La notion de soirée étudiante réussie et la consommation d’alcool

La notion de soirée étudiante réussie et la consommation d’alcool

2- L’esprit de compétition : la valorisation de la défonce et la notion de « soirée réussie »

La multiplicité des associations, des clubs et des cercles au sein d’une même école, ainsi que la « culture de la promo » peuvent favoriser l’esprit de compétition qui est déjà l’emblème des écoles de commerce et d’ingénieurs.

Compétition qui, précisons-le, existe déjà entre ces différentes écoles en général et entre leurs associations en particulier. Laissons de côté la compétition concernant les résultats, la rentabilité des diplômes, la recherche de partenaires parmi les grandes entreprises, etc., c’est-à-dire la compétition concernant les études.

On se focalise surtout sur la compétition interne et externe entre les associations, les clubs et les promos de ces écoles et dont l’enjeu majeur est d’organiser la soirée, la sortie ou la campagne la plus « réussie ».

Qu’est-ce qu’une « soirée réussie » ?

– « Toutes les écoles organisent des fêtes, une fois par semaine ou par mois, dans leurs locaux ou en boîte. En région parisienne, outre les soirées de Dauphine, les étudiants apprécient celles de Supélec ou d’HEC. Le campus de Jouy-en-Josas accueille une fête tous les jeudis et certaines sont open bar jusqu’à l’aube (pour une entrée de 15 à 20 euros).

A l’Essec, le BDE met sur pied une soirée par semaine et un mini-gala par mois dans les boîtes de nuit de Cergy-Pontoise, parfois en open bar. Un bon BDE, décrypte Alice, c’est celui qui propose des prix intéressants pour aller se tourner la tête…»1

1 CAIRN, Les usages de produits psychoactifs des étudiants, François Beck, Stéphane Legleye, Philippe Guilbert, Patrick Peretti-Watel.

Il faut savoir que le nombre de cas de coma éthylique constitue parfois un bon argument pour distinguer les soirées étudiantes. En gros, celles qui ont enregistré le plus de cas de coma éthylique sont les plus « réussies » :

– « C’est vrai que la dernière soirée qu’on a faite, tellement l’ambiance était motivée qu’il y a quand même eu trois personnes qui sont parties en coma éthylique. Ça c’est quand même, pour la vie de l’école c’est sympa (rires) ». (B. étudiant à l’ESC Rouen, Envoyé spécial, France2, janvier 2007).

Ce que ces étudiants appellent une « soirée réussie » n’est rien d’autre qu’une soirée où la quantité d’alcool est assez suffisante « pour mettre tout le monde KO », une soirée où il y a surtout une grande quantité d’alcool fort, une diversité de consommation, une soirée où l’alcool est à bas prix et parfois gratuit. Bref, une « soirée réussie » c’est une soirée où il y a des « happy hours » et des « open bars ».

Par « happy hours », il faut entendre un nombre d’heures limitées, dans la soirée, où la consommation d’alcool sera gratuite. Cependant, les « happy hours » se déroulent en général pendants la dernière heure ou les deux dernières heures de la soirée.

En plus d’attirer plus de monde, cette pratique est une stratégie permettant de garder jusqu’à la fin de la soirée les étudiants qui ont tendance à rentrer plus tôt ou à aller jeter un coup d’œil chez la concurrence, c’est-à-dire dans d’autres soirées organisées par d’autres associations.

Cette concurrence entre associations est favorisée par le fait que ces écoles sont souvent concentrées dans les mêmes localités et surtout dans les grandes villes.

Quand au principe de l’ « open bar », il consiste tout simplement à instaurer « une consommation d’alcool à volonté surtout pour les membres ou simples adhérents de l’asso ». Dans les soirées « open bar », l’achat d’un ticket d’entrée donne à l’étudiant un droit de consommation illimitée. C’est ce qu’on appelle aussi les forfaits de consommation libre.

Ces pratiques, comme on le sait, tendent à favoriser la consommation excessive et extrême de l’alcool dans les soirées étudiantes comme l’expliquent ces deux étudiants qui répondent à un article publié par un de leurs amis sur son blog :

– « je n’ose plus aller aux soirées étudiantes rien qu’à cause de l’alcool… »

– « Je ne vais pas répondre tout de suite à vos commentaires pour la bonne et simple raison que le tableau d’affichage dit ceci : Alcool 1 – Etudiants 0 »

1Cécile Maillard, Le Nouvel Observateur, Alcool à gogo dans les fêtes étudiantes. Quand la défonce fait partie du cursus

Il faut rappeler que la proposition de loi du ministre de la santé lors du conseil des ministres du 22 octobre 2008 vise à interdire ces « open bars » et « happy hours ». De même, les associations doivent disposer d’une licence octroyée par la douane afin de pouvoir détenir un volume précis d’alcool. Toutefois, les associations étudiantes continuent à s’adonner à ces pratiquer en cachette.

Il est aussi interdit à ces associations d’introduire des boissons alcoolisées à provenance extérieure, en cours de soirée. Mais, elles (les associations) ne manquent pas de stratégies pour contourner la loi afin de « réussir » leurs manifestations. Par exemple, « en avril dernier, une descente de gendarmerie à Polytechnique a permis de trouver une incroyable réserve :

500 bouteilles d’alcool fort, une soixantaine de fûts de bière de 30 à 50 litres, 700 cartouches de cigarettes. Le tout sans licence »1.

Ce n’est pas seulement pendant les soirées ou les week-ends d’intégration que l’alcool fait flot dans les campus des écoles de commerce et d’ingénieurs.

Même pendant les campagnes pour les élections au Bureau Des Etudiants, l’alcool est au cœur de tous les enjeux. Les candidats peuvent distribuer gratuitement de la nourriture, des objets et surtout des boissons alcoolisées pour s’attirer des électeurs. « Car un bon BDE est un BDE qui sait organiser des fêtes, voire distribuer de l’alcool gratuitement. C’est même un argument de campagne pour se faire élire. »2

Ceci dit, il faut préciser que la cuite est très valorisée dans ces milieux étudiants :

– « Dans un journal publié régulièrement par une association de l’école, les personnes les plus soules, les plus « mortes » ont droit à un article entier!! » (Étudiante à l’ESC Rouen).

1 Ibid.

2 Trop d’alcool dans les grandes écoles, Le Figaro

En effet, celui qui boit toujours plus que les autres et qui peut être parfois même victime de coma éthylique est souvent considéré comme le héros de la soirée. Par exemple, sur le site internet du bureau des étudiants de l’ISEP (Institut Supérieur d’Electronique de Paris), on peut voir des extraits de vidéo de la soirée de rentrée 2008 où, les vainqueurs des compétitions de défonce sont portés en triomphe; et dans les commentaires, on peut lire ceci : « t’en as vraiment pris une bonne », « t’as été le meilleur Nico ! » et beaucoup d’autres messages de ce type, montrant à quel point le binge-drinking dans les écoles de commerce et d’ingénieurs est souvent valorisé et valorisant, « institué » et « instituant ».

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