Causes qui excluent la responsabilité du fabricant de médicaments

F. Les causes qui excluent la responsabilité du fabricant

Que ce soit au Brésil ou au Québec, il appartient au consommateur de démontrer que les éléments constitutifs de la responsabilité du fabricant sont présents. Ces éléments varient toutefois selon le système juridique.
Au Brésil, par exemple, le consommateur est seulement tenu de prouver le dommage subi et le lien de causalité avec le médicament, puisque le défaut en tant que tel est présumé. Il en est de même pour les rapports régis en vertu de la Loi sur la protection du consommateur au Québec. Par contre, à l’égard du régime extracontractuel, le tiers doit prouver l’existence d’un défaut de sécurité, le dommage et le lien entre eux315.
Au cours de notre étude, nous avons constaté que même si les éléments varient d’un système à l’autre, le fabricant peut faire valoir deux types d’arguments pour écarter sa responsabilité : (i) l’inexistence d’un des éléments constitutifs de la responsabilité ; (ii) la survenance d’une des causes d’exonération de la responsabilité. Quant à ces derniers, nous les avons regroupées en cinq catégories, dont la majorité sont communes aux systèmes brésilien et québécois, soit implicitement, soit sous une dénomination différente. Par contre, comme nous le verrons par la suite, certaines sont exclusives à l’un ou à l’autre des régimes.

315 En la common law, le demandeur dans une action pour négligence est tenu de démontrer que les cinq éléments du délit de négligence sont présents : 1) l’obligation de diligence ; 2) le manquement à la norme de diligence ; 3) la causalité factuelle ; 4) la proximité causale ; 5) le préjudice. A. M. LINDEN, préc., note 243; Louise BÉLANGER-HARDY et Denis BOIVIN, La responsabilité délictuelle en common law, Cowansville, Yvon Blais, 2005, p. 409.

Au Brésil, compte tenu de l’unification des régimes de responsabilité, celui qui subit un préjudice en raison de l’utilisation d’un médicament, que ce soit le consommateur-acheteur ou le tiers, se prévaudra des normes établies dans le Code du consommateur. Il est intéressant de signaler que malgré que celui-ci impose comme règle la responsabilité stricte du fabricant, cette dernière n’est pas absolue, puisque le code prescrit des causes qui permettent au fabricant d’exclure ou de réduire sa responsabilité. À cette égard, certaines causes d’exonération du fabricant sont expresses dans la législation (art. 12, paragraphe 3 C.D.C.), tandis que d’autres déduit de l’interprétation du Code du consommateur et aussi du régime général de responsabilité établie par le Code civil brésilien316.
Au Québec, lorsqu’un rapport est établi entre le fabricant et le tiers, ce sont les normes du régime extracontractuel qui s’appliquent, lesquelles sont prévues dans le Code civil du Québec. Celui-ci permet au fabricant de s’exonérer totalement ou partiellement de sa responsabilité lorsqu’une des causes énumérées aux articles 1470 et 1473 C.c.Q se présente. Par contre, en présence d’une relation contractuelle entre le consommateur direct ou le sous-acquéreur et le fabricant, celle-ci est régie par la Loi sur la protection du consommateur317, qui ne prévoit aucun moyen d’exonération de la responsabilité. En fait, selon le régime de la L.p.c., il y a une présomption de connaissance du défaut du produit de la part du fabricant (art. 53, alinéa 3 L.p.c.).
Néanmoins, la question de l’applicabilité de l’article 1473 C.c.Q. aux rapports régis par la L.p.c. a été soulevée dans l’affaire Thibault c. St. Jude Medical318. La cour, dans le cadre du jugement sur la demande d’autorisation d’un recours collectif, a souligné que le juge du fond devra répondre à la question suivante :
« [L]’application des garanties légales prévues à la L.P.C. fait-elle échec au moyen disculpatoire de responsabilité prévu à l’article 1473 C.c.Q ? » La question cependant reste ouverte, attendant le jugement sur le fond du recours collectif.
D’après nous, les causes d’exonération prévues à l’article 1473 C.c.Q. s’appliquent exclusivement aux relations extracontractuelles régies par le Code civil du Québec (art. 1468 C.c.Q). Il nous semble que si le législateur avait voulu l’étendre aux rapports contractuels, il aurait maintenu la rédaction originale de l’article, qui prévoyait la responsabilité du fabricant par rapport à « autrui »319 – ce qui comprendrait à notre avis toutes les victimes d’un défaut de sécurité – et non seulement envers « un tiers ».
Ce que nous proposons dans la présente section est d’effectuer une analyse des moyens d’exonération de la responsabilité adoptés par les droits brésilien et québécois. Parmi ces causes, nous en trouvons certaines qui sont applicables aux deux systèmes juridiques, même si la nomenclature peut varier. D’autres sont exclusives à un ou à l’autre des systèmes.
Une dernière remarque s’impose. En ce qui concerne la défense du risque de développement, étant donné que celle-ci constitue un thème central de ce travail, nous réservons un chapitre320 complet à son étude. Toutefois, pour situer le lecteur, il nous paraît utile de répéter que cette défense écarte la responsabilité du fabricant lorsque le préjudice causé par son produit découle d’un défaut qu’il est impossible de connaître lors de la fabrication ou de la mise en marché, compte tenu de l’état des connaissances scientifiques et techniques de l’époque. De plus, comme on le verra, il s’agit d’une cause de défense très controversée.

1. L’absence de défaut : un élément constitutif de la responsabilité ou une cause d’exclusion de la responsabilité ?

Nous avons déjà mentionné que les législations brésilienne et québécoise considèrent qu’il y a un défaut de sécurité lorsque le bien n’offre pas la sécurité à laquelle on est en droit de s’attendre.
Considérant que la responsabilité du fabricant est retenue lorsqu’un défaut se manifeste, la loi brésilienne prévoit expressément qu’en son absence, la responsabilité sera écartée (art. 12, paragraphe 3, alinéa II C.D.C.). L’alinéa nous paraît redondant, car si l’article 12 impute la responsabilité au fabricant lorsqu’on trouve un défaut, force est de conclure qu’en son absence, il n’y a pas de responsabilité. De plus, le défaut constitue un des éléments constitutifs de la responsabilité du fait du produit321, donc sans lui, on ne peut établir de lien de causalité entre le préjudice subi par la victime et l’acte du fabricant de produits médicaux 322.
À notre avis, le législateur brésilien a inclus l’absence de défaut parmi les causes d’exclusion de la responsabilité pour deux raisons. Premièrement, parce que les causes d’exclusion constituent une exception à la responsabilité du fabricant. Deuxièmement, en prévoyant l’inexistence du défaut comme cas d’exonération, le législateur a ainsi créé une présomption de défaut en faveur du demandeur. Dorénavant, la victime ne doit démontrer que l’existence d’un dommage et le lien de causalité avec le produit323, ce qui allège considérablement son fardeau de la preuve.
Notons que dans ce cas précis, la loi brésilienne traite les fabricants de manière plus rigoureuse que la Directive européenne. En effet, cette dernière prévoit l’exonération du fabricant de toute responsabilité s’il démontre qu’« il y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement »324. Ainsi, tandis qu’en droit européen, la preuve de la probabilité d’inexistence d’un défaut est suffisante pour écarter la responsabilité du fabricant, le droit brésilien exige plutôt la certitude de l’inexistence d’un défaut de conception, de fabrication ou d’information, fardeau beaucoup plus lourd. S’agissant cependant d’un fait négatif, la doctrine recommande que les juges ne soient pas trop rigoureux dans l’analyse de la preuve et qu’ils tiennent compte de façon raisonnable des circonstances, en considérant, par exemple, les spécificités du produit, la nature du défaut, le temps entre la mise en marché du bien et l’apparition du défaut ainsi que l’utilisation anormale du produit325.

321 La doctrine brésilienne est presque unanime sur les éléments constitutifs de la responsabilité du fabricant du fait du produit. Elle considère qu’il y en a trois : le défaut du produit, le dommage patrimonial ou extrapatrimonial et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. Z. DENARI, préc., note 177, p. 186; James MARINS, Responsabilidade da empresa pelo fato do produto : os acidentes de consumo no Codigo de Proteção do Consumidor, São Paulo, Editora Revista dos Tribunais, 1993. Par contre, Paulo de Tarso VIEIRA SANSEVERINO, supra, note 316, inclut un quatrième élément : le lien d’imputabilité. L’auteur le définit comme le lien entre le défaut du produit et l’activité du fabricant de produits médicaux. Il s’agit d’une position isolée dans la doctrine.
322 Z. DENARI, préc., note 177, p. 197.
323 P. T. VIEIRA SANSEVERINO, préc., note 316, p. 279, 343-344; S. L. FERREIRA DA ROCHA, préc., note
316, p. 106-107.

Il est important de souligner qu’à l’égard des médicaments, l’apparition d’un effet secondaire prévu et annoncé par le fabricant ne constitue pas un défaut, mais un risque inhérent à son utilisation. Les biens intrinsèquement dangereux ne seront pas considérés comme défectueux si le dommage découle d’un danger normal et prévisible, et si le public en est averti adéquatement (art 8 et 9 C.D.C.)326. Par contre, lorsque le produit est excessivement dangereux, sa mise en marché est interdite (art. 10 C.D.C.).
En outre, si le défaut apparaît postérieurement à sa mise en marché, le retrait du produit s’impose. Le médicament Cytotec illustre bien cette dernière situation. Le produit, fabriqué par Pfizer, a été mis sur le marché brésilien en 1984, afin de prévenir et de traiter les ulcères gastriques et duodénaux. Le produit a comme principe actif le misoprostol, substance contre-indiquée pour les femmes enceintes, puisqu’elle peut occasionner, en tant qu’effet secondaire, des malformations du fœtus et même des contractions utérines provoquant un accouchement prématuré ou un avortement327. C’est justement ce dernier effet indésirable et grave qui a entrainé comme conséquence le médicament est devenu la pilule abortive la plus populaire au pays328. Par conséquent, depuis 2008, le ministère de la Santé a interdit329 sa commercialisation, la restreignant aux hôpitaux330.

324 Directive 85/374, préc., note 224, art. 7 (b) (Nous soulignons).
325 P. T. VIEIRA SANSEVERINO, préc., note 316, p. 279, 343-344; S. L. FERREIRA DA ROCHA, préc., note
316, p. 106-107.
326 C.D.C., art. 8 et 9. [Traduction] Article 8 – Les produits et services offerts sur le marché n’entraîneront pas de risques pour la santé ou pour la sécurité des consommateurs, à l’exception de ceux considérés comme normaux et prévus en raison de sa nature et jouissance, obligeant les fournisseurs, dans toutes les hypothèses, à donner toutes les informations pertinentes et adéquates à son utilisation.

Alinéa 2. Dans le cas d’un produit industriel, le fabricant est tenu de fournir les informations visées au présent article, par biais de dépliants qui doivent accompagner le produit.
Article 9. Le fournisseur de produits et services potentiellement nocifs ou dangereux pour la santé ou pour la sécurité est tenu d’informer, de manière visible et adéquate, de sa nocivité et de son danger, ainsi que d’adopter d’autres mesures selon le cas. Pour la version originale,
Par ailleurs, au Québec, comme nous l’avons déjà souligné, les cas d’exonération de responsabilité sont limités au régime extracontractuel (art. 1468 C.c.Q.). Celui-ci n’inclut cependant pas l’absence du défaut de sécurité parmi les défenses possibles (art. 1473 C.c.Q.), et ce, parce qu’en réalité, il s’agit d’un élément constitutif de la responsabilité. L’article 1468 C.c.Q. attribue la responsabilité au fabricant pour le « préjudice causé à un tiers par le défaut de sécurité du bien », ce qui nous amène à conclure qu’en l’absence d’un défaut, il n’y a pas de responsabilité. Il importe de souligner que selon le système de responsabilité québécois, le fardeau de prouver le défaut appartient à la victime331. Le Code civil du Québec ne le présume pas332, comme le fait le Code du consommateur brésilien.

327 Pfizer, Cytotec. Site [En ligne] http://media.pfizer.com/files/products/ppi_cytotec.pdf (Page consultée le 06 mars 2009).
328 Au Brésil, provoquer un avortement est encore de nos jours, malgré de vifs débats, une pratique criminelle. L’acte est interdit par les articles 124, 125 et 126 du Code pénal brésilien, qui prévoient des peines d’emprisonnement de 1 à 10 ans, selon l’agent et les circonstances. Le code cependant l’autorise lorsqu’il est pratiqué par un médecin dans deux cas précis : lorsque la grossesse met en danger la vie de la mère ou en cas de grossesse résultant d’un viol (art. 128, I et II Code pénal).
329 ANVISA. Portaria 344/98, art. 25, parágrafo único. Site [En ligne] www.anvisa.gov.br/legis/portarias/344_98.htm (Page consultée le 06 mars 2009).
330 ANVISA. Ofertas do Cytotec são retiradas da internet. Notícias da ANVISA, Brásilia. Site [En ligne] http://www.anvisa.gov.br/DIVULGA/NOTICIAS/2006/240306_1.htm (Page consultée le 06 mars 2009). Le Cytotec n’est plus commercialisé au Canada, sa production a été arrêtée en 2004 pour le Cytotec 100 MCG et en 2005 pour le Cytotec 200 MCG (Consulter en ligne, Santé Canada http://205.193.93.51/dpdonline/searchRequest.do). Il est encore commercialisé aux États-Unis (Consulter en ligne. http://www.pfizer.com/products/rx/rx_product_cytotec.jsp). Malgré les efforts du gouvernement brésilien pour empêcher l’accès des femmes à ce médicament, il peut être facilement obtenu en ligne. À cet égar, consulter Bruna Talarico. Orkut : a um clique do aborto clandestino, dans Jornal do Brasil online, février 2009. Site [En ligne] http://jbonline.terra.com.br/nextra/2009/02/14/e140212639.asp (Page consultée le 06 mars 2009).
331 J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, préc., note 150, n° 372, p. 328.
332 ING Groupe Commerce Inc. c. General Motors du Canada ltée, EYB 2005-99372 (C.S.) ; Imbeault c. Bombardier Inc., [2006] R.R.A. 462 (C.S.), EYB 2006-101315.

En ce qui a trait à la Loi sur la protection du consommateur, nous avons vu qu’elle attribue une présomption absolue de connaissance du vice ou du défaut au fabricant. Nous pouvons donc en conclure qu’il ne serait pas logique de reconnaître la responsabilité du fabricant s’il n’y a pas de défaut, pour des raisons semblables à celles qu’on trouve dans le régime extracontractuel.

2. L’accident inévitable, la force majeure ou le cas fortuit

Cette cause d’exclusion de la responsabilité est applicable aux deux systèmes à l’étude. Toutefois ce qu’on désigne comme une « force majeure » dans le Code civil du Québec (art. 1470, alinéa 2 C.c.Q.), le droit brésilien l’appelle un « cas fortuit » ou une « force majeure » (art. 398 C.c.Q.)333. Néanmoins, l’expression, bien que différente, réfère au même concept.
Geneviève Viney et Patrice Jourdain définissent la force majeure comme une « contrainte irrésistible », ajoutant qu’en responsabilité civile, cette expression désigne « l’événement qui, d’une part, a eu sur la réalisation du dommage une influence si déterminante qu’il a rendu pratiquement négligeable le rôle des autres conditions et qui, d’autre part, a rendu impossible l’exécution des obligations du débiteur […] »334.
Il faut souligner que ce moyen d’exclusion n’est pas explicitement prévu par le Code du consommateur brésilien, ce qui contribue encore de nos jours à créer certaines divergences quant à son application. La controverse repose sur le fait que pour certains auteurs, les causes d’exclusion édictées au paragraphe 3 de l’article 12 du C.D.C. seraient des numerus clausus, car ils sont d’avis que la responsabilité du fabricant sera écartée « seulement » lorsqu’il prouvera une des situations expresses déjà prévues. De plus, comme il s’agit d’une exception à la responsabilité stricte, les partisans de cette théorie ajoutent que si le législateur avait voulu l’inclure parmi les moyens d’exonération, il aurait dû le faire expressément335.

333 Il y a longtemps que la doctrine brésilienne tente de distinguer la force majeure du cas fortuit sans vraiment arriver à un consensus. Le législateur, par contre, a unifié les deux en un seul article, car malgré l’intérêt théorique de les différencier, en pratique, les effets sont les mêmes. Ainsi, l’article 393 du Code civil écarte la responsabilité du débiteur lorsque le dommage résulte d’un cas fortuit ou d’une force majeure, sauf en présence d’une clause de responsabilité. L’article ajoute qu’il y a cas fortuit ou force majeure lorsque les effets découlant du fait qui a occasionné le préjudice étaient impossibles à éviter ou à prévenir. Pour la version originale de l’article, voir Annexe I.
334 Geneviève VINEY et Patrice JOURDAIN, « Les conditions de la responsabilité », dans Jacques GHESTIN (dir.), Traité de droit civil, Paris, L.G.D.J., 2006, n. 392, p. 264.

Une parte de la doctrine l’accepte cependant comme une cause d’exclusion de la responsabilité, y compris les juristes impliqués dans la rédaction de l’avant-projet du Code du consommateur336. Pour eux, la force majeure et le cas fortuit sont des causes générales d’exonération découlant du système même de responsabilité; et malgré que le Code du consommateur constitue une loi spéciale, son interprétation suit les méthodes systématique et téléologique, or les causes d’exonérations prévues par le régime générale de la responsabilité civile qui lui sont compatibles seront donc admissibles337.
Cette dernière position a été avalisée par le Tribunal Supérieur de Justice338 dans le jugement rendu dans l’affaire Francisco Gonzaga Reis c. Auto Posto Cyborg Ltda339. La cour, analysant la responsabilité de Cyborg, une station de service, relativement au vol du véhicule du demandeur, qui se trouvait à l’intérieur de l’établissement défendeur, a affirmé que le silence du Code du consommateur concernant l’exonération fondé sur la force majeure ne doit pas être interprété comme l’excluant des moyens de défense.

335 Nelson NERY JUNIOR, « Os principios gerais do Codigo brasileiro de Defesa do Consumidor », dans Antonio Herman de Vasconcellos BENJAMIN, Revista de Direito do Consumidor, n. 3, São Paulo, Revista dos Tribunais, 1992, p. 56;
336 A. PELLEGRINI GRINOVER et autres, préc., note 177.
337 P. T. VIEIRA SANSEVERINO, préc., note 316, p. 305.
338 Le Tribunal Supérieur de Justice – en portugais Superior Tribunal de Justiça (STJ) – est une cour de niveau fédérale créée par la dernière Constitution fédérale (1988), afin d’analyser en dernière instance les dossiers en matière extraconstitutionnelle. Il faut noter qu’avant son institution, la dernière instance judiciaire en matière constitutionnelle et infraconstitutionnelle était le Tribunal Fédéral Suprême – en portugais Supremo Tribunal Federal (STF) – dont la compétence est actuellement limitée aux matières constitutionnelles.
339 Francisco Gonzaga Reis c. Auto Posto Cyborg Ltda., [2000] REsp 120647/SP, STJ, Terceira Turma, p. 156. (Ci-après « Cyborg »). Site [En ligne] http://www.stj.jus.br/webstj/Processo/JurImagem/frame.asp?registro=199700123740&data=15/05/200 0 (Page consultée le 10 mars 2008).

En fait, le ministre340 Eduardo Ribeiro souligne que si le législateur avait l’intention de l’exclure, il l’aurait fait expressément, car le cas fortuit et la force majeure sont des principes séculaires du droit. Il fonde sa conclusion sur l’alinéa III du paragraphe 3, article 12 C.D.C., qui prévoit la faute du tiers comme une des causes d’exclusion de la responsabilité. D’après le ministre, dans la présente affaire, la force majeure étant le fait d’un tiers qui a empêché le débiteur d’accomplir son obligation, il serait paradoxal de l’exclure par rapport à l’alinéa mentionné ci-dessus341.
Pour notre part, nous appuyons la deuxième thèse, car si le législateur a prévu l’exonération résultant du fait du tiers, choix sur lequel nous reviendrons, il serait vraiment contradictoire qu’il a voulu mettre de côté la force majeure, fait également extérieur au contrôle du fabricant.
Une remarque s’impose. La force majeure n’écartera la responsabilité du fabricant que lorsqu’elle sera postérieure à la mise en marché du produit, car si elle est antérieure, on présumera que ce dernier connaissait le défaut du produit342. De plus, dès que le fabricant prend connaissance de la survenance du défaut, même s’il résulte d’une force majeure, il est tenu de divulguer le danger aux autorités compétentes et aussi aux consommateurs, par le biais d’annonces publicitaires343.
Pour sa part, le Code civil du Québec donne à l’expression « force majeure » (y compris le cas fortuit) une définition différente de celle adoptée par la loi brésilienne. Nous avons vu qu’aux termes de l’alinéa 2 de l’article 393 du Code civil brésilien, constituent des cas de force majeure les faits dont les effets étaient impossibles à éviter ou à empêcher. Le code québécois, par contre, ajoute l’imprévisibilité du fait comme caractéristique de la force majeure. Ainsi, aux termes de l’alinéa 2 de l’article 1470 C.c.Q., « la force majeure est un événement imprévisible et irrésistible ; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères. »

340 Au Tribunal Supérieur de Justice et au tribunal Suprême Fédéral, les juges ont le nom de « Ministres ».
341 Dans le même sens que l’affaire Cyborg: BP Estacionamento do Brasil Ltda c. Finasa Seguradora S/A, [2008] REsp 996833, STJ, Terceira Turma, p. 1; Sociedade Beneficiente Israelita Brasileira – Hospital Albert Einstein c. Paulo de Tarso Torres Leite Soares, [2002] REsp 330523/SP, STJ, Terceira Turma, p. 278.
342 P. T. VIEIRA SANSEVERINO, préc., note 316, p. 312; J. MARINS, préc., note 321, p. 125.
343 Code du consommateur, art. 10, paragraphe 1. [Traduction] Article 10. […] Paragraphe 1. Le fournisseur de produits et services qui, postérieurement à la mise en marché, prend connaissance du danger qu’ils présentent, devra communiquer le fait immédiatement aux autorités compétentes et aux consommateurs, par biais d’annonces publicitaires.

Les auteurs québécois s’entendent pour dire que même si la force majeure (art.1470 C.c.Q.) n’est pas prévue à l’article 1473 C.c.Q. qui énumère les moyens de défenses du fabricant dans le cadre du régime extracontractuel, elle s’applique aux rapports fabricant-tiers, car il s’agit de normes de portée générale344. Un auteur se demande cependant si étant donné les limites établies par l’article 1473 C.c.Q., il faudrait refuser la défense basée sur la force majeure lorsqu’elle se produit pendant la fabrication du bien, c’est-à-dire avant sa mise en marché345, parce qu’avant la commercialisation, le fabricant a le contrôle sur le bien ; il doit d’ailleurs s’assurer que le produit commercialisé est libre de tout défaut.
À notre avis, le raisonnement s’avère pertinent, puisque le fabricant est censé mettre en marché un produit sécuritaire (art 1468 C.c.Q.). Lorsque la force majeure se produit après la mise en marché, ce serait alors une situation où le fabricant n’aurait plus le contrôle effectif sur le bien. Toutefois, s’il prend connaissance du défaut, il est tenu d’informer le public, car en agissant de manière contraire, il violerait son devoir d’information.
Si la force majeure rompt le lien de causalité, est-elle applicable aux rapports régis par la Loi sur la protection du consommateur ? D’après Jeffrey Edwards, la force majeure décharge le fabricant dans les rapports extracontractuels, mais non dans le régime contractuel de la L.p.c.346. Ainsi, étant donné que la Loi sur la protection du consommateur impose au fabricant une garantie de qualité sur son produit, il devrait assurer l’usage auquel le bien est destiné et il serait présumé connaître les éventuels risques que comporte son produit.

344 J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, préc., note 150, n° 373, p. 379; P.-G. JOBIN, préc., note 225, nº209, p. 290.
345 P.-G. JOBIN, préc., note 225, nº 209, p. 290.
346 J. EDWARDS, préc., note 241, p. 148. L’auteur souligne, à la note 745, que l’acheteur est protégé contre la défense de la force majeure avant la vente ; voir également N. L’HEUREUX, préc., note 149, p.71.

3. La connaissance du défaut, l’acceptation volontaire du risque et la faute exclusive ou contributoire de la victime ou du tiers

Au Brésil, la connaissance du défaut et l’acceptation du risque sont comprises dans le moyen de défense appelé la « faute exclusive du consommateur ou du tiers » [traduction] (art. 12, §3º, III C.D.C. Nous soulignons.)347. Sur la faute exclusive de la victime, certains auteurs s’entendent pour dire que si le demandeur a librement choisi d’utiliser un produit dont il connaissait le défaut et qu’il pouvait prévoir les dangers qui en découleraient, il en a alors accepté les risques. Ainsi, il ne peut prétendre être dédommagé si son acte constitue la seule raison du dommage348.
Une controverse repose toutefois sur l’effet que l’acte du consommateur a pu avoir. La doctrine diverge sur la possibilité de partager la responsabilité entre la victime et le fabricant, lorsque la première a contribué au dommage. D’une part, les auteurs qui sont contre la prise en compte de la faute contributoire de la victime dans le calcul de l’indemnisation arguent que la loi ayant créé la responsabilité objective du fabricant, les causes pouvant l’exclure ou l’atténuer doivent avoir été expressément prévues par le législateur. Ils prétendent que la contribution de la victime à la survenance du dommage n’a aucun impact sur la responsabilité du fabricant349.

347 C.D.C., art. 12 (3). Pour consulter la version originale, voir Annexe II.
348 Z. DENARI, préc., note 177, p. 197-198. S. L. FERREIRA DA ROCHA, préc., note 316, p. 107-108.; P. T. VIEIRA SANSEVERINO, préc., note 316, p. 281-284.
349Antônio Herman de Vasconcellos BENJAMIN, Commentários ao Código de Proteção do Consumidor, Juarez de OLIVEIRA (dir.), São Paulo, Editora Saraiva, 1991, p. 66 ; Luiz Antônio RIZZATO NUNES, Comentários ao Código de Defesa do Consumidor, São Paulo, Editora Saraiva, 2000, p. 196/197; DENARI, préc., note 177, p. 198; S. L. FERREIRA DA ROCHA, préc., note 316, p. 107-109.
350 P. T. VIEIRA SANSEVERINO, préc., note 316, p. 289; J. MARINS, préc., note 321, p. 152.

D’autre part, certains auteurs croient que le partage de la responsabilité serait compatible avec le régime de responsabilité adopté par la loi, puisque l’article 12, paragraphe 3, ne prévoit que les causes qui excluent la responsabilité, ne touchant pas à celles qui l’atténuent350. Malgré que cette position soit minoritaire en doctrine, les tribunaux paraissent plus enclins à l’adopter351. Le Tribunal supérieur de justice n’a pas encore rendu de décision de principe sur la question. Toutefois, certaines décisions rendues par cette cour, nous font croire qu’elle penche également pour diminuer l’indemnisation lorsque la victime a contribué à la survenance du dommage352.
En ce qui a trait à la faute353 exclusive des tiers354, il y a peu à dire. Il paraît clair que lorsqu’un consommateur subit un préjudice en raison de l’acte d’un tiers, même en présence d’un défaut du produit, le lien de causalité entre le dommage et l’acte du fabricant est rompu. Il faut cependant que l’acte du tiers soit la cause exclusive du préjudice, car la seule contribution de celui-ci n’écarte pas la responsabilité du fabricant ; il est possible, par contre, d’invoquer la solidarité entre eux (art. 7, alinéa 2 C.D.C.). Pour illustrer cette situation, imaginons un hôpital qui administre à un patient un médicament dont la date est déjà expirée. Si ce fait a été suffisant pour créer un dommage chez le patient, le fabricant ne sera pas tenu responsable du fait de son produit, puisque le dommage est survenu en raison de l’acte d’un tiers.

351 Marcia Cristina de Oliveira Della Pozza c. Liquigas Distribuidora S.A., [2008] n. 70023942006, TJRS. Site [En ligne] http://www.tjrs.jus.br/site_php/jprud2/resultado.php; Maldaner Comércio e Representações de Moto Peças Ltda. c. Anderson Clodover dos Santos, [2008] n. 2006.041687-8, TJSC. Site [En ligne] http://app.tjsc.jus.br/jurisprudencia/acnaintegra!html.action?qID=AAAG%2B9AAMAAAsjIAAB&qT odas=%22responsabilidade+do+fornecedor%22+e+%22culpa+concorrente%22&qFrase=&qUma=&q Cor=FF0000
352 Agência de Viagens CVC Tour Ltda. c. Renato Esteves Versolatto, [2001] REsp. 287.849/SP, 4ª.Turma. Site [En ligne] http://www.stj.jus.br/SCON/jurisprudencia/toc.jsp?tipo_visualizacao=RESUMO&livre=%22responsab ilidade+do+fornecedor%22+e+%22culpa+concorrente%22&b=ACOR; Andrea Gomes Nunes Schapke c. Banco Itau S.A., [2006] REsp. 712591/RS, 3ª.Turma. Site [En ligne] http://www.stj.jus.br/SCON/jurisprudencia/doc.jsp?processo=712591&&b=ACOR&p=true&t=&l=10&i=2
353 L’utilisation du mot « faute », en portugais « culpa », est critiquée par la doctrine, car il suffit que l’intervention d’un tiers, fautive ou non, ait causé un préjudice pour que la responsabilité du fabricant soit exclue. P. T. VIEIRA SANSEVERINO, préc., note 315, p. 295.
354 Selon Sanseverino, Id., le tiers est toute personne qui n’est pas comprise dans la définition de « fournisseur » des articles 3, 12 et 14 du C. D. C. PS.

En droit québécois, l’acceptation volontaire du risque n’entraîne pas la renonciation au recours contre l’auteur d’un dommage (art. 1477 C.c.Q.), même si ce dommage est considéré comme provenant d’une imprudence de la part de la victime, ce qui pourrait justifier un partage de responsabilité355. Par contre, selon une décision, pour que le défendeur soit reconnu responsable, il faut démontrer sa faute intentionnelle, lourde ou grossière356.
Ainsi, dans un rapport extracontractuel (art. 1468 C.c.Q.), le fabricant pourra se dégager partiellement 357 ou totalement358 de sa responsabilité « s’il prouve que la victime connaissait ou était en mesure de connaître le défaut du bien, ou qu’elle pouvait prévoir le préjudice » (art. 1473, al. 1 C.c.Q.). Le fabricant est d’ailleurs tenu d’informer l’usager des dangers cachés, inconnus et inhérents à l’utilisation du produit359, par conséquent, lorsque le tiers, après avoir reçu les informations nécessaires à la prise d’une décision libre et éclairée, décide d’utiliser le produit, il a, en réalité, accepté les risques de la marchandise360.
À l’égard du régime de protection institué par la Loi sur la protection du consommateur, lorsque le consommateur pouvait déceler le défaut au moyen d’un examen ordinaire, il perd son recours contre le fabricant (article 53, al. 1 L.p.c.). Autrement dit, le consommateur commet une imprudence en utilisant un bien qu’il savait être défectueux. Il ne pourra donc invoquer la garantie légale, puisqu’il a contracté en toute connaissance de cause361.

355 J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, préc., note 140, n° 373, p. 379; P.-G. JOBIN, préc., note 224, nº209, p. 290, p. 182-183.
356 Morin c. Centre école de parachutisme Atmosphair Inc., [2004] EYB 2004-72142, n. 55.
357 Imbault c. Bombardier Inc., préc., note 332.
358 Labrecque c. Société d’aluminium Reynolds du Canada Ltée, EYB 2002-36246 (C. S.).
359 Jean-Louis BAUDOUIN, Yvon RENAUD, Code civil du Québec annoté, Tome 2, 12e. éd., Montréal, Wilson & Lafleur Ltée, 2009, p. 1961. Les auteurs citent les jugements suivants : Accessoire d’autoVipa c. Therrien, (C.A., 2003-08-21), SOQUIJ AZ-50189437, J.E. 2003-1653, [2003] R.J.Q.
239; Mulco Inc. c. Garantie (La), Cie d’assurance de l’Amérique du Nord, (C.A., 1990-01-19), SOQUIJ AZ-90011222, J.E. 90-281, [1990] R.R.A. 68.
360 Il nous apparaît qu’en certaines circonstances, ce moyen de défense ne trouve pas d’incidence. Par exemple, lorsqu’une femme enceinte prend un médicament qui occasionne un préjudice au fœtus et que son enfant naît avec des problèmes de santé. Il est certain que dans ce cas, le fœtus n’a pas pris de décision en ce qui concerne le traitement suivi par sa mère et, par conséquent, qu’il n’a accepté aucun risque.
361 N. L’HEUREUX, préc., note 149, p. 64.

Une remarque s’impose. La défense d’acceptation des risques est plus couramment utilisée dans le domaine sportif. À l’égard des médicaments, cette défense est plus restreinte, et ce, parce que la LAD et la Loi sur la fabrication des médicaments brésilienne interdisent la mise en marché d’un produit défectueux. L’innocuité des médicaments est une condition sine qua non pour l’obtention d’une autorisation de commercialisation et elle doit être assurée par le fabricant durant toute la vie marchante du produit. Autrement dit, on n’accepte pas la commercialisation d’un médicament dont le défaut est connu par son producteur ou même par le consommateur.
Il est toutefois notoire que les médicaments présentent habituellement des caractéristiques nocives inhérentes à leur nature même. Cela n’est toutefois pas considéré comme un défaut, mais plutôt comme un risque acceptable par la société, en raison de son caractère essentiel au traitement et à la prévention des maladies. Il en est ainsi par exemple des effets secondaires. Ceux-ci doivent cependant être suffisamment et clairement mentionnés par le fabricant. Le public doit ainsi être averti des risques et des effets indésirables possibles lui permettant d’analyser les avantages et les désavantages du produit, et d’accepter ou de refuser les conséquences de sa consommation, qui peuvent s’avérer dévastatrices.
C’est pourquoi nous sommes d’avis que le fabricant de médicaments pourrait se servir de cette défense pour écarter sa responsabilité dans le cas où le consommateur a librement consommé le médicament, malgré sa connaissance d’effets secondaires éventuels. Reprenons l’exemple antérieur du médicament Cytotec362 utilisé dans le traitement des troubles gastriques. Nous avons vu qu’au Brésil, la commercialisation du médicament a été interdite en raison d’une mauvaise utilisation par des milliers de femmes qui le consommaient justement à cause de son effet secondaire éventuel : la provocation d’un avortement. Prenons l’hypothèse d’une femme enceinte qui, ayant encore des pilules à la maison, les consomme sans tenir compte des effets indésirables et graves énumérés par le fabricant et qui subit un avortement. Dans ce cas, aucun recours ne pourrait être intenté par la victime contre le fabricant, car le préjudice a résulté directement de son acte négligent.
En revanche, l’ignorance du consommateur découlant d’un défaut d’information engage la responsabilité du fabricant. Dans le cas où le médicament est consommé dans un hôpital, quelle solution applique-t-on ? On utilise la théorie de l’intermédiaire compétent. Le fabricant peut ainsi se dégager de toute responsabilité en démontrant qu’il a informé adéquatement le médecin, auquel incombait alors le devoir de renseigner le patient. De son côté, le médecin ne sera pas responsable s’il démontre que le patient, après avoir reçu toutes les informations nécessaires pour consentir au traitement, a accepté le risque en découlant.
Lire le mémoire complet ==> (La responsabilité civile de l’industrie pharmaceutique : le risque de développement)
Étude comparative des droits brésilien et québécois
Mémoire présenté à la Faculté de droit en vue de l’obtention du grade de Maîtrise en droit (LL.M.)
Université de Montréal – Faculté des études supérieures et postdoctorales

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