Le législateur et la provocation au suicide : un délit spécifique

§2. L’œuvre du législateur
Face à l’émoi provoqué par l’ouvrage « Suicide, mode d’emploi », le législateur a été conduit à légiférer sur la provocation au suicide en créant un délit spécifique (A) réprimant certaines pratiques particulières (B).
A. La création d’un délit spécifique
La création du délit spécifique de provocation au suicide de la loi du 31 décembre 1987218 résultait de l’impossibilité de condamner les auteurs de provocation de manière convenable par un autre biais. Le suicide n’étant pas réprimé sur le plan pénal, les actes d’incitation ou de provocation au suicide ne peuvent être sanctionnés par la voie de la complicité. Il existait en droit français une carence qu’il fallait combler d’autant que de nombreuses législations européennes contenaient des mesures répressives. La seule réponse législative qu’il était possible d’apporter, était la création de deux délits spéciaux et autonomes.
Le processus législatif fut relativement long. L’ouvrage incriminé a été publié en 1982, et la loi n’a été promulguée qu’en 1987. Pourtant dès 1983, une proposition de loi était déposée par des sénateurs. Mais certaines difficultés ont empêché qu’une loi soit promulguée plus rapidement.
La proposition de loi de M. Dailly visant à réprimer l’incitation et l’aide au suicide fut adoptée par le Sénat mais elle ne fut pas mise à l’ordre du jour à l’assemblée nationale. La commission des lois avait décidé qu’il ne fallait pas délibérer sur cette proposition pourtant votée au Sénat. La justification avait été que chaque individu avait le droit disposer de sa vie. La proposition de loi fut retransmise à l’assemblée en 1986. En même temps, M. Barrot, député, déposa une proposition de loi visant à réprimer l’incitation au suicide. Les deux propositions ont été examinées par la commission des lois de l’assemblée nationale.

217 Et pour faire taire les pseudo écrivains dont la cohérence intellectuelle est plus que douteuse. Cf. RASSAT (M.-L.), op. cit., pp. 43-51.
218 Loi du 31 décembre 1987.

Le texte définitif est plus restrictif que les propositions, même si le contenu est assez similaire. La loi votée le 31 décembre 1987 crée deux infractions, la provocation au suicide et la propagande ou la publicité en faveur du suicide. Ces infractions figuraient aux articles 318-1 et 318-2 de l’ancien code pénal. Aujourd’hui, dans le nouveau code pénal, elles font l’objet de la section VI relative à la provocation au suicide, du chapitre III sur la mise en danger de la personne, du livre deuxième relatifs aux crimes et délits contre les personnes.
L’article 223-13 du code pénal prévoit la répression de la provocation au suicide et l’article 223-14 du même code celle de la propagande et de la publicité en faveur du suicide. L’article 223-15 renvoie aux dispositions applicables en matière de presse219 lorsque les délits ont été commis par voie de presse. Ces articles reprennent les dispositions de l’ancien code pénal, les seules modifications sont l’harmonisation des peines220.
Nous l’avons vu, le texte voté est un peu différent des propositions de loi. Le législateur a dû faire un choix entre les différentes incriminations possibles pour ne retenir que la provocation, la propagande et la publicité en faveur du suicide.
B. Le choix des incriminations
Les seuls actes visés par la loi sont la provocation au suicide et la publicité. La loi ne fait pas de distinction entre la provocation directe ou indirecte. Et elle a rejeté l’incrimination de l’aide au suicide et l’apologie du suicide, ceci pour des raisons différentes.
L’apologie du suicide était visée par la proposition de loi de M. Dailly mais pas par celle de M. Barrot. Il faut tout d’abord noter que l’apologie n’est pas l’incitation. Selon le Littré, l’apologie s’entend d’un discours ou de paroles visant à défendre ou justifier, par extension tout ce qui justifie. La répression de l’apologie se heurterait à la liberté d’expression. Réprimer l’apologie du suicide pourrait revenir à interdire tous propos positifs à l’égard de personnes s’étant données la mort. De cette façon personne ou presque n’aurait pu écrire sur la question du suicide sans tomber sous le coup d’une incrimination. Des ouvrages scientifiques, relativement complets, comme celui de Durkheim221 par exemple aurait pu être condamné. Ou de manière moins scientifique et plus littéraire, Shakespeare n’aurait pu écrire Roméo et Juliette, ni Hamlet222. Nous l’avons déjà dit nous ne condamnons pas tous les écrits évoquant le suicide. Nous pensons même qu’« il faut remarquer l’utilisation de la mort volontaire comme procédé littéraire »223. Nous condamnons seulement ce que nous appellerons la mauvaise littérature, mauvaise au sens propre.

219 Voir Art. 42 de la loi du 29 juillet 1881.
220 Commentaire des dispositions de la partie Législative du nouveau code pénal et des dispositions de la loi du 16 décembre 1992 relative à son entrée en vigueur. Circ. 14 mai 1993, n° 182, ss. Art. 727-3 C. pén.

La répression de l’apologie du suicide n’a pas paru opportun au législateur et nous pouvons nous en réjouir, car la liberté d’expression doit primer tant qu’elle n’influe pas sur autrui. Chacun a le droit de penser et donc d’écrire ce qu’il veut. Certains ont pu écrire à ce propos « qu’une société démocratique se doit de respecter toutes les opinions »224.
L’aide au suicide était visée par les deux propositions de loi, que ce soit celle de M. Dailly ou celle de M. Barrot, mais n’a pas été retenue par le législateur.
La répression de l’aide au suicide posait le problème de l’euthanasie qui peut se manifester par l’aide au suicide. Le législateur n’a pas cru bon de la réprimer pour ne pas entrer dans le débat relativement complexe de l’euthanasie. Pour le garde des sceaux de l’époque « sur ce délicat problème (…), il est urgent de ne pas légiférer »225.
Ainsi après avoir rejeté l’apologie du suicide et l’aide au suicide, les parlementaires ont consacré la répression de la provocation au suicide et de la publicité ou propagande en sa faveur.
Lire le mémoire complet ==> (Le droit face à la mort volontaire)
Mémoire pour le DEA de droit social, mention droit de la santé
Université De Lille Ii-Droit Et Sante – Faculté des sciences juridiques politiques et sociales

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le droit face à la mort volontaire
Université 🏫: Université De Lille Ii-Droit Et Sante - Mémoire pour le DEA de droit social, mention droit de la santé
Auteur·trice·s 🎓:

Aude Mullier
Année de soutenance 📅:
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top