Mécanismes de défense de la famille face à la maladie d’Alzheimer

II- Les mécanismes de défense de la famille

Avant de parler des différents mécanismes de défense de la famille, il faut aborder le ressenti des familles face à la maladie d’Alzheimer.

Les premières inquiétudes débutent lorsque les familles perçoivent un changement dans le comportement ou le langage de leur proche, changement d’autant plus visible qu’il perturbe la vie personnelle et/ou professionnelle de leur proche.

Dans un premier temps, la famille n’en tient pas rigueur mais, au fur et à mesure que le temps passe, ces changements vont de plus en plus être présents jusqu’au jour où la famille prend conscience qu’il y a un vrai problème.

C’est souvent à l’aide d’une ruse qu’elle amènera son proche jusqu’au médecin. Et, c’est à ce moment que la souffrance débute réellement, lorsque le médecin pose le diagnostic tant redouté : « c’est probablement la maladie d’Alzheimer ».

Le médecin commence alors à expliquer ce qu’est la maladie, le plus souvent à l’aide de termes médicaux auxquels la famille ne retiendra que deux mots « démence » et « irréversible ».

La maladie étant incurable et dégénérative, la famille devra accepter l’idée que cette épreuve durera longtemps et qu’elle verra son proche régresser au fil des jours, jusqu’à devenir totalement dépendant de son entourage et plus dur encore, que son proche oubliera tous les moments vécus ensemble voire même ne la reconnaîtra plus.

Tous les projets d’avenir s’effondrent !!!!

Les sentiments vécus par la famille envers le malade d’Alzheimer seront multiples et différents selon les moments, tantôt la tristesse, la culpabilité, l’injustice tantôt la honte ou la colère, mais quoi qu’il arrive, elle sait qu’elle doit faire face.

L’aidant familial va se retrouver seul à prendre en charge le malade d’Alzheimer (« c’est mon conjoint donc c’est à moi de le faire »), ses amis s’éloignent car ils se sentent moins à l’aise, ses sorties diminuent car il n’en a plus le temps et finalement il se referme sur lui-même.

La maladie continue d’évoluer… l’aidant familial a à peine le temps de s’habituer aux nouveaux changements provoqués par la maladie que déjà d’autres apparaissent ! L’être qu’il connaît change au fil des jours, alors qu’il apparaît dans l’esprit de l’aidant un nouveau sentiment : l’impuissance.

Malgré les aides extérieures, il vient un moment où la famille n’est plus en mesure d’apporter une aide efficace et un placement du malade d’Alzheimer est nécessaire.

Encore un véritable moment de souffrance pour la famille entraînant un sentiment d’abandon et de culpabilité : « je lui avais promis d’être toujours là pour lui ».

La famille devra apprendre à réorganiser sa vie autrement, chose difficile car le malade d’Alzheimer est toujours présent, elle va alors continuer à vivre, à restaurer les amitiés perdues, recommencer à travailler et elle rendra visite au malade d’Alzheimer dès qu’elle le pourra. Cependant, le sentiment de culpabilité restera toujours présent.

La maladie évoluant, le malade d’Alzheimer ne sera plus capable de manger ni de marcher seul jusqu’à devenir grabataire et il arrivera un moment où la famille devra se préparer à l’ultime épreuve : la séparation finale.

Les mécanismes de défense = les réactions de la famille

Voir un proche atteint d’une maladie incurable et dégénérative est une épreuve très éprouvante tant sur le plan moral que sur le plan physique.

Si, en plus de cela, la personne doit s’occuper de son proche malade, elle n’est pas forcément prête ni techniquement ni moralement à effectuer une tâche si difficile.

Les sentiments vécus peuvent être différents d’une personne à l’autre, les plus importants sont :

* La culpabilité

Par des rencontres avec des familles prenant en charge un proche atteint de la maladie d’Alzheimer, je me suis rendu compte que la famille culpabilise souvent.

Et pourtant, personne n’est responsable de cette maladie !

La famille culpabilise car elle se sent impuissante face à la maladie d’Alzheimer. L’aidant naturel fait de son mieux pour maintenir une vie agréable au malade d’Alzheimer en maintenant un degré d’autonomie maximal, le plus longtemps possible.

Un jour l’épouse d’un patient m’a dit : « Je dois gérer ma vie, celle de mon mari, mon déménagement, mes enfants. Je n’en peux plus ».

Cette épouse se sentait coupable, d’une part, d’avoir placé son mari en maison de repos et de soins et d’autre part, de ne plus être là pour lui. Elle aurait aimé consacrer le temps dont son mari avait besoin, elle se sent coupable d’avoir abandonné son époux. Et pourtant au vue de la situation, cette dame n’avait pas d’autre choix que de placer son époux dans cette maison de repos et de soins.

L’aidant proche voire l’entourage familial se sent coupable de ne pas savoir prendre en charge leur proche, de ne pas être à la hauteur. Il aimerait pouvoir gérer seul la maladie d’Alzheimer aussi, quand vient le moment de confier sa tache à autrui, il culpabilise davantage et se le reproche longtemps.

* L’idéalisme brisé

Là, le malade d’Alzheimer devient de plus en plus dépendant et la notion de couple disparaît, la relation parent/enfant s’inverse.

Le malade d’Alzheimer ayant changé de comportement, il devient inconnu aux yeux de la famille ; en effet, l’image idéale qu’elle avait de lui avant la maladie s’estompe petit à petit. L’équilibre psychologique se fragilise, le conjoint retrouve un vide dans sa vie affective.

Plus l’aidant est idéaliste, plus il souffrira avant de s’adapter à la nouvelle situation. Si le malade d’Alzheimer oublie quelque chose ou se salit, l’aidant aura honte, s’énervera et déprimera. Il essaiera de tout faire pour que le malade d’Alzheimer reste comme avant mais se sera voué à l’échec !

* L’orgueil

L’épuisement est aussi très fréquent chez le proche car il croit tout savoir, il croit pouvoir prendre en charge le malade d’Alzheimer tout seul et n’accepte aucune aide.

Conséquences : privation d’une vie personnelle normale, négligence et oubli des autres membres de la famille, de ses amis, négligence de sa santé.

Il pense et parle constamment du malade d’Alzheimer allant jusqu’à fatiguer ses relations, qui finissent par l’éviter.

L’aidant est alors épuisé physiquement et moralement et il perd toute vie sociale.

* La colère

L’aidant peut ressentir de la colère, soit elle est intériorisée soit elle est déclarée.

Lorsqu’elle est déclarée, elle peut être ciblée contre les médecins, soi- même, la société ou ses proches ou amis car ceux ci sont en bonne santé. Elle peut être abstraite : c’est à dire que la colère est dirigée contre la maladie, l’impuissance, l’injustice car la maladie touche un de ses proches … « pourquoi elle/lui et pas un autre ? ».

* La solitude

L’évolution de la maladie rend la communication entre le malade d’Alzheimer et l’aidant difficile voir impossible. L’aidant consacrant tout son temps à son proche, se sent seul mais ne le manifeste pas.

Souvent, l’aidant néglige ses relations sociales au dépend du proche malade d’Alzheimer ayant comme conséquence un repli sur soi. « On n’ose plus inviter nos amis ou aller chez eux, on n’a plus le temps, on a peur de ce qu’ils vont penser ».

De plus étant donné que le malade d’Alzheimer perd ses capacités de reconnaissance des visages familiers, cela peut aussi entraîner un sentiment de solitude.

Exemple : la fille de Mme S., patiente de 74 ans, m’a dit « vous savez le plus dur pour moi c’est quand il n’y a plus de considération et que je ne peux plus me confier à ma maman. » Et cette femme fait deux heures de route chaque semaine pour voir sa maman.

* La honte

Celle-ci peut être ressentie lorsque le malade d’Alzheimer a un comportement inadapté ou inconvenant devant des amis ou en public.

* Le déni

L’aidant peut refuser d’accepter que son proche soit malade, il peut refuser de croire le médecin. Dans le cas du refus de croire le médecin, l’aidant va consulter un autre médecin pour savoir si le médecin traitant ne s’est pas trompé.

Au fil du temps, la famille acceptera ou non le diagnostic mais elle devra vivre avec et reprendre le dessus car elle sait que le malade d’Alzheimer a besoin d’elle.

Exemple : la famille de Mme A., patiente de 70 ans refuse que leur maman soit malade d’Alzheimer et va jusqu’à accuser les infirmières de vouloir empoisonner leur maman et de la maltraiter, si bien que la patiente doute et refuse de prendre les médicaments.

* La peur

La peur de la mort du malade, de sa propre mort, la peur de la déchéance de l’autre, de la souffrance de l’autre.

Exemple : le proche malade d’Alzheimer devient le centre des préoccupations, et l’aidant naturel perd son statut central, n’arrive pas à accepter le changement de rôle ; cas de l’enfant qui devient mère car sa propre mère ne peut plus assurer son rôle de par la maladie.

L’aidant peut également avoir peur d’être atteint par la maladie d’Alzheimer. Il est donc important de lui expliquer que la maladie d’Alzheimer n’est que très rarement héréditaire, c’est possible mais dans moins de 1%.

* Le deuil anticipé

« Le deuil anticipé est un « processus psychologique par lequel peuvent passer certains proches pendant l’accompagnement du malade, qui consiste à prendre une grande distance, réelle ou affective, par rapport au malade, le mettant déjà dans les rangs des disparus »8.

C’est un mécanisme de défense précoce et inconscient qui permet à l’aidant de se détacher progressivement du malade d’Alzheimer afin que lors du décès de ce dernier, la perte soit moins dure à accepter.

Il est parfois aussi important de faire un pré-deuil. Cela désigne le temps d’élaboration psychique de désinvestissement progressif portant sur certaines pertes précédant la mort physique. C’est par exemple, le renoncement aux projets communs, à l’image physique antérieure de l’autre, à la communication et aux échanges avec lui … »9.

Exemple : un jour le fils d’une patiente que j’ai soignée aux Jardins de la Mémoire m’a dit : « de toute manière que ce soit son fils ou une autre personne, ça n’a plus d’importance, du moment qu’il y a quelqu’un auprès d’elle ».

9 MALAQUIN-PAVAN E., PIERROT M. « accompagner une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer : aspects spécifiques du deuil des aidants naturels et piste de soutien ». Recherche en soins infirmiers n°89, juin 2007 p.78-79

Après avoir vu de manière pratique les mécanismes de défenses de l’aidant naturel, il est important de parler des différents aménagements nécessaires pour le maintien à domicile d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer.

8 PILLOT J. « deuil et pré-deuil ». Bulletin JALMAV n°4, mars 1986 p.12

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top