L'admission du suicide comme accident du travail

L’admission du suicide comme accident du travail – Section 2.
Avant de voir de quelle manière un suicide peut être reconnu comme accident du travail, il nous faut préciser ce qu’est un accident et ce qu’est un accident du travail car le code ne nous donne pas de définition expresse de ces termes. La jurisprudence a défini l’accident comme « l’action violente et soudaine d’une cause extérieure provoquant une lésion de l’organisme humain »175. Trois éléments devaient être réunis pour qu’il y ait accident : la violence, la soudaineté et l’extériorité. Mais la jurisprudence évoluant, les critères de violence et d’extériorité ne sont plus exigés. Seul le caractère soudain de l’accident suffit, ceci pour le différencier de la maladie. L’accident de travail peut donc être défini comme tout fait précis survenu soudainement à l’occasion du travail et qui est à l’origine d’une lésion corporelle.
Pour faciliter la preuve de l’accident de travail, l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale pose un principe d’imputabilité au travail de certains accidents (§1) mais ceci n’étant qu’une présomption d’autres accidents peuvent être reconnus s’ils ont un lien avec le travail (§2).
§1. La présomption d’imputabilité de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale
« Est considéré comme accident du travail quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chef d’entreprise »176. Cet article ne prévoit qu’une simple présomption d’accident du travail si certaines conditions sont remplies (A), cette présomption peut donc être renversée (B).
A. L’établissement de la présomption
L’article prévoit que l’accident doit être survenu «par le fait ou à l’occasion du travail». L’accident est considéré comme accident de travail s’il s’est produit au temps de travail et sur le lieu du travail (1) et si il y a un lien de subordination entre la victime et l’employeur (2).
1. Le lieu et le temps de travail
Pour délimiter le temps et le lieu du travail, l’hypothèse est simple, et peut-être même simpliste. Le lieu de travail est le lieu où le salarié effectue habituellement son travail. Le temps de travail correspond aux horaires effectués par le salarié. Cette hypothèse ne semble poser aucun problème. Dans la plupart des cas, il est facile de savoir si l’accident a eu lieu ou non dans le temps du travail et sur le lieu du travail. Ce qui pose le plus de problème c’est quand l’accident survient à la frontière du lieu ou du temps de travail. Le lieu de travail s’entend bien sûr du poste de travail du salarié mais pas seulement. Il peut y avoir accident du travail dans les dépendances de l’entreprise, dans le réfectoire où les salariés prennent leur repas. L’accident peut même être considéré comme étant survenu sur le lieu de travail, s’il est survenu hors de l’entreprise, quand il résulte de l’exécution des directives patronales177.
Le principe est qu’il y a accident du travail seulement lorsque l’accident survient pendant le temps normal du travail. Si le salarié est en avance sur l’heure de début du travail il ne devrait pas être couvert par la législation sur les accidents du travail. Pourtant, le salarié est protégé si l’employeur admet cette présence anticipée. Ceci vaut pour un salarié qui arrive de manière habituelle en avance au travail et pas pour celui qui est arrivé une fois en avance. Même chose si l’accident se produit après le temps normal du travail. Il n’y a accident du travail que si le salarié était encore sous la subordination de son employeur178. Le temps de travail et le lien de subordination avec l’employeur sont des critères liés entre eux. Le temps de travail peut s’entendre du temps pendant lequel le salarié se trouve soumis au contrôle et à l’autorité de son employeur179. De cette manière il se confond un peu avec le critère du lien de subordination.
2. Le lien de subordination
Le fondement de l’obligation de réparation des accidents du travail par l’employeur réside dans le fait que c’est parce que le salarié était sous la subordination de son employeur que ce dernier doit réparer les conséquences de l’accident. Tout accident survenu au travailleur alors qu’il est soumis à l’autorité ou à la surveillance de l’employeur est réputé être un accident du travail.180 Cette analyse dite du risque de l’autorité qui l’avait emporté sur la théorie du risque profit, n’a pas été remise en cause, même en 1946, quand la gestion des risques professionnels a été confiée aux organismes de sécurité sociale. Ceci s’explique par le fait que les prestations versées par la caisse en cas d’accident du travail sont financées par les employeurs, par une méthode permettant de faire payer plus de cotisations aux employeurs chez lesquels se sont produits plus d’accident du travail. L’exigence d’un lien de subordination entre la victime de l’accident et l’employeur suppose l’existence d’un contrat de travail. Ainsi les bénévoles sont exclus de la protection de l’article L. 411-1 du code de sécurité sociale. De même que les personnes qui viennent d’être embauchées et qui n’ont pas encore commencé leur travail. On peut admettre que l’employeur ne doit pas réparation (au titre de la législation des risques professionnels) à celui qui subit un accident alors qu’il n’est pas embauché. Mais ceci conduit les victimes à se tourner vers le droit commun alors que l’accident s’est produit sur le lieu du travail. Cette exclusion se comprend mieux dans le cas du suicide du salarié. En effet, le salarié nouvellement embauché qui se suicide, par exemple en se jetant par la fenêtre d’un bureau, aurait des difficultés à prouver le lien avec le travail. L’annonce d’une embauche ne semble pas pouvoir constituer au regard de la jurisprudence actuelle un «motif» de suicide pouvant être qualifié d’accident du travail.
B. Le renversement de la présomption
En 1984, M. Bailly a pu écrire, se ralliant ainsi à M. Saint-Jours qu’en fait « on rencontrait peu d’exemple où le droit aux prestations des accidents du travail était refusé à la victime ou à ses ayants droits dès lors que le suicide était intervenu au temps et au lieu de travail »181. Tout en faisant ce constat, il note que certaines CPAM refusent le paiement des prestations alors que l’employeur reconnaissait lui même que le suicide de son salarié résultait d’une surcharge de travail182. Seule l’existence d’une cause autre que le travail peut contribuer à ce que la présomption soit renversée. En effet si un doute persiste, il doit profiter au bénéficiaire de la présomption183. La charge de la preuve que le suicide n’est pas imputable au travail incombe à la CPAM et à l’employeur. Dans les arrêts, la jurisprudence le reprécise184. Le fait que le suicide soit imputable à un état dépressif dont la victime était atteinte depuis quelque temps constitue la preuve que le suicide n’est pas imputable au travail, même si il s’était produit au temps et au lieu de travail185. La Cour refuse aussi le bénéfice de la présomption au salarié qui s’est soustrait à l’autorité de son employeur. La caisse qui avait la charge de la preuve, l’avait rapportée en faisant état que le salarié était monté sur le pont du navire au lieu de se trouver avec ses collègues dans les cales186. Le simple « fait que la victime se soit soustraite à l’autorité de l’employeur au moment de la chute mortelle était de nature à détruire à lui seul la présomption de causalité entre le travail et le suicide » 187.
Si la présomption d’imputabilité de l’accident au travail est renversée, l’accident n’est pas considéré comme un accident du travail. La victime ou ses ayants droit, si la victime est décédée peuvent toutefois se tourner vers le droit commun pour bénéficier de l’assurance maladie et couvrir ainsi les frais médicaux engendrés par l’accident.

181 BAILLY (J.-M.), «L’article L. 415 du code de la sécurité sociale, la présomption d’imputabilité et le suicide au temps et au lieu de travail», Dr. Soc. 1984, p. 665.
184 CA Riom, 22 février 2000, même si l’emploi est ici fait a contrario, la caisse et l’employeur n’ayant justement pas apporté cette preuve.
185 Cass. Soc., 4 février 1987.
186 Cass. Soc., 11 février 1971.
187 SAINT-JOURS (Y.), note sous Cass. Soc., 11 février 1971.

Lire le mémoire complet ==> (Le droit face à la mort volontaire)
Mémoire pour le DEA de droit social, mention droit de la santé
Université De Lille Ii-Droit Et Sante – Faculté des sciences juridiques politiques et sociales

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Le droit face à la mort volontaire
Université 🏫: Université De Lille Ii-Droit Et Sante - Mémoire pour le DEA de droit social, mention droit de la santé
Auteur·trice·s 🎓:

Aude Mullier
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