Les mécanismes à l’œuvre dans la formation du couple et dans son devenir ?

Les mécanismes à l’œuvre dans la formation du couple et dans son devenir ?

Les mécanismes fondamentaux à l’œuvre dans la formation du couple et dans son devenir ?

Qu’est ce qui construit le lien d’amour entre deux personnes ? Comment se renforce-t-il ? Pour Alberoni, quatre mécanismes sont à l’œuvre ici et contribuent à l’établissement d’un lien fort (Ibid., pp.57-71) :

  •  le principe du plaisir;
  •  la perte;
  •  la désignation;
  •  l’état naissant.

Ces éléments nous semblent intéressants à explorer pour notre étude. Non seulement ils peuvent apporter un éclairage supplémentaire sur les processus à l’œuvre au sein de la relation de couple mais ils permettent peut-être d’interroger le rapport au sensible sous des angles nouveaux, différents de ceux explorés jusqu’ici par la psychopédagogie perceptive. Les patients et apprenants ne témoignent-ils pas, à propos du rapport au sensible, de « relation d’amour » avec eux-mêmes, voire avec plus « grand qu’eux-mêmes » ? Regardons cela de plus près.

Le principe de plaisir

Alberoni explique qu’une relation d’amour se fait d’autant plus forte qu’elle répond aux besoins et désirs des partenaires, qu’elle nourrit leur quête et ce de façon réciproque. Il précise que la situation inverse aura tendance à diminuer le lien. « Si quelqu’un nous procure du plaisir, nous aurons tendance à retourner chez lui, à rester plus longuement avec lui et à établir avec lui des rapports plus étroits. Le plaisir renforce le lien, la frustration l’affaiblit » (Ibid.).

Il y a là convocation d’une intelligence relationnelle, nous l’avons vu précédemment. Mais si un premier regard sur ce principe du plaisir nous renvoie aux mécanismes bien connus des réflexes conditionnés et à la théorie de l’apprentissage qui les accompagne, il ne saurait être réduit à cela. Il est une invitation à la prise en compte d’une dynamique « des besoins réels ou symboliques, parfois conscients, parfois inconscients ». Il est un appel à examiner la « coïncidence » des ces besoins entre les partenaires et la « réciprocité » dans laquelle ils sont pris en compte (Ibid.).

Cependant, Alberoni nous explique que le principe du plaisir ne suffit pas à expliquer la force du lien amoureux car ce principe nécessite du temps pour se bonifier or l’énamourement arrive parfois très vite.

Le principe de la perte

Se rendre compte que l’on tient à l’autre lorsqu’on l’a perdu ou que l’on risque de le perdre est fait courant. Cela peut permettre parfois de mesurer par contraste la teneur du lien qui lie à l’autre. Cela oblige alors, si la situation le permet encore, à quelques réajustements relationnels.

Dans les propos d’Alberoni : « Le deuxième mécanisme est celui de la perte. Il nous arrive souvent de nous apercevoir qu’une personne nous est indispensable seulement quand nous risquons de la perdre, quand elle s’éloigne de nous ou quand une puissance négative ― la maladie, la violence ou la mort ― nous l’enlève. […] Cela hiérarchise donc toutes les autres relations, sépare ce qui est essentiel de ce qu’il ne l’est pas » (Ibid.).

L’un des effets du principe de la perte est cet établissement des priorités : « Ce type d’expérience nous révèle que l’objet aimé est plus important que nous-mêmes, tant il est vrai que, pour le sauver, nous sommes prêts à sacrifier notre propre vie. La perte crée une discontinuité : d’un coté il y a l’essentiel, de l’autre ce qu’il ne l’est pas. Et les deux plans sont incommensurables, impossibles à comparer. Nous sommes dans le domaine des absolus, où règne la loi du tout ou rien » (Ibid.).

Cependant, principe du plaisir et mécanisme de la perte se distinguent parfois dans leur conséquence. Selon l’auteur, « à la différence du mécanisme du plaisir qui crée un lien d’autant plus fort qu’il est davantage satisfait, le mécanisme de la perte est soumis à un processus de saturation » (Ibid., p. 63). Si la perte dure trop longtemps, si elle est trop intense ou encore si la difficulté vécue par « l’accompagnant » est trop forte, celui-ci peut choisir de se rebeller, voire de changer de projet relationnel.

Le principe de la désignation

Pour Alberoni, la désignation comporte plusieurs aspects. Ce principe exprime d’une part que nous désirons ce qu’autrui désire, et d’autre part, que nous nous identifions à celui qui possède les choses que l’on désire. Nous pourrions peut-être comparer ce principe de désignation à une sorte d’amour par procuration. « Ce mécanisme a été analysé de façon approfondie par René Girard, qui l’a placé à la base de sa théorie socio philosophique.

Pour Girard, chacun de nos désirs prend naissance parce que nous imitons et faisons nôtres les désirs des autres » (Ibid., p.65). Est-ce à dire que nos désirs ne sont pas vraiment authentiques ? Même si la sociologie nous montre que nous portons en nous des valeurs et des désirs qui sont la trace profonde de la culture dans laquelle nous avons grandi, l’énoncé d’une vie sans authenticité véritable invite à réagir.

Mais Girard précise : « L’homme désire intensément, mais il ne sait pas exactement quoi, car c’est l’être qu’il désire, un être dont il se sent privé et dont quelqu’un d’autre lui paraît pourvu. Le sujet attend de cet autre qu’il lui dise ce qu’il faut désirer » (cité par Alberoni, op. cit., pp.64-65). Nous pouvons nous interroger sur ce que Girard entend par l’être.

Cependant, nous reconnaissons que cette référence au non-être trouve écho en nous. Nous y voyons l’occasion d’une convergence avec les référents théoriques de la psychopédagogie perceptive et en particulier avec les réflexions de Danis Bois sur les déficiences du rapport à l’être qui marquent généralement la condition des personnes.

En psychopédagogie perceptive, les « pathologies du non-être » s’organisent autour des « rapport déficitaires au corps, au silence, à l’éprouvé, à l’immédiateté, à l’élan créateur et au sens de la vie » (Bois, 2006, op. cit., p.178).

Retenons ici que le principe de désignation pose la question de l’authenticité de nos désirs. Qu’il soit à l’œuvre dans la relation de couple est une chose. Qu’il pointe une nostalgie inconsciente de l’être nous semble une perspective à retenir. En effet, si le rapport au sensible déploie le rapport à l’être, ainsi que nous l’avons évoqué dans la présentation des effets du mouvement interne, nous pourrions voir les effets de cette présence à l’être jusque dans la transformation du mécanisme de désignation.

Ne peut-on pas attendre dès lors que les personnes soient plus au clair sur leurs désirs profonds ? N’y aurait-il pas là, la perspective d’une plus juste définition des besoins de chacun, le rapport à l’être servant de révélateur et permettant de discerner les désirs d’emprunts des nécessités authentiques ?

Dernière remarque autour de ce principe de désignation. Il nous semble qu’il fonctionne dans la psychopédagogie perceptive en acte : quand nous faisons la promotion du mouvement interne, ne montrons- nous pas un possible « objet de convoitise » ? Quand il arrive que notre manière d’être soit source d’inspiration pour d’autres et que nous déclarons que le rapport au sensible en est le fondement, n’y a-t-il pas là « désignation » à autrui d’un « bien » hautement désirable ?

L’état naissant

Pour Alberoni, ce principe est le plus important pour expliquer la dynamique des liens entre personnes. Selon lui – et cette fois-ci en prolongement direct des travaux de Freud – l’homme souffre d’ « ambivalence ». Il rêve d’amour absolu, de totalité, mais il ne le trouve pas auprès de ses proches car comme le précise l’auteur : « les ob

jets d’amour concrets […] sont limités et ils deviennent souvent oppressifs et frustrants. Ce double sentiment crée la confusion, le désordre dans la personne » (Ibid., p.67). Pour lutter contre cela, Alberoni explique que l’homme idéalise ses objets d’amour : « ils sont situés dans un mythe personnel, continuellement réélaboré, continuellement remanié pour réduire les tensions, pour les faire apparaître bons et radieux, et pour abaisser le niveau d’ambivalence ».

Mais parfois cette idéalisation échoue et « un sentiment de vide, d’inutilité et d’échec s’installe ». Alberoni explique que seul un changement radical avec « redéfinition de soi-même et du monde » offre alors la solution (Ibid.).

Pour l’auteur, cette solution se trouve parfois dans une conversion religieuse ou politique, ou encore dans l’énamourement. L’état naissant est donc la solution à une classe particulière de problèmes que rencontre l’être humain : l’impossibilité de concilier le besoin d’amour absolu qui l’anime avec le caractère obligatoirement limité des objets d’amour concrets que la vie lui propose.

Voyons de plus prêt quelques caractéristiques de l’état naissant. « L’état naissant marque le moment où le monde ancien, désordonné et ambivalent, perd de la valeur, et où un nouveau apparaît, brillant et radieux. C’est le moment de la mort et de la renaissance » (Ibid.).

C’est une expérience « de renaissance, de révélation, de libération » (Ibid.). Alberoni explique également que l’état naissant arrive quand plus rien n’a de sens dans la vie, quand tous les systèmes, mécanismes et habitudes qui tendent à rendre heureux ne suffisent plus.

Pour lui cette période offre une disponibilité à vivre autre chose. C’est ainsi qu’une expérience nouvelle peut naître et transcende la vie d’avant. L’état naissant s’accompagne d’une redéfinition même de la perception de soi et du monde. Cette nouveauté semble remanier totalement le point de vue, les valeurs de la personne, comme si tout ce qu’elle pensait auparavant lui semblait illusoire. Elle fait alors un tri entre ce qui lui est essentiel et ce qui ne l’est pas.

Alberoni précise : « Dans l’état naissant, nous découvrons l’inutilité et la vanité de nombreuses préoccupations qui, auparavant, nous tourmentaient, quand nous les comparons avec ce qui devient pour nous le bien suprême, le sens de la vie » (Ibid., p.70).

Même si l’état naissant ne concerne pas exclusivement la rencontre avec un partenaire amoureux qui prendra une place centrale dans l’existence, cette description vient éclairer sous un jour intéressant la dynamique de la relation signifiante entre partenaires amoureux.

Allons plus loin. Nous trouvons également cette description particulièrement en résonance avec notre expérience du mouvement interne, tant par le mode d’implication qu’elle évoque que par son mode de survenue.

Nous faisons en effet l’hypothèse que la rencontre avec le mouvement interne a d’autant plus de chance de bouleverser le système de valeurs de la personne, à travers l’expérience d’un « inconcevable », que celle-ci est disponible à accueillir un tel changement. Le fait qu’elle soit en perte de sens dans sa vie par exemple ou encore en profonde quête de sens, peut se révéler un facteur décisif dans le devenir de cette rencontre au cœur de soi.

Terminons cette évocation de l’état naissant dans la dynamique amoureuse à travers sa dimension conjointe de rencontre avec soi et avec l’autre : « dans l’état naissant de l’énamourement, cette renaissance de la vie se fait par le contact et la relation avec une personne bien définie. Elle est l’unique porte qui nous fait entrer dans un monde nouveau. Lorsque nous nous rapprochons de notre amour, nous nous sentons enfin nous- mêmes et libres.

En même temps, nous avons le sentiment que notre liberté peut seulement se réaliser lorsque nous faisons ce à quoi nous sommes appelés : réaliser notre destin. Jusqu’à la mort » (Ibid., p.69). Cette évocation de la mort qui côtoie la vie n’a ici rien de macabre. Elle marque simplement la dimension intense du questionnement autour du sens. En effet, « dans l’énamourement, le sens de la vie est mis en question. Nous nous posons vraiment la question métaphysique : « qui sommes-nous ? Pourquoi sommes-nous ici ? Quelle valeur la vie a-t-elle ? »

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