Le discours réflexif des lendemains de défonce

Le discours réflexif des lendemains de défonce

6- Le discours réflexif des lendemains de défonce

Il y a tout un discours réflexif et critique que les étudiants binge-drinkers créent au tour de leur pratique. Celui-ci tourne essentiellement au tour des sensations qu’ils peuvent avoir les lendemains de défonce et crée chez eux de la culpabilité, du remord et même parfois une certaine angoisse par rapport à leurs études, leur état de santé et leur avenir en général.

En effet, nous avons remarqué que c’est surtout après être passés à l’acte et après s’être remis de leur ivresse qu’une grande partie des binge-drinkers arrivent à prendre un peu de distance par rapport à leur pratique et à en faire le bilan, un bilan plutôt négatif :

– « Presque tout le temps (rire). On n’est jamais fier de se souler comme ça. Y a des moments quand on cogite vraiment, on se dit qu’on est idiot » (L., 20 ans, étudiant en 2ème année de médecine).

– « Il m’est souvent arrivé de boire dans des soirées où je m’ennuyais vraiment et après je faisais des bêtises. J’aurais mieux fait de m’en aller plutôt que me forcer et finalement faire semblant ». (Emma, www. Doctissimo.fr/ alcool, tabac, drogues et dépendances).

Derrière ce discours d’Emma, on voit que c’est une fois qu’elle a pris de la distance par rapport à ses « potes », par rapport à la vie festive en général et au binge-drinking en particulier, qu’elle arrive non seulement à formuler un discours réflexif sur les cuites qu’elle a prises mais aussi et surtout à qualifier de « bêtises » des actes et des comportements qui, au moment même de leur exercice étaient considérés comme « fun », « cool » et « héroïques ».

1 Olivier Galland, Les jeunes, 6ème édition, collection Repères, la Découverte, 2002, p. 51.

Ce discours reflète encore une autre dimension très importante du binge-drinking et qui constitue le fondement même de notre analyse. En effet, Emma dit qu’elle a bu dans des soirées où elle s’ennuyait. Tellement la défonce constitue la norme principale dans certaines soirées étudiantes que ceux qui ne boivent pas s’y « ennuient » et semblent « ringards » qu’ils sont obligés de se « forcer » et « finalement faire semblant », sous le regard de la majorité dont la « tyrannie » s’exerce efficacement.

Une fois sortis du contexte festif, d’autres semblent même adhérer aux messages de prévention que pourtant, ils ignorent complètement pendant les soirées et, dénoncent explicitement les alcooliers :

– « Bref, les étudiants terrain déjà propice à la consommation sont encore plus poussés par des marques ravis de nous voir prendre des cuites, ne serait-ce pas là un jeu dangereux auquel tout le monde participe sans le savoir ? (Ou pire encore, en l’acceptant) ».

Cette argumentation anti-alcooliers est un paragraphe du texte publié dans son propre blog par Twitter qui, d’après les commentaires de Kinji et Laure (ses amis), participe activement au « jeu dangereux » qu’elle est entrain de dénoncer.

D’autres encore, à l’abri du groupe des « potes » reviennent sur les risques qu’ils ont pris, les problèmes qu’ils ont eus étant défoncés et manifestent en même temps des inquiétudes vis-à- vis de leurs études, leur santé et leur avenir.

C’est le cas de Clément, étudiant en première année de commerce à l’ESC Rouen qui, dans l’émission « Envoyé spécial » (France2, janvier 2007), montre devant la caméra la cicatrice qu’il s’est faite au front après « une chute lors d’une soirée trop arrosée ». Il aborde en même temps la question des rapports sexuels non protégés : « Le risque c’est plus par rapport aux filles. C’est-à-dire qu’on avait fait des conneries.

Le fait de pas se protéger par exemple, de se retrouver avec une fille dont on n’avait pas forcément l’envie de faire ce qu’on a fait ». « C’est clair, c’est très con », rajoute son ami Paul qui lui, s’inquiète pour ses cours parce qu’avec ses potes, il fait la fête et se défonce tous les week-ends et tous les mercredis.

Et pourtant, lorsque Twitter, Emma, Clément ou Paul sont en compagnie de leurs potes, surtout dans des contextes festifs, ils « refoulent » tout ce discours critique et dénonciateur et, se mettent à se défoncer « comme tout le monde », du moins comme tous leurs « potes » binge-drinkers.

Cette contradiction ou même cette tension peut être résumée par les mots de cet étudiant qui, dans un forum sur Internet, réagit vivement à l’émission « Envoyé spécial » (France2, janvier 2007) consacrée au binge-drinking :

– « Je suis un étudiant de 22ans à Strasbourg et je suis un adepte inconditionnel de la biture express (2-3 fois par semaine). C’est un phénomène dont je cerne tous les problèmes et dangers et que je ne cautionne pas, mais que j’apprécie beaucoup quand même. »

Pour trancher ce paradoxe, il est semble-t-il inutile de rappeler qu’il s’exerce surtout dans les groupes de pairs une certaine « tyrannie de la majorité » qui, dans la plupart des situations, pour une raison ou une autre, l’emporte au détriment de la raison. Ne serait-ce pas aussi la traduction d’une certaine « Akrasie »1 ?

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