Vers une désintermédiation de la relation auteur / consommateur

Vers une désintermédiation de la relation auteur / consommateur – Section 2 :
Alors que le monopole des intermédiaires sur les œuvres est évident aujourd’hui, l’univers numérique serait à même de pouvoir rapprocher l’auteur du consommateur, et mettre ainsi fin à cette marchandisation extrême de la culture (§1). Pour cela, un encadrement juridique stricte, et adapté au caractère transfrontière de la nouvelle société de consommation, sera nécessaire (§2).
§ 1 : Le numérique permet de mettre fin aux monopoles des intermédiaires.
Le numérique permet un rapprochement évident entre les auteurs et consommateurs et auteurs du monde entier (A). Ainsi le pouvoir et le recours aux intermédiaires aux fins de distributions des œuvres ne seraient ils pas fragilisés ? Rien n’est moins sûr…(B).
A) A l’heure de l’immatériel, le monopole des « intermédiaires propriétaires » n’a plus lieu d’être.
Aujourd’hui, les professionnels s’entendent pour déclarer à l’unisson que l’industrie du disque est malade. On le voit, il s’agit d’une véritable guerre ouverte vers tous les utilisateurs des réseaux P2P, à l’origine, selon eux, de pertes colossales.
D’après les professionnels du disque (SNEP), 8 millions de français téléchargeraient des œuvres de manière illégale sur le net : 8 millions de « pirates » qui ont téléchargé 6 milliards de fichiers MP3 en 2003, 8 millions de personnes qui « volent les auteurs »…
Les majors tiennent ce discours pour tenter de justifier la baisse, au premier semestre 2004, de 21,4% des ventes de disques et de 31,6% des ventes de singles. Cette baisse coïnciderait selon ces majors avec la multiplication des abonnements à l’Internet haut débit depuis décembre 2002.
Les majors tentent aussi de faire pression auprès du Gouvernement Raffarin afin qu’il baisse la TVA à 5,5 pour les CD et vidéos. Mais au final, qui les majors tentent elles de protéger, les auteurs et artistes ou bien leur monopole personnel et les marges exorbitantes qu’elles réalisent sur la vente des supports ? Si ces réseaux P2P n’existaient pas, cette baisse n’aurait elle pas lieu ? Si l’Etat abaisse la TVA à 5,5%, les majors répercuteraient elles cette différence sur le prix de vente ou bien augmenteraient elles leur marge d’autant, rien ne semble moins sûr au regard de leur politique.
Les revenus de la création profitent davantage aux industriels qu’aux créateurs.
En effet, le poids actuel des cinq plus importantes majors28, représentant à elles seules plus de 80% du marché mondial du disque, crée un monopole évident. A l’heure de la diffusion de masse sur Internet, la question est de savoir comment vont-elles conserver ce monopole ?
En effet, en matière de phonogrammes, les marges réalisées par les maisons de disques et par les distributeurs sont très importantes. A titre indicatif, voici comment se compose le prix hors taxe d’un CD29 : (1) Dont :
– Frais d’enregistrement : 3%
– Fabrication du disque : 11%
– Promotion : 16%
– Frais généraux : 13%
– Marge d’exploitation : 9%
Vers une désintermédiation de la relation auteur / consommateur
En matière de livres, le prix d’un exemplaire se décompose de la sorte30 :
— auteur : environ 10%,
— éditeur : environ 15%,
— prépresse, papier, impression, façonnage : environ 20%,
— diffusion : environ 8%,
— distribution : environ 14%,
— détaillant (libraire) : environ 33%.
Certes, les majors et autres industriels ne sont que des intermédiaires, mais ce sont eux qui tirent le plus profit de la Création.
En effet, au regard de ces différents chiffres, nous sommes forcés de constater que les redevances attribuées à ceux qui sont véritablement à l’origine de la création, auteurs (écrivains, paroliers et/ou compositeurs) et artistes interprètes, sont infimes et semblent en tout cas disproportionnées aux regards des marges colossales que se réservent ces intermédiaires de la création.
Aujourd’hui, ces majors demandent une baisse de la TVA et dénoncent les échanges réalisés sur les réseaux P2P ; mais ces deux axes sont ils significatifs d’une politique qui se veut favorable à la défense des droits des auteurs ou tendent ils à conforter leur monopole qui ne tient en réalité qu’à la préservation d’une économie fondée sur les supports matériels ?
Ainsi, une baisse de la TVA de 19,6 à 5,5 %, en ce qui concerne le marché de l’audio et de la vidéo, permettrait de rendre plus attractif le prix des CD et des DVD.
Il est évident qu’une baisse des prix emporterait un tel effet. A titre d’exemple, la FNAC a réalisé au premier semestre 2002 plusieurs opérations tests visant une baisse des prix de 20 à 40%. S’en est suivie une hausse immédiate des ventes des CD concernés, allant de 578 à 920 % selon les titres. Mais cette politique de baisse des tarifs n’incombait qu’à la seule volonté de la FNAC.
Nous pouvons en effet nous interroger sur les répercussions sur le prix de vente que pourrait avoir une baisse de la TVA.
En 1987, la TVA a en effet été abaissé de 33 ,6 à 19,6 %. La vente de disque a progressé cette même année de 35 %, et de 91 % l’année suivante. Toutefois, il est important de noter que les producteurs et distributeurs n’avaient répercuté que 8 % seulement de cette baisse sur le prix payé par le consommateur, augmentant alors davantage leur marge bénéficiaire.
Alors que cette décision figurait dans le programme électoral de Jacques Chirac pour la Présidentielle de 2002 et quand bien même le Gouvernement est actuellement enclin à pratiquer une telle baisse de la TVA, les majors savent pertinemment qu’elle ne pourra avoir lieu avant plusieurs années, puisque cet élan devra être donné au niveau communautaire et dépend d’un accord de tous les membres de l’Union.
Enfin, si les majors et distributeurs s’opposent fermement à l’utilisation des réseaux P2P, c’est qu’ils risquent sinon de mettre fin à leurs monopoles, du moins de le fragiliser à très court terme. En effet, alors que l’on peut douter de la légitimité et de la véracité de certaines études démontrant que les sites P2P sont à l‘origine d’une baisse de 22% des ventes de disques, puisque réalisées par ces majors ou distributeurs directement intéressés au marché, l’apparition et la prolifération de ces services mettent peut-être les doigts sur un sujet qui fait frémir ces derniers : la mort des supports en général.
Alors que les marges réalisées pouvaient se justifier par le « coût exorbitant » que représente la fabrication d’un CD, d’un livre, puis leur édition, distribution, publicité…les intermédiaires de la création auront plus de difficultés à dissimuler les marges démesurées qu’ils réalisent sur la vente de supports enregistrés.
En effet, les consommateurs de livres ou de disques ne profitent pas de ces différentes baisses, et le seul acteur qui ne bénéficie pas du maintien du prix de ces supports, malgré la diminution de ces coûts de production, reste l’auteur.
Le monopole des majors et des distributeurs traditionnels n’a plus lieu d’être dans la nouvelle économie liée à Internet. L’auteur peut aujourd’hui, et plus qu’il n’en a jamais été possible, revendiquer davantage de droits quant à la diffusion de sa « propriété », de son œuvre. A défaut, ne rien faire pour lutter contre le monopole des intermédiaires, ce serait, comme l’a déclaré Renouard au XIXème siècle, « faire dépendre une chose sacrée, la propriété, de la fantaisie, de la négligence, des manœuvres de ceux qui ont intérêt de l’envahir. »
Il conviendrait donc faire cesser aujourd’hui ces manœuvres des majors et provoquer l’effet boomerang de leur discours qui tend à faire affronter l’auteur et son public.
Lire le mémoire complet ==> (Le droit d’auteur et le consommateur dans l’univers numérique)
Entre solidarisme de la consommation et individualisme de la propriété.
Mémoire de fin d’études – DEA De Droit Des Créations Immatérielles – Droit Nouvelles Technologies
Université De MONTPELLIER I – Faculté De Droit

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