Le manque d’études universitaires des jeux casual

Le manque d’études universitaires des jeux casual
1.3 Un paradoxe qui s’entretient

Alors que le phénomène s’intensifie et se diversifie, nous allons montrer que les chercheurs ont cessé de mener des études sur le phénomène casual pour ne se concentrer que sur certains éléments spécifiques. Ce manque d’études globales empêche les chercheurs d’engager un débat fertile et entretient la désorganisation.

1.3.1 Le manque d’études universitaires

Les recherches vidéoludiques tendent à valoriser le domaine du jeu hardcore, au détriment du jeu casual :

Despite the differences in player demographics, there has been little academic research on casual games (Consalvo 2009). “Scholarly attention to game culture has mostly focused on games that cater to gamers that the literature has deemed ‘hardcore,’ ‘heavy’ or at least ‘mainstream,’ even if we don’t all agree on or approve of those identifying terms,” Consalvo (2009, p.1) points out (Wohn, 2011, p.199).

Il existe malgré tout un certain nombre d’études en lien avec le jeu casual. Durant notre recension des écrits, nous avons trouvé des études s’intéressant à des aspects spécifiques du casual game, tel qu’un article sur la morphologie des personnages dans les jeux casual (Wohn, 2011), un autre sur le rythme (Venturelli, 2009), ou encore sur la rejouabilité (Harrigan, Collins, & Dixon, 2010). Certaines recherches dépassent le domaine du jeu vidéo et s’intéressent aux effets que peuvent avoir les casual games sur la gestion du stress et de la mauvaise humeur (Russoniello, O’Brien, & Parks, 2009). Enfin, plusieurs études se concentrent sur les joueurs casual (Bosser & Nakatsu, 2006; Consalvo, 2009; Fortugno, 2008; Salen, 2007). Cependant, dans ces articles, si la définition du jeu casual pose effectivement problème, les auteurs sont forcés de l’évacuer rapidement, comme le montre le choix d’Yvette Wohn :

Because the definition of what makes a game casual is unclear (Juul 2009; Kuittinen et al. 2007), this paper defines casual games as games that are distributed by companies that label themselves as casual game distributors (Casual games Association 2010) (Wohn, 2011, p. 199).

Seules deux études universitaires se penchent véritablement sur la question de la nature du casual game. La première est celle menée par Jesper Juul, dont les résultats ont été publiés dans le livre What is Casual ? A Casual Revolution Reinventing Video games and Their Players (2009). La seconde a été réalisée par un groupe d’universitaires finlandais, et prend la forme de trois articles publiés en 2007 (Kuittinen et al.), 2009 (Kultima) et 2010 (Kultima & Stenros), qui ont été intégrés à un projet de recherche plus large4 concernant les jeux en tant que services : Games as Services (GaS) (Sotamaa & Karppi, 2010).

Il est à noter que depuis la parution du livre de Juul et du rapport des universitaires finlandais, nous n’avons pas recensé de nouvelles études portant sur la nature des jeux casual. Certains auteurs continuent à proposer quelques précisions sur le sujet (Bogost, 2011; Trefry, 2010), mais la recherche semble avoir délaissé l’épineuse tâche de définition du jeu casual pour se concentrer sur l’étude des jeux pour mobile, des jeux sociaux ou encore des jeux sérieux.

1.3.2 La difficulté d’étudier le jeu casual

Si, comme le souligne Consalvo (2009) et Wohn (2011), les études vidéoludiques se concentrent autour des jeux hardcore, et si les études sur la nature des jeux casual semblent se raréfier, la raison vient peut-être du manque d’outils disponibles pour circonscrire un phénomène aussi large que le jeu casual.

L’article Designing games for everyone: the expanded game experience model d’Annakaisa Kultima et Jaako Stenros (2010) (le dernier sur le casual game dans le cadre du projet finlandais GaS), permet d’appréhender les changements qui se sont opérés dans la culture numérique, en particulier ceux du casual game et des jeux sociaux.

D’après Kultima et Stenros, la distribution numérique des jeux a amené de nombreux changements au niveau du cycle de développement. Les correctifs, les extensions ou même les sessions de test ouvertes aux utilisateurs ont gommé les limites habituellement rencontrées dans le design d’un jeu. Le jeu n’est jamais véritablement terminé, et les processus de design sont de plus en plus longs :

Digital distribution and subscription-based sales have not only altered the economic models in use in the digital game industry, they have also revolutionized how and when game design and development is carried out (Kultima & Stenros, 2010, p. 66).

4 Les articles de l’école finlandaise ont été publiés séparément à partir de 2007, mais sont en réalité le fruit d’une réflexion entamée en 2006 dans le cadre du projet Gamespace, qui s’intéressait aux jeux casual multijoueurs sur téléphone mobile (Paavilainen et al., 2009). Le projet Gamespace s’est terminé en septembre 2008, mais l’étude des jeux casual par les universitaires finlandais s’est poursuivie jusqu’en 2010 avec le projet Games a Services (GaS) (Sotamaa & Karppi, 2010).

Du côté de l’utilisateur, il est désormais très facile de commencer une partie et de l’arrêter. De plus, les jeux sont accessibles sur internet, souvent sans installation. Les jeux vidéo sont ainsi devenus une activité parmi d’autres et la plupart de ces activités ont lieu dans le monde numérique.

Face à ces bouleversements, les modèles théoriques devraient évoluer pour rendre compte de la situation, mais ce n’est pas le cas. D’après les auteurs, les modèles en design de jeux, pour la plupart, sont centrés uniquement sur le gameplay et ignorent le contexte d’usage (Ermi & Mäyrä, 2005; Fernandez, 2008; Lemay, 2007; Perron, 2006) : « However, the models used to map the design process lag behind.

It is time to look at games as experiences that have expanded beyond these models » (Kultima & Stenros, 2010, p. 66) . Il faut donc repenser ces modèles pour répondre aux changements constatés dans le jeu vidéo tels que ceux du casual gaming :

Play is ubiquitous in society to the extent that hardcore gaming is now the periphery rather than the representative center of gaming culture. Yet we lack the tools and models that would help us understand why certain game types have succeeded where others have failed (Kultima & Stenros, 2010, p. 68).

Comme nous le verrons dans la recension des écrits, Kultima et Stenros ont proposé un premier modèle pour faire face aux changements qu’ils ont relevés. C’est dans la continuité de leurs travaux que se place notre recherche. Nous souhaitons étudier le jeu casual sous un angle nouveau, en délaissant les modèles centrés sur le gameplay pour tenter d’emprunter de nouvelles voies permettant de faire face aux mutations du secteur vidéoludique.

1.4 Objectifs de la recherche

Le casual game est un phénomène incontournable du domaine vidéoludique, et les études de marché laissent penser qu’il continuera son ascension dans les années à venir. Il semble alors urgent de dépasser la vision étriquée que nous avons de ce type de jeux.

Une vision plus riche pourrait ainsi avoir des répercussions sur la qualité des jeux. Dépasser la dimension purement économique permettrait peut-être d’enrayer certains phénomènes néfastes comme celui du clonage, et proposer une vision qualitative supplémentaire pourrait valoriser le casual game dans le paysage vidéoludique, encourageant ainsi les designers à mener un travail de qualité et à faire preuve de créativité.

De nouveaux éléments sur le jeu casual permettraient aussi d’enrichir le champ des études vidéoludiques, favorisant ainsi le débat et permettant d’ouvrir de nouvelles voies de recherches. Nous souhaitons donc faire avancer les connaissances dans le domaine du casual game en complétant les études déjà existantes. Nous souhaitons proposer de nouveaux éléments de définition du casual game qui permettront à la fois de mieux comprendre le phénomène et d’aider à la construction de l’identité de ces jeux de plus en plus populaires.

Quelles nouvelles informations pourraient être apportées pour étoffer notre vision du jeu casual ? Comment mener une recherche sur le design de jeux casual ? Quel modèle choisir pour récolter de nouvelles informations ?

Ces questions se préciseront dans les prochains chapitres.

Pour apporter des résultats nouveaux et intéressants, nous proposons de mener notre recherche en utilisant un modèle qui ne soit pas issu de la mouvance dominante des études centrées sur le gameplay. Il nous faudra choisir ce modèle, en comprendre les enjeux, puis l’utiliser pour collecter de nouvelles informations. Nos objectifs sont au nombre de quatre.

Dans un premier temps, nous recenserons les définitions du casual game afin d’en comprendre les forces, mais aussi les faiblesses, aussi bien au niveau de l’adéquation entre les éléments de définition et les jeux produits que sur le plan méthodologique. Nous pourrons ainsi choisir l’angle (autre que le gameplay) sous lequel nous aborderons le jeu casual. (Chapitre 2).

Dans un second temps nous choisirons un modèle permettant d’étudier la nature des jeux casual (Chapitre 3).

Dans un troisième temps, nous collecterons des informations sur les casual games et nous les analyserons, en nous appuyant sur le modèle que nous aurons identifié (Chapitres 4 et 5).

Dans un quatrième et dernier temps, nous proposerons des éléments de définition du casual game. Nous effectuerons une comparaison avec la littérature afin de monter en quoi notre recherche amène de nouvelles informations sur la nature des jeux casual (Chapitre 6).

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Casual games : définition à l’aide du savoir professionnel des designers de jeux
Université 🏫: Université de Montréal - Faculté de l’Aménagement
Auteur·trice·s 🎓:
Laureline Chiapello

Laureline Chiapello
Année de soutenance 📅: Mémoire présenté à la Faculté des Études Supérieures et Postdoctorales en vue de l’obtention du grade de M. Sc. A. en Aménagement - Août 2012
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