L’ordre public de protection du salarié: la nullité du contrat

L’ordre public de protection du salarié: la nullité du contrat

2. L’application rigoureuse des dispositions d’ordre public de protection.

Comme son nom l’indique l’ordre public de protection vise à protéger une seule des parties au contrat de travail. Ainsi, c’est bien souvent, et même on peut dire exclusivement, le salarié qui apparaît être le seul bénéficiaire des dispositions du Code du travail ayant pour valeur l’ordre public de protection et prononçant la sanction de la nullité de tout ou partie du contrat de travail.

La prise en compte dans le cadre d’une action en nullité de cet ordre public particulier réside dans la désignation des titulaires de cette action et du délai de prescription de celle- ci (cinq ans en cas de nullité relative et trente ans en cas de nullité absolue).

En effet, ces règles apparaissent à première vue impératives et la tentation serait de leur donner un caractère d’ordre public ouvrant droit à une action en nullité absolue.

Or, l’ordre public de protection a vocation quant à lui à s’appliquer également de manière impérative mais ceci tout en réservant cette action à une catégorie particulière de contractants donnant donc à l’action le caractère de nullité relative.

Ainsi, « en jurisprudence, l’idée selon laquelle le droit d’invoquer la nullité qui sanctionne une règle relevant de l’ordre public de protection doit être réservé à la partie protégée s’est largement imposée. Il s’agit d’éviter que cette nullité ne se retourne contre les intérêts que la règle était censée préserver »242.

Mais cette nullité de protection peut-elle être relevée d’office par le juge prud’homal ?

La question mérite ici d’être posée car la jurisprudence des chambres civiles hésite elle-même sur la solution à donner243. La chambre sociale de la Cour de cassation quant à elle a répondu à cette question en matière de nullité des clauses dites « couperets ».

Ces clauses, condamnées par l’article L.122-14-12 alinéa 2 du Code du travail, sont en fait destinées à protéger le seul salarié contre une rupture automatique de leur contrat de travail. Or, la chambre sociale s’est prononcée, à plusieurs reprises, en la matière, pour l’existence d’une nullité d’ordre public absolue laissant ainsi la possibilité pour l’employeur de se prévaloir de ce texte244.

Cependant, par un arrêt très remarqué de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, cette dernière a adopté une solution différente privilégiant ainsi la protection des intérêts du salarié que la règle, en la matière, semblait édicter245.

Son énoncé ne fait surgir, en effet, aucun doute en la matière : « Mais attendu que les dispositions de l’article L.122-14-12 du Code du travail n’ont été édictées que dans un soucis de protection du salarié; que, dès lors, l’employeur est irrecevable à s’en prévaloir ; que par ce motif de pur droit, substitué à ceux de l’arrêt, celui-ci se trouve légalement justifié ».

Dès lors, cet arrêt met en avant le caractère d’ordre public de protection de l’article L.122-14-12 du Code du travail qui suppose une action en nullité de la clause « couperet »de la part du seul salarié. Seul ce dernier peut donc de se prévaloir d’une telle sanction à l’encontre de son employeur. La Cour de cassation fait dès lors de la nullité de ces clauses une nullité relative dont le salarié pourra se prévaloir, ce dernier étant l’unique titulaire de cette action.

241 Cass. soc. 12 janvier 1999, Cahiers Prud’homaux janvier 2000, JP, p.1 ; également obs. sous cass. soc. 6 et 10 février 2001, Feuillet rapide social, Francis Lefebvre du 7 mars 2001, pp.11 et 12.

242 G. COUTURIER, La théorie des nullités dans la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, in Le contrat au début du XXIème siècle, op. cit., p.284.

243 Idem.

244 Cf. en ce sens : cass. soc. 1er février 1995, Dr. Soc. 1995, 231, note G.COUTURIER ; cass. soc. 15 mars 1995, BC V n°87.

245 Ass. plén. 6 novembre 1998, Dr. Soc. 1999, 94, obs. J.SAVATIER ; JCP 1999, II, 10004, note D.CORRIGNAN-CARSIN ; Semaine Sociale Lamy du 23 octobre 1998, pp.9 et 10

Peut-on imaginer d’autre hypothèses d’ordre public de protection ? A vrai dire, cette qualification relève de l’appréciation par les juges des normes qui leur sont présentées. C’est pourquoi la position de la chambre sociale peut apparaître à certains égards inopportune et l’intervention de l’Assemblée plénière nécessaire.

Face à des dispositions de ce type, les juges du fond ne semblent dès lors n’avoir guère de choix. L’action est réservée au seul bénéficiaire de la mesure édictée, ce dans le délai imparti à toute nullité relative c’est à dire cinq années. Ainsi, les nullités de protection se situent à « la croisée des chemins » avec la nullité relative laquelle réserve l’action en nullité aux parties au contrat et non à un seul d’entre eux.

Le pouvoir d’appréciation des juges du fond n’est alors que résiduel, ces derniers devant impérativement prononcer la sanction de la nullité du fait de son caractère d’ordre public à la seule demande du salarié.

Parler d’appréciation variable des causes de nullité semble être opportun tant il apparaît que le contrat de travail est sujet à une grande diversité de règles aux sources également nombreuses. Dès lors, l’appréciation qui est faîte des éléments constitutifs de cette sanction ne peut qu’être différente selon les causes invoquées.

ordre public protection salarié

On l’a vu, le pouvoir d’appréciation en la matière des juges prud’homaux semble plus important lorsque leur est soumise une cause de nullité issue du droit commun des contrats. Ainsi, leur marge de manœuvre leur permet de saisir toute l’opportunité d’une telle sanction selon les faits qui leur sont présentés au risque de se voir opposer la critique de la doctrine.

Cependant, bien moindre est leur pouvoir d’appréciation lorsqu’il s’agit de causes de nullité prévues par le Code du travail. En effet, dans cette hypothèse, le juge prud’homal a bien souvent à faire face à des dispositions d’ordre public qu’il se doit d’appliquer en vue d’assurer une certaine sécurité juridique.

Même si certaines dispositions leur permettent de retrouver a contrario leur pouvoir d’appréciation dans l’opportunité d’une sanction telle que la nullité, d’autres ont le caractère d’ordre public de protection enfermant ainsi les conditions de l’action en nullité dans un cadre encore plus strict.

L’étude du régime de la nullité du contrat de travail de part les causes susceptibles d’entraîner cette sanction nous montre le nombre important de textes pouvant régir celui- ci. En effet, non seulement cette nullité peut avoir une cause reposant sur le droit commun des contrats mais en plus, cette cause peut être édictée par des textes issus du droit du travail.

La variété de ces causes de nullité se combine alors nécessairement avec une appréciation variable de celles-ci par les juges du fond. Ainsi, si le droit commun des contrats semble laisser aux juges un large pouvoir d’appréciation en la matière, le droit du travail énumère quant à lui cette sanction le plus souvent de manière impérative.

La tâche du juge prud’homal ne semble donc pas très aisée tant les hypothèses qui peuvent se présenter devant lui sont diverses et différemment appréciables.

Dès lors, celui-ci doit apprécier, en premier lieu, la source dont est issue la cause de nullité invoquée. En second lieu, il doit se poser la question de savoir si la règle invoquée est d’ordre public (quel qu’il soit) ou non. En ce cas, la nullité s’impose au juge à moins que ne joue l’ordre public social.

En troisième lieu enfin, la cause de nullité invoquée doit l’être par celui qui est titulaire d’une telle action (refus de l’action de tiers lorsque la nullité est relative, de même, refus de l’action de l’employeur lorsque la règle invoquée par celui-ci est une règle d’ordre public de protection dont l’action en nullité est réservée au seul salarié).

Le régime de la nullité apparaît donc très complexe, complexité due aux multiples causes invocables et à la diversité dans leur appréciation. Ainsi, lorsque cette appréciation est la plus libre possible, la chambre sociale de la Cour de cassation semble avoir saisi l’occasion de faire preuve d’une certaine audace notamment en ce qui concerne l’hypothèse d’un dol commis par le salarié.

En revanche, c’est en matière de nullité prévue cette fois, par le droit du travail lui-même, qu’elle semble être la plus hésitante oscillant entre application stricte des dispositions d’ordre public du Code du travail, lorsque l’ensemble de leurs éléments constitutifs sont remplis, et prononcé de la nullité sans qu’aucun texte n’envisage ce type de sanction ni aucune autre d’ailleurs.

La marge de manœuvre des juridictions prud’homales en la matière serait donc fonction de la cause invoquée par les titulaires de l’action en nullité du contrat de travail.

Au terme de cette première partie, il convient de constater que l’étude des personnages entourant l’action en nullité du contrat de travail est en pratique rarement évoquée246. En effet, se basant sur le fait que la relation de travail est une relation purement intuitu personae, peu d’auteurs s’attardent sur les acteurs de ce procédé de remise en cause du contrat de travail liant salarié et employeur.

Cependant, il convient de constater que cette étude est importante pour comprendre les intérêts inhérents au prononcé de cette sanction.

De même, l’étude des causes de nullité mérite que l’on s’y attarde plus longuement dans le but de souligner la variabilité de leur appréciation par les juges prud’homaux selon leur source d’une part, et l’objectif poursuivi par celles-ci d’autre part.

Ainsi, à l’issue de cette première partie, on peut déjà conclure à la rareté du prononcé de la sanction de la nullité du contrat de travail contrairement aux autres types de contrats que connaît le Code civil.

Or, il convient de souligner, dans une seconde partie, toutes les particularités entourant le prononcé de cette sanction. En effet, le juge prud’homal, soucieux des intérêts en jeu devant lui, va encadrer de manière spécifique la nullité d’un tel contrat. Privilégiant le sort fait au contrat de travail ou, lorsque ce dernier a pris fin, la situation pécuniaire du salarié, le juge prud’homal contribue à la construction d’un régime de la nullité du contrat spécifique à tout autre.

246 Cf. La théorie des nullités dans la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, COUTURIER (G.), op. cit. et Nullité et contrat de travail, SIMON-SUISSE (F.), mémoire de DEA de droit social, op. cit.

Dès lors, les éléments déterminants de l’action en nullité sont, à ce stade de la réflexion, posés : le décor est planté ; la scène se déroule devant le juge prud’homal. Celui- ci jusqu’à lors silencieux entre en scène ; appréciant les éléments qui lui sont soumis, il prononce la nullité du contrat de travail. Quelle va en être le dénouement ? En pratique, celui-ci semble le plus souvent réserver des surprises.

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