Instruments économiques et fiscaux et Protection des zones humides

L’instauration d’instruments économiques et fiscaux incitatifs à la protection des zones humides – Chapitre 2 :
Une réglementation diverse s’est imposée peu à peu visant à protéger les zones humides. Il n’y a pas de droit spécifique de protection des zones humides, mais une multitude d’outils, réglementaires, conventionnels, fonciers ou encore de type « labels ». Les zones humides ont été définies et délimitées aussi bien au plan national qu’international, et leur protection assurée via les différentes caractéristiques que ces milieux présentent. L’impact de ces différents outils n’est pas évident à mesurer, mais ces derniers doivent être englobés, pour une meilleure efficacité, dans une politique globale de protection et de gestion des zones humides.151 Le recul des zones humides, constaté par le rapport « Bernard »152, ne semble pas avoir été encore contrebalancé.
La fiscalité et divers instruments financiers entrent alors en jeu comme outils incitatifs à la préservation et à la conservation des zones humides complétant les instruments déjà présentés.153
Fiscalité et gestion des espaces humides sont en contradiction. En effet, la fiscalité a très longtemps favorisé les mesures de destruction des zones humides. La fiscalité française a historiquement ignoré l’environnement dans son ensemble.154 Le statut fiscal d’un bien dépend avant tout de sa valeur économique. L’impôt est ainsi aveugle de la valeur écologique d’un espace naturel. C’est pourquoi, les zones humides ont fait l’objet d’un régime défavorable car leur valeur économique est souvent très faible. Par opposition, les forêts bénéficient d’un statut fiscal avantageux : d’abord par la ressource bois, économiquement fiable, ensuite par les régimes spécifiques155 dont ces espaces bénéficient, et par le calcul du revenu cadastral (assise de la taxe foncière) qui leur est bénéfique. En parallèle du système d’imposition, la législation rurale tend à être de type « aménagiste », et donc défavorable à la préservation des espaces naturels tels que les zones humides.156

151 SAINTENY Guillaume, La fiscalité de l’espace naturel en France : essai de diagnostic et propositions de réformes d’après l’exemple des zones humides,Victoires, Paris, 1991, p. 91.
152 Rapport « Bernard », précité, p. 50.
153 Outils de planification, labels, instruments de protection, maîtrise foncière.
154 SAINTENY Guillaume, La fiscalité de l’espace naturel en France : essai de diagnostic et propositions de réformes d’après l’exemple des zones humides, précité, p. 12.
155 Il s’agit des régimes Sérot et Monichon.

Il y a donc un long passif d’incitation à la destruction et à la mise en culture des terres des zones humides. L’article 1395 du Code Général des Impôts157 (dans sa version initiale) prévoyait une exonération de la Taxe
Foncière sur les Propriétés Non Bâties158 pour les marais desséchés pendant les vingt premières années. L’article 1401 stipulait, par ailleurs, qu’un propriétaire pouvait abandonner ses « terres habituellement inondées »159 à la commune et s’affranchir de l’impôt. L’origine de ces mesures est à tirer des édits d’Henri IV qui donnaient un régime juridique privilégié pour les zones de dessèchement des marais. Cette politique a été prolongée par la disposition du 3 frimaire an VII160, qui mettait en place une exonération de la taxe foncière sur les marais asséchés (pour mise en culture) et qui n’a été supprimée que par la Loi de finances pour 1991.161
Aussi, dans la seconde moitié du 19e siècle, plusieurs lois mettent en place une politique d’assèchement et de drainage des zones humides. On peut citer l’exemple de la Loi du 28 juillet 1860 sur la mise en valeur des marais et des terres incultes appartenant aux communes.162
C’est dans un contexte plus large d’internalisation par les prix et d’écofiscalité, que la fiscalité des zones humides est devenue une problématique centrale de protection de ces espaces. Ainsi, plusieurs rapports sur l’incitation fiscale en faveur d’une politique de l’environnement ont été rendus dans les années 1990 : rapport Barnier, Ramsès, ou encore le Plan national pour l’environnement. Aussi, des taxes sur les automobiles, sur les effluents ou encore les sacs plastiques ont été mises en place.163 En effet, le gouvernement Jospin a entamé une réforme de la fiscalité écologique, à la suite du rapport de la député Nicole Bricq.164 Ainsi, la Taxe Générale sur les Activités Polluantes165 a été mise en place, suivie en 2000 par une extension de la fiscalité écologique aux activités dégradant la ressource en eau. L’année 2001 aurait dû consacrer la phase III du processus avec l’extension au domaine de l’énergie.166

156 SCHMIDT Thierry, « Fiscalité et environnement : l’impôt, la forêt et le marais », Revue Française de finances publiques, 1985, n°10, pp. 51-53.
157 CGI.
158 TFPNB.
159 Donc qualifiées de zones humides.
160 Articles 66, 109 et 111 de cette même disposition.
161 Article 107 de la Loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 de finances pour 1991 (J.O du 30 décembre 1990, p. 16367).
162 Loi qui entraîna par ailleurs un recensement de l’ensemble des zones humides de l’Empire.
163SAINTENY Guillaume, La fiscalité de l’espace naturel en France : essai de diagnostic et propositions de réformes d’après l’exemple des zones humides, précité, p. 34

Sur le plan international, l’écofiscalité est aussi un sujet en vogue. Dès 1984, l’OCDE vise à renforcer les instruments économiques comme instruments efficaces, favorisant l’innovation et appropriés aux politiques préventives de protection de l’environnement. Une réunion de l’OCDE en janvier 1991, a invité les Etats à « examiner les possibilités d’adapter les régimes fiscaux pour atteindre à la fois des objectifs socio-économiques et environnementaux ».167 Par ailleurs, l’UE s’est engagée elle aussi dans l’utilisation de ces mêmes instruments. La motivation étant de « compléter l’arsenal réglementaire par des instruments incitatifs ».168 La conférence de Dublin du 25/26 juin 1996 vient illustrer cette volonté. En effet, les chefs d’Etats et de gouvernements ont alors stipulé que « la politique environnementale de la communauté reposera sur des normes mais assortie de mesures économiques et fiscales pour intégrer pleinement le facteur environnement dans d’autres domaines d’action ».
C’est sur la fiscalité que l’enjeu environnemental semble cependant se cristalliser. Comme le souligne Caroline London, « les instruments économiques et fiscaux sont donc au centre de la prise de décision en matière environnementale ». Les zones humides furent l’objet d’une fiscalité lourde n’incitant pas à leur protection et même incitant plutôt à leur destruction ou transformation, ainsi que d’aides incitatives pour ces destructions. Des incitations favorables à la préservation des milieux naturels, notamment des zones humides, ont été mises en place.

164 BRICQ Nicole, « Pour un développement durable : une fiscalité au service de l’environnement», Assemblée Nationale, Rapport d’information n° 1000, juillet 1998.
165 Dite « TGAP ».
166 La Loi de finances rectificative du 22 décembre 2000, relative entre autres à « l’an III de l’écofiscalité » a été censurée par le Conseil Constitutionnel.
167 OCDE, Stratégies de mise en œuvre des écotaxes, OCDE, janvier 1996, p. 9.
168 LONDON Caroline, Environnement et instruments économiques et fiscaux, L.G.D.J., Systèmes Droit, Andrézieux-Bouthéon, novembre 2001, p. 16.

L’OCDE définit les instruments fiscaux de protection de l’environnement comme étant les « moyens d’intervention des pouvoirs publics modifiant les prix relatifs et les signaux de marché afin de décourager certains modes de production et de consommation, et d’en encourager d’autres ». Ceux-ci comprennent les taxes et redevances spécifiques, les déductions fiscales, les taxations de produits à des taux différenciés.169
Caroline London précise cette nomenclature en ajoutant, les permis, quotas et droits ; les systèmes de dépôts-consignation ; les subventions et aides financières aux pollueurs pour diminuer leur impact.170
La fiscalité du patrimoine semble alors un enjeu important pour l’environnement. D’autant plus que le patrimoine naturel en France souffre d’inégalités sur le plan fiscal. Il existe en effet un taux d’imposition identique sur des biens d’un rapport très différent. Si l’imposition sur des valeurs mobilières rapportant 7% par an s’élève à 2 ou 3%, il est facile d’acquitter l’impôt avec les revenus des biens concernés. En revanche, si le rendement des biens est inférieur à 2%, le propriétaire est contraint de payer l’impôt avec une partie du bien lui-même (vente de bois par exemple), ou en changeant la nature du bien : construction et artificialisation diverses vont alors avoir lieu. L’impôt sur le capital est alors confiscatoire. Ainsi, la fiscalité foncière sur le non bâti est créatrice d’une artificialisation de certains espaces, et en premier chef, les zones humides, zones qui dégagent peu de revenus. Cette artificialisation menace la biodiversité et la préservation de milieux fragiles.171

169 OCDE, Stratégies de mis en œuvre des écotaxes, précité, p. 10.
170 LONDON Caroline, Environnement et instruments économiques et fiscaux, précité, p. 14.
171 Séminaire « Nature et Fiscalité », Paris, 25 octobre 2005.

Il n’y a pas en France une structuration du système fiscal en faveur de la protection de l’environnement, mais la fiscalité vient ponctuellement compléter un problème ou un défaut de réglementation. La réforme entamée par L. Jospin en 1997 visait à pallier cet aspect disparate de la fiscalité environnementale. L’instrument fiscal fait partie de l’arsenal de la politique de l’environnement : soit pour collecter des ressources afin de financer la prévention ou la réparation de dommage, soit pour influencer les comportements dans un sens plus conforme à l’écologie.172 La fiscalité, comme expression de la solidarité nationale, pourrait cependant être l’outil privilégié de la mise en œuvre d’une politique de l’environnement.173 Ce sont dans les années 1990 qu’une révision de la fiscalité dans le domaine de l’environnement a débutée. En effet, la loi de finances pour 1991174 a supprimé certaines dispositions fiscales néfastes à la protection des zones humides. De plus, une stratégie fiscale globale a été lancée par la Loi sur l’eau de 1992 pour répondre à l’objectif fixé de protection intégrale des zones humides. Ainsi, deux pôles ont été privilégiés : une protection générale de l’environnement et une politique de protection de milieux spécifiques par une refonte de l’imposition foncière.175 Par exemple, la dotation globale de fonctionnement a créé la dotation de solidarité rurale, qui ajoute aux critères classiques de répartition que sont le nombre d’habitants, le potentiel fiscal, le nombre d’élèves, la longueur des voiries, celui du montant des investissements pour la protection de l’environnement.176
La protection des zones humides est alors devenue une cible des instruments économiques et fiscaux en France.

172Conseil des Impôts, Fiscalité et Environnement, , 23e rapport au Président de la République, 2005, p. 121.
173 SORIA Olivier, « Fiscalité et protection de l’environnement », Zones Humides Infos,n° 4, avril 1994, p. 10.
174 Loi de finances pour 1991, précitée.
175 SORIA Olivier, « Fiscalité et protection de l’environnement, précité, p. 10.
176 Groupe « Zone humide », « Plan d’action zones humides : l’eau à la bouche », Zones Humides Infos, n° 8, 2ème trimestre 1995, p. 4.

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Mémoire de fin d’études – Diplôme IEP
Université LYON 2 – Institut d’Etudes Politiques de Lyon

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