Relation amoureuse : le couple, la rencontre et ses caractéristiques

Relation amoureuse : le couple, la rencontre et ses caractéristiques

La relation amoureuse

Tenter de cerner les contours du couple en s’intéressant aux facteurs de rupture de celui-ci donne à comprendre certaines tensions à l’œuvre dans cette figure de la relation signifiante. Mais il est temps d’entrer dans les processus qui construisent la relation. Qu’est-ce qui pousse les personnes l’une vers l’autre maintenant que dans notre société, le plus souvent, les « mariages » ne sont plus préétablis ?

La naissance du couple

Comment se lient les partenaires ? De la rencontre à l’approfondissement des liens, les processus relationnels ont fait l’objet d’enquêtes.

Nous allons nous aider ici des travaux de recherche de Francesco Alberoni, psychosociologue et chercheur spécialisé dans l’étude des émotions collectives et des sentiments humains. Les titres de ses principaux ouvrages sont évocateurs d’une recherche consacrée essentiellement à ces questions : Le choc amoureux, L’érotisme, Le vol nuptial, L’amitié, Vie publique et vie privée, et enfin Je t’aime – tout sur la passion amoureuse (2005).

La rencontre et ses caractéristiques

Quand et pourquoi devenons-nous amoureux ?

Précisons que pour Alberoni (2005), « devenir amoureux signifie qu’on a placé quelqu’un au dessus de tous les autres, qu’il est pour nous l’unique, l’irremplaçable, celui auquel aucun autre ne pourra être comparé » (p. 32). Mais devenir amoureux nécessite une conjonction de plusieurs éléments. En voici l’énumération (op. cit., pp. 25-35). Nous tombons amoureux quand nous nous sentons prêts à :

  •  nous transformer;
  •  abandonner une expérience déjà faite et usée;
  •  explorer une capacité nouvelle de nous;
  •  explorer des mondes nouveaux;
  •  réaliser des rêves et des désirs auxquels nous n’avions pas renoncé.

Parfois, nous tombons amoureux également quand nous avons une profonde insatisfaction du présent et quand nous avons assez d’énergie intérieure pour entamer une nouvelle étape de notre existence.

Par opposition, précisons que pour Alberoni, il y a des périodes de vie où il est impossible de tomber amoureux. C’est le cas par exemple des périodes profondément dépressives dans lesquelles les personnes n’ont plus d’espoir en la vie : « Quelqu’un de déprimé ne va pas tomber amoureux parce qu’il n’a pas d’élan vital, qu’il n’a pas un désir de vivre suffisant, qu’il n’a pas d’espérance ».

C’est le cas également des périodes de deuil qui marquent la perte d’une personne aimée profondément. Les personnes utilisent alors toute leur énergie à « soigner leurs blessures » (op. cit., p. 31).

C’est enfin le cas des personnes déjà amoureuses. Pour l’auteur, « l’énamourement » – le processus de tomber amoureux – va avec le fait que « l’amour de l’être aimé est la source de tous nos désirs. […] La personne aimée n’est pas un objet d’amour parmi tant d’autres.

Elle est la porte qui nous donne accès à tous les autres objets » (op. cit., p. 32). Pour l’auteur, si quelqu’un nous dit par exemple qu’il était amoureux d’une certaine personne, mais qu’ensuite, soudainement, il est devenu amoureux d’une autre, nous devons avoir des doutes sérieux sur le premier type d’énamourement et des doutes aussi forts sur le second. Il y a probablement là une confusion avec ce que l’auteur dénomme des « explorations amoureuses » (Ibid.).

L’énamourement convoque en effet un processus profond. « Il est précédé par une crise des rapports existants, […] par une impression d’inauthenticité. Et en même temps, par la nostalgie aiguë d’une vie plus vraie, plus intense, plus réelle » (Ibid.).

Parmi les propres commentaires de l’auteur autour de ces conditions du « devenir amoureux », soulignons celui-ci, qui se rapporte aux personnes en changement : « De tout ce qui a été dit découle un corollaire fondamental : quand un être change, se transforme, fait des expériences nouvelles, il se trouve souvent dans la condition de devenir amoureux une autre fois. En conséquence, une vie longue et intense a peu de chance d’être caractérisée par un seul et unique amour.

Bien sûr, il existe des couples qui continuent à s’aimer durant toute la vie. Mais même chez eux, il est probable qu’au moins l’un des deux a fait l’expérience d’aimer une autre personne. Même s’il décide ensuite d’y renoncer afin de ne pas mettre son rapport fondamental dans une grave difficulté » (Ibid., p.34-35).

Ouvrons là une parenthèse au carrefour de notre thème : rapport au sensible et expérience de la relation de couple. Nous constatons avec Alberoni que la personne disponible à la rencontre amoureuse a un besoin, voire une nécessité de renouvellement et de grandissement.

La rencontre faite avec le sensible ne répondrait- elle pas elle aussi à ces besoins ? Nous avons vu en effet que le rapport au sensible permet de faire une expérience de soi, des autres et du monde totalement inédite. Cette rencontre est véritablement une source de nouveauté, tant perceptive que cognitive. Où se situent alors les spécificités de chacune de ces réponses à la soif de nouveauté ? Ceci mériterait enquête.

De qui devenons-nous amoureux ?

Sur ce point, les positions sont très partagées. Considérons par exemple les points de vue diamétralement opposés offerts par le modèle psychanalytique d’une part – à travers les écrits de Didier Anzieu (1996) – et par le modèle psychosociologique d’autre part – à travers les propos de F. Alberoni.

Ensuite, nous rebondirons à travers le regard de la psychopédagogie perceptive.

Le modèle psychanalytique

La psychanalyse construit sa vision de la rencontre amoureuse et de la vie de couple autour de la notion de retrouvailles avec « l’objet primordial ». D. Anzieu s’exprime à ce propos (p. 253) :

Pourquoi vit-on en couple ? Si je laisse de côté des motifs qui concernent moins la perspective psychanalytique – mettre en commun des ressources et des projets, partager la vie quotidienne, s’assurer des relations sexuelles régulières, conserver la société, l’espèce à laquelle on appartient en la reproduisant –, si je laisse également de côté le problème du heurt et de la complémentarité de deux névroses, la raison originaire semble être la peur de la solitude, le besoin archaïque d’un étayage des fonctions psychiques sur un objet primordial, la nécessité de parer l’angoisse d’un retour à un état de détresse lors des frustrations, des échecs, des stress de l’existence. L’objet primordial est celui qui a jadis protégé de cette détresse.

Pour des raisons de concisions, nous n’entrerons pas dans l’examen des différents éléments de cette proposition. Nous soulignerons simplement que pour la psychanalyse, la fondation du couple repose sur une retrouvaille avec la figure d’attachement de la prime enfance. Anzieu (Ibid., p. 252-254), dit encore :

L’énamoration19 apporte la révélation, au sens quasi religieux du terme, que cette personne-ci est une réincarnation de l’objet primordial. Dans l’état d’exaltation amoureuse, qui est généralement l’état fondateur du couple, du moins dans la culture occidentale, s’instaure la double croyance que le partenaire est l’objet qui compte par-dessus tout pour moi et qu’il a lui-même le désir d’être cet objet primordial pour quelqu’un, moi en l’occurrence – comme la mère a voulu l’être autrefois pour son tout- petit qui, de son côté, la mettait en place d’être cet objet.

Sans nier l’importance des relations signifiantes de la prime enfance sur la construction de la personne, nous nous associerons à F. Aberoni qui refuse que la dynamique de la rencontre amoureuse soit réduite à ce r

etour en arrière : « Le paradigme de la psychanalyse exige que tout ce qui arrive d’important dans la vie adulte soit la réplique d’un événement arrivé dans la vie de l’enfant. Pour la psychanalyse, tout est souvenir. Même l’énamourement » (Alberoni, op. cit., p.35).

Modèle psychosociologique développé par Alberoni

Pour le psychosociologue au contraire, même si les figures, les désirs et les rêves du passé peuvent avoir leur influence la rencontre amoureuse, l’énamourement reste un processus tourné vers l’avenir : « l’amour […] est appelé, évoqué par le futur. Les grandes amours sont des accélérations du processus de mutation, des mouvements en avant.

Elles tendent à substituer une société nouvelle à l’ancienne, un nouveau rapport érotique au rapport ancien détérioré, créant ainsi un nouveau couple, une nouvelle communauté. Naturellement, elles peuvent échouer, mais leur intention, leur signification, est d’explorer une possibilité d’une vie mieux remplie » (Ibid., p.36).

19 l’énamoration est définie par Anzieu comme le processus de tomber amoureux.

Pour l’auteur, l’énamourement est donc également un processus tourné vers le changement, vers la « mutation ». Le processus amoureux profond s’accompagne d’une tendance à l’activation des potentialités : « l’énamourement advient quand nous rencontrons quelqu’un qui nous aide à croître, à réaliser de nouvelles possibilités » (Ibid.).

Ces conditions sont-elles suffisantes pour que la relation qui se tisse se déploie de façon constructive ? Nous y reviendrons plus loin.

Le regard de la psychopédagogie perceptive

À ce jour, il n’y a pas de position argumentée dans notre approche en faveur d’un modèle de la rencontre amoureuse. Nous n’avons pas encore mené d’étude sur ce qui lie les individus entre eux et sur ce qui les pousse à vivre ensemble. Nous partageons toutefois l’idée suivante : « notre passé nous appartient mais nous appartenons à notre futur (Bois, Littérature grise). C’est effectivement une poussée vers l’avant qui nous fait croître et changer. C’est un devenir qui nous appelle.

Nous citerons simplement le cas de ce patient et collègue, qui, à propos de la rencontre avec la femme qui est aujourd’hui sa conjointe, s’exprimait en ces termes :

Il n’y a pas eu de critères de séduction physique ou intellectuel, tu vois, et en plus on a vraiment eu l’impression que ce n’est pas nous qui avions décidé, que ça c’était fait un peu comme ça. Concrètement, ça s’est passé en stage.

Quand on faisait du mouvement, on tombait toujours l’un sur l’autre, […] on se retrouvait côte à côte. Et, à un moment donné – je m’en rappelle très très bien, c’était en faisant du mouvement sensoriel, j’ai sentis le potentiel d’ Annie, c’est-à-dire ce que l’on peut appeler son essence, une masse puissante, incarnée et ça m’a touché. […] C’est ce qu’elle véhiculait [qui m’a touché]. Elle m’a dit avoir senti mon potentiel aussi, tu vois, malgré tous mes défauts.

C’est vrai que la rencontre s’est basée là-dessus. Ça tombait à une période où elle avait un peu renoncé à avoir une vie familiale […]. Moi, je venais de passer plusieurs mois en me jurant de ne rencontrer personne parce que j’en avais marre de mes mécanismes affectifs de rencontres avec les nanas. J’avais décidé de faire un break jusqu’à ce qu’il y ait du changement. On a été étonné de la rapidité. C’est tombé aussi à un moment donné où on avait tous les deux un désir d’enfant. Ça a été un des moteurs de la relation, très très important. Il y a eu le côté profondeur et le désir d’enfant.

Sans nous engager dans une analyse détaillée, précisons à la suite de ce témoignage que l’enrichissement perceptif à l’œuvre dans la psychopédagogie perceptive permet de voir clairement quelques effets du rapport au sensible dans le cadre de la rencontre signifiante. Dans les propos de notre participant, l’accès à la dimension sensible de la rencontre – la « potentialité » perçue ainsi que l’ « essence » de l’autre – joue un rôle clé dans le lien qui est en train de se tisser.

Là aussi, la rencontre déjoue les prévisions puisque ni l’un, ni l’autre des partenaires n’entendait s’investir affectivement. La force de la réciprocité en décide manifestement autrement. Le dernier point qui mérite d’être souligné concerne le désir partagé d’enfant. Il joue ici un rôle de tout premier plan, mettant en évidence l’importance d’une certaine coïncidence des priorités de vie pour l’avenir d’une rencontre.

Dans ce qui se donne à voir ici, la « rencontre amoureuse » vécue depuis le rapport au sensible contribue à la force de croissance qui pousse la personne à se déployer dans sa potentialité.

Plus précisément, quels sont les effets de ce contact avec le sensible en soi et dans l’autre au niveau de la relation de couple ? Quelles sont les dimensions du rapport qui s’en trouvent stimulées, réorganisées ? Dans la relation de couple, quelles sont les dynamiques qui vont se révéler sous la dépendance du rapport au sensible ? Si l’exemple donné ci-dessus nous montre qu’il y a effectivement une « intersection » entre la sphère d’influence du sensible et le champ de l’expérience de la relation de couple, il nous faudra mener enquête pour y voir plus clair.

Concluons ce paragraphe sur le « devenir amoureux » en donnant encore une fois la parole à Alberoni qui insiste sur quelques-unes des dimensions qui entrent en jeu dans une rencontre potentiellement féconde : « la vie amoureuse du couple exige aussi une activité intelligente, une maîtrise du rapport20.

Chacun doit comprendre ce qui fait le plaisir de l’autre, tenir compte de ses exigences, de ses espoirs et de ses craintes. C’est seulement dans ces conditions que la satisfaction réciproque atteint son maximum » (Alberoni, op. cit., p.58). Il est clair que « l’intelligence » à l’œuvre dans une relation qui construit va plus loin que la simple prise en compte du principe de plaisir évoqué ici.

Quant à la « maîtrise du rapport » évoquée par l’auteur, se trouve-t- elle redéfinie entre partenaires fréquentant le sensible ? Y a-t-il là de nouveaux indicateurs qui permettraient de percevoir et d’agir en bonne « intelligence » relationnelle ? Notre enquête nous en dira peut-être davantage à ce sujet.

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