Vers de nouvelles formes de design et de nouveaux consommateurs

Vers de nouvelles formes de design et de nouveaux consommateurs

c) De nouveaux «consommateurs»

Le design ne semble plus pouvoir être évalué en terme d’objectifs à atteindre, de critères universellement reconnus comme la valeur utilitaire ou la fonctionnalité, mais en fonction de la valeur empirique subjective que l’objet «design» représente pour son utilisateur. Chaque individu est devenu son propre critique, avec sa compétence à lui, différente, personnelle et unique.

«La conception utopique d’il y a 50 ans d’une globalisation de l’objet conduisait à un piétinement de l’individu», nous dit Gillo Dorflès3 . Le retour à l’individualisme qui va dans le sens d’une personnalisation de l’objet est pour lui un facteur positif, et l’individualisme n’est donc pas ce que d’aucun illustre comme bouée de sauvetage.

Pour Raymond Guidot4, l’utilisateur, en devenant avant tout consommateur de composants industrialisés aura son mot à dire dans la conception et la réalisation des objets de son propre environnement : «de la fabrication sur mesure, en quelque sorte, et peut-être aussi l’éveil chez tout un chacun de combiner à son tour, d’agir sur son cadre de vie. Là, le designer peut jouer un rôle d’orientateur pour candidats à l’auto- construction, et fonder sa pédagogie sur les médias».

1 Avant-propos intitulé le design en question, Design, miroir d’un siècle, Paris, APCI- Flammarion, 1993.

2 Avant-propos intitulé le design en question, Design, miroir d’un siècle, Paris, APCI-Flammarion, 1993.

3 Entretien réalisé par J.C. Conesa et V. Lemarchands, Caravelles 2, Lyon, Totem, 1991.

4 «Des goûts et des ismes», à l’heure du design, Art Press, hors-série n°7.

Autrement dit, le designer ne doit pas être perçu comme un dictateur de goût, mais plutôt comme un formateur, un sensibilisateur, un éveilleur de goût, capable de développer une dynamique individuelle.

Félix Guattari1 pousse le raisonnement plus loin. Pour lui, le designer n’est pas un médiateur mais un intercesseur entre l’objet manufacturé et le consommateur. Il prône une relation directe, immédiate entre l’objet et l’utilisateur, favorisant une resingularisation de l’environnement créateurs-amateurs :

«La fonction de designer entre autre chose pourrait être celle de produire des modules dynamiques de composition, donc d’ouvrir des champs de possibilité pour les consommateurs, ce qui n’interdirait en rien au designer lui-même, dans cette fonction d’interface, d’être un créateur.

La question c’est qu’on pourrait ouvrir la fonction de création dans un éventail où on aurait d’un côté des créateurs à temps plein, des créateurs professionnels et puis, de l’autre, des créateurs amateurs. (…) Il faut assumer le paradoxe qui veut qu’à la fois les fonctions de création, les fonctions de travail intellectuel, l’innovation… relèvent de spécialistes, des professionnels et en même temps, ces mêmes fonctions vont tendre à se généraliser, à, se diffuser dans le corps social.»

Jean Baudrillard2, accuse le design de cette coupure entre producteurs et consommateurs,entre concepteurs et usagers, qu’il qualifie de discriminante. Il faut briser ce sanctuaire de la production, de la décision et de l’innovation qui équivaut pour les usagers à une ex-communication culturelle.

Excommunication pris au sens littéral; ça ne communique plus. Il exprime ainsi l’idée que les objets peuvent être beaux et fonctionnels, riches de significations, mais si ces significations sont produites unilatéralement, ces produits ne peuvent rien échanger à la forme du rapport social.

Le consommateur, jusqu’à aujourd’hui totalement passif, serait donc amené à jouer un rôle au sein même de la création. On peut dans cette optique, imaginer qu’un consommateur commande à un producteur un certain type d’objet, dont il donne les coordonnées, les formes, la définition par une composition à partir de modules informatiques.

La libération du temps de travail du fait des révolutions informatiques, robotiques et télématiques peut conduire de plus en plus les individus et les groupes sociaux à se mettre en «position d’initiative, de réappropriation des modules du sensible, de l’intellectuel et des affects». Toutes les règles composées des éléments codés telles que la notion de standard et de série deviennent alors, cela va sans dire, caduques.

1 Entretien réalisé par J.C. Conesa et V. Lemarchands, Caravelles 2, Lyon, Totem, 1991.

2 «Le crépuscule des signes», Traverses n° 2, CCI-Centre G. Pompidou, 1975.

d) Vers de nouvelles formes de design

* Nouvelles technologies

Avec le matériel et les logiciels que lui offre l’informatique, le concepteur dispose de techniques nouvelles et variées pour approcher et éprouver son projet. Il s’agit d’une véritable extension de ses capacités matérielles et instrumentales.

Ainsi à la production indispensable du prototype grandeur nature, s’est substitué le prototype virtuel grandeur simulée; de même, l’image numérique produite par une machine à remplacée le dessin pour la première fois dans l’histoire de la civilisation.

Parallèlement, le designer dispose d’une multitude d’instruments de traitement de l’information et de réseaux, à partir desquels de nouveaux territoires d’investigation s’ouvrent. En effet, la plupart des produits industriels actuels comportent une dimension informationnelle; ils contiennent un microprocesseur ou de l’information.

Partant de cette remarque, on peut imaginer que s’ouvre alors au design tout le champ conceptuel de la relation entre l’homme et la machine, dialogue qui exploite nécessairement cette composante informationnelle des produits.

Le design du virtuel consisterait en particulier à concevoir cette composante (une forme et une fonction virtuelles) : on simulera une scène dans laquelle un sujet, lui-même virtuel ou réel, essaiera de communiquer avec une machine et l’on analysera en temps réel comment il tentera de la comprendre ou de l’utiliser, pour mieux concevoir le contenu informationnel. La photocopieuse, ou le guichet bancaire sont deux exemples où la machine entretient avec l’utilisateur un véritable dialogue. Au delà du dialogue, le design virtuel peut prendre d’autres formes, comme le service en général.

* Le design et les sens

Le sensoriel devient une composante importante du design, regroupant les différents sens tel que l’ouï, le toucher, l’odorat, ce que Branzi a d’ores et déjà qualifié dans la casa calda, le design «soft».

Notre univers quotidien est peuplé d’objets, qui à défaut d’avoir une âme, ont une voix : voix de la matière, voix motorisée, voix électriques, voix électroniques… Muets, que seraient tous ces objets ? Or, si l’histoire du design sonore n’existe pas, le cinéma parlant, lorsqu’il entreprit de faire parler les choses, découvrit rapidement que les vrais bruits étaient pauvres ou laids. Les bruiteurs peuvent être considérés comme les premiers designers de sons.

Mais la réalité quotidienne est en retard sur le cinéma, et bon nombre des signaux sonores de notre monde industriel ne sont pas à la hauteur de l’émotion qu’ils sauraient pourvoyer. On ne trouvait pas d’exemple de collaboration entre compositeurs, acousticiens et industriels jusqu’à aujourd’hui, où les constructeurs automobiles, par exemple, commencent à travailler sur la qualité sonore de leurs voitures. Renault simule dans un studio d’enregistrement le moteur idéal (sur un plan marketing), et les ingénieurs sont chargés de le reproduire mécaniquement.

En fait, dans presque tout les domaines concernés par le design sonore, on observe un mouvement d’intérêt : communication (logos sonores, à l’instar des logos graphiques), signalétique (signaux sonores dans les gares, centres commerciaux…), ergonomie (signaux dans les ordinateurs, calculettes, réveils…)

L’accumulation des sons dans la vie quotidienne semble imposer l’intervention de «plasticiens du sons», ou plus simplement de musiciens prêts à travailler sur les objets, pour réduire au silence les signaux inutiles et faire place à des sons riches, différenciés et significatifs.

D’autre part, l’apparition de nouvelles techniques dans le secteur de l’industrie a donné naissance à des objets partiellement ou totalement innovateurs. Certains d’entre eux posent des problèmes radicalement différents de ceux que le design a eu à résoudre jusqu’à présent.

La biotechnologie, intervenant au niveau des gènes, rend possible la production «industrielle» d’animaux et de végétaux, où la préoccupation de la forme et de la couleur est loin d’être absente. Créer un nouveau légume exige non seulement qu’il soit bon au goût, que sa «forme» gustative soit agréable, mais aussi beau à voir, bien dessiné, bien coloré. Les limites fixées par la nature, tendent à s’estomper au profit d’un élargissement des possibles.

Actuellement, il n’existe vraisemblablement pas de designers spécialisés dans la mise en forme de ces nouveaux produits, sans doute compte tenu de la difficulté d’isoler l’intervention biologique de l’intervention esthétique; mais ne peut- on envisager que l’avenir voit naître une nouvelle catégorie de concepteurs : les «zoo» ou «phytodesigners» ?

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