapir-Whorf (BONTE & IZARD : 797) dans laquelle on substituerait le droit au langage.

5 « Car nous ne pensons pas forcément le monde tel qu’il est … » (ROULAND : 439)

6 La classification dont il est question ici s’entend d’une classification exogène, même si elle est réappropriée dans un second temps par les « réfugiés » eux-mêmes. Cela s’explique par le choix de l’unité sociale de départ :

les avocats. MERCIER nous donne un exemple de cette réappropriation par le réfugié dans le discours de Karafa qui nous explique pourquoi, étant d’origine gambienne, il a choisi la France comme pays d’immigration :

« – (Karafa) : Donc, j’ai quitté chez moi, je viens, je viens en Allemagne, oh la la, c’était très dur là- bas. Parce que, comment j’ai trouvé les gens là-bas, qu’est-ce qu’ils ont fait là-bas, moi, ça m’intéresse pas, je veux pas faire.

– Tu veux parler du trafic ?

– Vendre la drogue, comme ça, là… beaucoup de trafic…moi je regarde comme ça… je veux pas le faire !

– Hm hm, hm hm.

– Donc j’ai fait le réfugié (c’est nous qui soulignons), il m’a rejeté, j’ai demandé encore une, il m’a rejeté, j’ai demandé encore une, il m’a rejeté… Jusqu’à il m’a attrapé pour m’envoyer en Afrique.

J’ai fait deux mois en prison.

– En Allemagne ?

– Allemagne.

(…)

– Donc, les gens.. il y avait un copain là-bas, lui il et marié là-bas, il m’a dit que toi maintenant qu’est-ce que tu vas faire ? Il faut sortir d’Allemagne, parce que tu fais tous les moyens, t’as pas la chance ici, il faut sortir. Tu peux aller en France…pour voir la chance aussi là-bas. J’ai dit oui, tu as raison. Donc, j’ai acheté le billet, le truc-là, le car.

– Ah oui, tu m’avais dit que tu es venu en car. Mais tu avais un visa pour l’Allemagne ?

– Non. Je suis rentré comme ça. Je viens du Danemark. Avant il n’y a pas besoin de visa entre Gambie et Copenhagen. Je suis parti là-bas, j’ai fait là-bas aussi… parce que je peux pas rester là- bas, il faut que je fasse quelque chose. J’ai demandé réfugié. » (15, 16). Voir aussi HENRY (60).

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Pour une anthropologie juridique du droit des réfugiés
Université 🏫: Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Ecole Doctorale De Droit Compare DEA - Etudes Africaines
Auteur·trice·s 🎓:
Hugues BISSOT

Hugues BISSOT
Année de soutenance 📅: Mémoire de DEA - Option : Anthropologie Juridique et Politique - 2001-2003
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