Annakaisa Kultima et définition du casual game – Valeurs de design

Annakaisa Kultima et définition du casual game – Valeurs de design

2.2.2 La définition d’Annakaisa Kultima

Dans le cadre du projet Game as Services, Annakaisa Kultima propose une définition du casual game centrée sur des valeurs de design.

Il est intéressant de constater que l’auteure prône un changement dans le design :

Hence there is more than one road to “casual game design” and room for different kinds of casual games. What the solutions may have in common is the shift in the design approach (Kultima, 2009, p. 60).

Elle nous rappelle que le design de jeux peut être vu comme un « second order design » (Kultima, 2009, p. 60), c’est-à-dire que le designer de jeux agit indirectement sur l’expérience des joueurs, il ne contrôle pas exactement leurs actions. L’auteure s’appuie sur les écrits d’un chercheur ayant participé à l’élaboration des théories en design, Bryan Lawson (Lawson, 2006 [1980]), pour justifier sa position et explique ainsi :

Designers aim to deal with questions of what might be, could be and should be instead of what is and why this is so. In this sense, to design is to adopt an approach based on certain value assumptions and principles (Kultima, 2009, p. 60).

D’après l’auteure, le designer utilise donc des valeurs et des principes pour guider son travail, et ce sont ces principes qui doivent être repensés pour le jeu casual.

Deux aspects spécifiques du design ont été ignorés par les designers de jeux jusqu’à aujourd’hui :

* les « environnements de jeu », c’est-à-dire les seuils (threshold) des joueurs et les propositions (affordances) faites aux joueurs :

The play environment may not afford anything interesting, meaningful or useful for the player or what is provided does not match the norms, needs and life situations of the users and thus appears irrelevant to them (Kultima, 2009, p. 60).

* l’importance et la signification du contexte de jeu :

In designing casual products, there is a need to look beyond the gameplay and design games as part of a wider experience to support and serve the players in different stages of the experience (Kultima, 2009, p. 60).

L’environnement de jeu est caractérisé par les seuils. Ces derniers sont reliés à la différence de moyens et de niveau des joueurs. Cela concerne aussi bien des moyens physiques (le matériel à leur disposition ou leur compréhension de ce matériel) que des moyens économiques, ainsi que leur connaissance des conventions de jeu, etc. L’importance du contexte implique de ne pas réaliser uniquement un jeu et ses mécaniques, mais bien de nombreuses possibilités d’expérience de jeu selon des contextes variés (Kultima, 2009).

a. Les critères de Kultima

Kultima propose alors des valeurs qui permettent de répondre à ces deux grands problèmes de design, en se basant sur une analyse des solutions de design proposées par différents jeux casual qu’elle a pu tester. Ces valeurs sont l’acceptabilité, l’accessibilité, la simplicité et la flexibilité .

L’acceptabilité consiste à rendre le jeu approprié au plus grand nombre. Cela passe par le thème du jeu (pas de violence ni de sexualité), par les mécaniques (des puzzles abstraits ou des mécaniques connues comme les échecs, le football, etc.), par l’investissement qui sera faible ou justifié par un but externe (perdre du poids, apprendre), et par des prix réduits (Kultima, 2009). L’acceptabilité suppose une norme, un seuil qui détermine ce qui est possible ou non, mais l’auteure ne s’attarde pas sur cet aspect.

L’accessibilité consiste à permettre à des joueurs possédant différentes limitations de jouer malgré tout, ce qui force les designers à revoir leur stratégie de conception : « This forces us to look at the adoption phase of the games and promotes lowered thresholds according to the lowest possible nominators » (Kultima, 2009, p. 61). Le jeu est ainsi limité cognitivement, la phase d’adoption du jeu (les premiers contacts avec le jeu) doit se révéler simple, le jeu est facile à acheter (le trouver n’est pas difficile et il est peu cher) et à installer, le design est simplifié (Kultima, 2009).

La simplicité du design permet des expériences de jeu plus légères, et la charge cognitive imposée au joueur doit toujours être faible. Cela implique par exemple de ne faire appel qu’à un seul bouton pour contrôler le jeu, ou d’automatiser certaines fonctions du jeu comme la sauvegarde (Kultima, 2009).

Enfin, la flexibilité implique de pouvoir jouer dans des contextes variés et changeants. Le jeu et la vie peuvent s’interpénétrer, l’attention du joueur peut ne pas être concentrée entièrement sur le jeu, le jeu n’est pas très punitif en cas d’erreur, etc. (Kultima, 2009).

b. Les limites de la définition de Kultima

Tout comme celle de Juul, la définition de Kultima présente certaines limites. Tout d’abord, la proposition de Kultima ne permet pas une classification stricte : un jeu est casual à partir du moment où il reflète l’une des quatre valeurs de design proposées. Cela permet de discuter des aspects casual d’une grande variété de jeux, tels que les jeux indépendants, les jeux sérieux ou encore les jeux à licence9. L’auteure précise cependant que cela ne signifie pas que tous les jeux sont casual.

Elle désire montrer que ce ne sont pas les jeux en eux-mêmes qui sont casual, mais plutôt les valeurs de design qui leur sont associées qui permettent de les classer comme étant casual. Tout comme Jesper Juul, elle souligne le fait qu’il n’est pas véritablement possible de classer les jeux de façon dogmatique :

Furthermore it is important to understand that gamers and users of games are not divided simplistically into casual or hardcore gamers. We do not judge game experiences by rigid criteria (Kultima, 2009, p. 64).

De plus, les valeurs de design proposées semblent être en forte opposition avec celles du hardcore gaming : pour Kultima, le défi et l’immersion sont des éléments qui n’ont peut-être plus leur place dans le jeu casual.

Why do games need to be highly challenging? Why do I need to devote my entire attention to the game and become immersed in its world? Why do I need to feel the flow of the game experience? Are science fiction, war and fantasy meaningful topics for everyone? What is really a good game? (Kultima, 2009, p. 65).

Mais l’auteure rappelle aussi que hardcore et casual ne sont pas deux pôles antithétiques. Dans ces conditions, pourquoi rejeter aussi drastiquement les valeurs du jeu hardcore ? Ce qui pousse Kultima à remettre en question les valeurs du jeu vidéo hardcore semble être l’approche qu’elle a utilisée. Les valeurs de design proposées veulent se dissocier des problèmes traditionnels du jeu vidéo, mais de ce fait elles rendent difficile l’examen des jeux.

9 Les jeux à licence s’inspirent d’univers préexistants, issus par exemple du cinéma ou de la littérature

L’approche par les valeurs de design permet des résultats bien plus riches que d’essayer de définir les jeux casual par des propriétés intrinsèques au gameplay (tels que les contrôles ou la difficulté). Cependant, le processus permettant d’arriver à ces quatre valeurs de design est fondé sur une analyse de jeux du côté de l’utilisateur et non du côté des designers. Sont-ce véritablement des valeurs de design, ou plutôt des valeurs véhiculées par les jeux ?

De plus, certaines valeurs se recoupent : l’accessibilité implique un design simplifié (« Player’s cognitive load is alleviated by simplifying the design10. » (Kultima, 2009, p. 62)) , mais une solution de design jouant sur la simplicité ne devrait-elle pas être classée sous la valeur homonyme ? Quel est l’intérêt d’amener deux valeurs différentes si les solutions de design se recoupent?

Par ailleurs, dans un article subséquent, Kultima a finalement estimé que les valeurs de design qu’elle a dégagées concernant le jeu casual s’appliquaient en réalité à la plupart des jeux :

The normalization process of gaming culture means that the design process for casual games, which values acceptability, accessibility, simplicity, and flexibility (Kultima, 2009) becomes relevant for most games (Kultima & Stenros, 2010).

Dans ces conditions, cette étude est-elle toujours adéquate pour le jeu casual ? Nous estimons qu’il s’agit d’un jalon important dans l’évolution de la recherche sur le jeu casual, mais l’on peut constater qu’il ne s’agit pas de la définition tant attendue.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Casual games : définition à l’aide du savoir professionnel des designers de jeux
Université 🏫: Université de Montréal - Faculté de l’Aménagement
Auteur·trice·s 🎓:
Laureline Chiapello

Laureline Chiapello
Année de soutenance 📅: Mémoire présenté à la Faculté des Études Supérieures et Postdoctorales en vue de l’obtention du grade de M. Sc. A. en Aménagement - Août 2012
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