L’intervention publique en faveur du logement en France

b) L’émergence d’une intervention publique planificatrice

∙ L’époque des grandes mobilisations sociales

La population subit la pénurie de logement et les conditions de vie se dégradèrent, donnant lieu à d’importantes mobilisations dans la population.

Appliquant le slogan « légal si l’ont peut, illégal si l’on doit », le mouvement des squatteurs organise l’occupation de logements vides et réclame l’application de l’ordonnance du 11 octobre 1945 relative à la réquisition des locaux vacants.

En cinq ans, 5 000 familles furent ainsi relogées. Ces occupations s’accompagnaient d’une campagne dans la presse, et d’actions de sensibilisation de l’opinion publique à la question de la crise du logement. Elles entraînèrent également plusieurs procès, où s’opposèrent le droit de propriété et l’argument de nécessité. Certains auteurs considèrent d’ailleurs que l’émergence du droit au logement fut le résultat de cette « bataille des squatteurs », qui 21 témoignait d’une « opposabilité politique ».

En effet, la jurisprudence reconnut un état de nécessité, accordant l’impunité suite à l’infraction commise par les squatteurs, dans certaines conditions. 22

21 DURIEZ Bruno et CHAUVIERE Michel, La bataille des squatters et l’invention du droit au logement, 1945-1955, les Cahiers du Groupement pour la Recherche sur les Mouvements Familiaux, 1992, n°7

22 HESSE Philippe-Jean, « Un droit fondamental vieux de 3000 ans : l’état de nécessité, jalons pour une histoire de la notion », Droits fondamentaux, janvier – décembre 2002, n° 2

Les années 1950-1960 furent également marquées par des mobilisations populaires pour l’accès au logement comme celles des Castors 23, un mouvement coopératif d’auto- construction, qui tenta lui aussi de pallier l’insuffisance de la construction. L’objectif des Castors était de réunir des familles et d’organiser entre elles l’entraide pour leur permettre de construire leur habitation.

Ainsi, chacun effectuait, selon ses capacités et ses compétences, un nombre d’heures de travail sur un chantier commun, regroupant plusieurs habitations individuelles ou collectives. Les besoins en matériaux et équipements étaient regroupés pour obtenir de meilleures conditions d’achats. Les opérations de construction terminées, les ouvrages étaient attribués par tirage au sort.

Puis, en 1954, suite à un hiver particulièrement terrible, l’Abbé Pierre24, Henri Grouès, député MRP de Meurthe et Moselle, lança son célèbre appel à une « insurrection de bonté », suite à la mort d’une femme sur un trottoir de Paris dans la nuit du 31 janvier au 1er février.

Devant la mobilisation considérable de la société française, le gouvernement engagea des mesures d’urgence : vote de crédits exceptionnels pour l’édification de cités, lancement d’un emprunt, organisation de concours pour la construction de logements collectifs et plus durables…

Il en résulta la politique de construction des « grands ensembles », qui inquiétaient déjà certains urbanistes et sociologues à l’époque mais qui représentaient un progrès notable pour les conditions de logement de l’époque : en 1956, 42% des logements n’avaient pas l’eau courante, 73% ne disposaient pas de WC intérieurs, 90% ne possèdaient ni douche ni baignoire.

Cet effort de construction considérablement soutenu par l’Etat permit d’atteindre à l’aube des années 1960 la barre des 300 000 logements neufs par an et de structurer tout un secteur social de la promotion immobilière.

La progression des constructions de logements sociaux fut alors sensible, mais selon certains, elle profita essentiellement aux cadres supérieurs, professions libérales et cadres moyens25.

Pendant les années 70-80 les mobilisations s’affaiblirent car les besoins furent progressivement satisfaits. Les préoccupations portaient alors davantage sur le rééquilibrage des rapports entre propriétaires et locataires.

La fin des années 70 marquera d’ailleurs un changement de cap dans l’intervention publique. Ce tournant correspondit à l’entrée en vigueur d’une réforme du 3 janvier 1977 sur le financement du logement : la solvabilisation des ménages devint le levier principal de l’intervention publique pour assurer l’accès au logement, substituant ainsi les aides à la personne aux aides à la construction.

Au début des années 80, une série de lois développa et protégea le statut de locataire26 : la loi Quillot de 1982, la loi Méhaignerie de 1986 et la loi Mermaz de1989.

Jusqu’en 1982, la plupart des baux locatifs étaient régis par les articles du Code Civil 1713 et suivants, relatifs au louage des choses. Mais le législateur chercha à mettre au point une loi relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs pour limiter la jouissance « absolue » du droit de propriété.

23 Il existe aujourd’hui encore 40 000 adhérents au mouvement des Castors, constitué en association loi 1901.

24 Il créa par la suite le mouvement Emmaüs, association caritative qui s’institutionnalisera jusqu’à gérer son propre parc immobilier, consécutif à des dons.

25 MATHIEU Gilbert, « Peut-on loger les Français », Le seuil ,1966, Paris.

26 loi n°82-526 du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs, loi n°86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif et l’accession à la propriété des logements sociaux et le développement de l’offre foncière, loi n°89-1290 du 23 décembre 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986

En effet, la loi Quillot de 1982 créa un véritable statut du locataire en imposant aux propriétaires un bail écrit, une durée minimale de bail et une justification obligatoire de la rupture du bail.

Cette loi fut l‘objet de débats passionnés au sein de l’Assemblée comme de la doctrine juridique, et fut abrogée par la loi Méhaignerie du 2 décembre 1986 afin de rassurer ses détracteurs qui y voyaient une violation du droit de propriété. Il fallut attendre la loi du 6 juillet 1989 pour que l’article 1er de la loi Quillot soit confirmé : « le droit à l’habitat est un droit fondamental ».

Toutefois, la fondamentalité du droit au logement n’était alors reconnue que dans le cadre du rapport propriétaire – locataire.

Enfin la fragilisation du contexte économique et politique des années 80-90 fit ressurgir la précarité et la grande pauvreté dans la population. Il apparut alors qu’il ne suffisait pas de construire des logements pour qu’ils soient accessibles et que la protection du statut de locataire ne permettait pas de garantir un toit à celles et ceux qui n’avaient pas accès à un logement.

Cette période fut alors marquée par la prise de conscience de la nécessaire mise en place d’un droit au logement.

Depuis le XIX ème siècle, l’Etat est progressivement intervenu dans le domaine du logement. L’intervention publique fut l’objet de vives polémiques entre les partisans du droit de propriété et les mouvements de locataires.

Par défaut de véritable volonté planificatrice, la France s’est enfoncée au fil des siècles dans une pénurie chronique de logement, entraînant une dégradation des conditions d’habitat.

Le législateur a dû prendre des mesures relatives au maintien et aux conditions de maintien dans un logement, donnant ainsi lieu à l’émergence du droit du logement.

Cependant, le contexte économique et politique des années 80-90 a mis en lumière la nécessité de passer d’un droit du logement à un droit au logement, c’est-à-dire à des mécanismes pour garantir l’accès à un logement.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le droit au logement opposable en France : une avancée pour le droit au logement ?
Université 🏫: Université LYON 2 - Institut d’Etudes Politiques de Lyon
Auteur·trice·s 🎓:
Elsa JOHNSTONE & André Vianès

Elsa JOHNSTONE & André Vianès
Année de soutenance 📅: Septembre 2008
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