Le rapport à soi, à l’autre et à la solitude et à la liberté

Le rapport à soi, à l’autre et à la solitude et à la liberté

Le rapport à soi, le rapport à l’autre, le rapport à la solitude et à la liberté (arbre thématique AT7)

Pour une compréhension panoramique des enjeux en rapport à la liberté d’être soi

Quel mouvement de compréhension nous a amenés à proposer un tel regroupement ? En effet, les 5 thèmes principaux qui constituent l’arbre thématique peuvent apparaître relativement hétérogènes. Considérons-les côte-à-côte :

  •  différents visages de la solitude;
  •  rapport aux habitudes dans la relation de couple;
  •  rapport aux possibles et aux contraintes dans l’expérience du couple;
  •  exercice du choix;
  •  rapport à la liberté.

Au sein de cette apparente diversité, c’est le rapport à la « liberté d’être soi » qui est organisateur de la logique à l’œuvre. Voyons comment.

Tout d’abord, il semble que pour Thierry, la liberté ne s’envisage pas sans un rapport riche à la solitude. Citons par exemple la solitude en tant que « respiration entre soi et soi ». En d’autres termes, l’accès à la solitude correspond ici à l’expression d’une liberté d’être avec soi, de se retrouver. Au sein du couple, cette liberté se gagne.

D’un autre côté, entrent en scène certaines habitudes qui peuvent être « un frein » à la liberté quand celle-ci est entendue comme « ouverture à la vie ». Selon les propos de Thierry : « dans la relation amoureuse à l’autre se mettent en jeu des habitudes, des schémas, des systématiques qui ne sont pas, qui ne contribuent pas de façon favorable à laisser l’ouverture que demande la relation à la vie en soi, comme toute habitude, à part que ces habitudes font l’objet d’un investissement fort parce que la relation amoureuse a une importance forte dans l’existence de la personne, donc elle va s’y investir » (130-135).

Troisième élément, inviter le rapport aux possibles dans l’examen de l’articulation à la liberté semble aller de soi. Rappelons-le, le projet de vie de notre participant est d’aller dans le renouvellement du moi qui peut se définir comme l’accès à une infinie possibilité de manières d’être.

Quant aux contraintes issues du contexte de vie, elles ne semblent pas s’opposer forcément à une démarche vers la liberté, bien au contraire. Tenir compte que l’on vit au milieu des autres n’est pas vécu comme « une stricte contrainte restrictive mais [comme] une contrainte potentialisante qui donne une forme d’intelligence plus affinée, […] qui donne l’occasion à cet élan de devenir soi de se déployer dans une intelligence de vivre ensemble » (97-101).

En ce qui concerne l’« exercice du choix », notre participant révèle que pour lui, la liberté n’est pas synonyme de liberté de faire mais renvoie tout autant à la liberté de ne pas faire voire plus encore à la liberté de pouvoir choisir entre les deux. Ainsi, en matière de sexualité par exemple : « Liberté de se donner, liberté d’accepter que l’autre se donne.

Liberté de se tenir dans cette résonance là. Liberté d’être touché, d’avoir de l’élan pour l’autre et de choisir de donner expression à cet élan ou ne pas donner expression mais sans pour autant se sentir atteint » (504-507).

Au final, le rapport à la liberté apparaît explicitement en fin d’arbre thématique; nous prendrons le temps de le détailler dans la discussion qui va suivre.

Autour du carrefour « solitude – engagement – liberté – relation de couple »

Pour donner à voir plus précisément le point de vue de Thierry, entrons maintenant dans quelques-uns des détails de notre arbre thématique.

À propos du rapport à la solitude tout d’abord, examinons ce que Thierry entend par « la solitude qui construit : l’effort d’exister ». Pour notre participant, il s’agit de « cette solitude au sein de laquelle le choix de vivre, le choix d’être heureux, le choix d’honorer son existence n’appartiennent qu’à soi-même. En couple parfois, la prise en charge, par l’autre, de sa vie à soi, est telle que l’on n’a pas l’occasion de se retrouver face à cette solitude. Cette solitude qui construit » (452-456).

Revenons maintenant sur le carrefour entre solitude, engagement et liberté. Être seul – au sens de ne pas être en couple – est bien souvent synonyme d’être « libre ». Thierry bouscule cet a priori : « La plupart du temps, quand on dit être seul, on entend être seul et disponible à toute rencontre qui se présente.

Ce n’est pas de la solitude, c’est être dans la disponibilité à un certain nombre de possibles. Dans ces possibles ne figure pas le possible de l’engagement; donc ça n’est pas être disponible à tous les possibles, c’est être disponible à un certain nombre de possible » (422-427).

Pour Thierry, l’accès à une infinité de possibles n’est pas tant lié à la figure de vie – être en couple ou ne pas être en couple – qu’à l’implication totale dans la figure choisie. À cette condition, le couple devient une opportunité d’« ouverture à l’infinie richesse des possibles de l’engagement ». Pour Thierry, c’est l’engagement total dans son choix de vie qui ouvre en direction de la liberté d’être soi. En cohérence avec son choix de vivre en couple, Thierry précise ainsi : « C’est le prix à payer de toute démarche d’existence.

A savoir, la figure du couple ouvre au possible de l’engagement et à l’infinie richesse des possibles de l’engagement mais pour des raisons de temps, pour des raisons peut-être plus profondes qui sont des raisons de contraintes, pour des raisons encore plus profondes qui sont des raisons de l’ordre du prendre soin, la figure du couple est un possible riche d’une multitude mais qui ferme à d’autres possibles : ceux que l’on trouve en dehors de la figure de l’engagement » (428-434).

La cohérence des choix de vie de Thierry nous apparaît encore plus clairement dans les propos suivants (141-154) :

Pour moi, il était clair que je ne pouvais pas faire l’économie dans mon projet fondateur d’aller au bout d’exister au milieu des autres. Je ne pouvais pas faire l’économie de parcourir l’évolutivité de la relation amoureuse. Peut-être que certains le peuvent, peut-être qu’il n’est pas nécessaire d’aller dans l’exploration, l’expression des facettes de la relation amoureuse pour parvenir à la liberté d’être soi au milieu des autres. Peut-être que certains n’ont pas à le faire.

Mais personnellement, je sais et je reconnais avoir pris le temps de regarder de près, et avoir pris la décision d’investir la figure de l’engagement amoureux parce que j’avais le sentiment très clair que ce que j’avais à y rencontrer, je ne pouvais en faire l’économie, même dans mon seul projet d’aller au bout de ma liberté d’être. Mais peut- être que cette orientation m’est propre; je pense que je ne suis pas le seul pour laquelle cette orientation, cette expérience formatrice, fondatrice n’est pas contournable mais peut-être qu’il y a des personnes pour qui elle l’est.

L’exemple de Thierry nous montre que dans son cas, liberté d’être soi et engagement dans la relation de couple ne sont donc pas deux figures incompatibles malgré l’apparent paradoxe que cette association peut contenir.

Précisons que dans cette logique, le choix d’explorer les possibles de l’engagement à travers l’expérience de la relation de couple exclut le non engagement dans cette même relation. Par contre, autre constat, la liberté de s’engager dans une relation privilégiée n’empêche pas Thierry d’aller dans la « liberté d’exprimer ce [qu’il] devient en dehors de la relation de couple ». Voici ses propos : « Et puis, il y a aussi cette solitude […] dans laquelle on a soif d’exprimer ce que l’on est devenu en dehors du cadre de la relation de couple.

Que ce soit [dans] l’accompagnement d’autres personnes en thérapie, en fonction, en animateur de groupe, en amitié. Que ce soit parfois dans une relation d’affinité où l’amour est en jeu mais avec quelqu’un d’autre » (457-462).

Terminons cette discussion autour par un questionnement fort : quand une personne tend vers la liberté d’être elle-même, quel est alors le « sens du couple » ? Thierry s’interroge : « arrive-t-il un moment où la liberté d’être soi parmi les autres fait que la figure du couple ne trouve plus son sens ? Ou au contraire, se rend-on compte que même arrivé à une forme de maturité sur les différents plans – on peut tenir debout indépendamment du soutien de l’autre constant à côté de soi – la figure du couple conserve son sens ? La figure du couple est-elle [alors] unique ? Est-elle plurielle ? Je ne sais pas » (534-540).

À la lumière des données issues de l’entretien avec Thierry, il semblerait qu’une démarche de transformation au contact du sensible amène à revisiter les valeurs fondamentales de la relation de couple. Il est intéressant de noter qu’à aucun moment, notre participant semble prétendre détenir une vérité autre que celle issue de sa propre expérience et des réflexions profondes qui s’en suivent.

Nous avons évoqué, à l’occasion de nos développements théorique, le fait qu’au contact du sensible, la personne voyait ses repères changer de nature : du fonctionnement autour d’indicateurs « externes », notre participant passe sensiblement à une réflexion et une organisation de l’action fondées sur des « indicateurs internes ». Nous ne sommes plus là dans un monde de certitudes, de valeurs morales, mais dans le lieu d’un discernement très personnel et de l’exercice du choix. Là est peut-être la liberté sensible.

Chapitre 10

Discussion finale

Rappelons notre choix méthodologique de ne pas mener une analyse thématique transversale, mais de poursuivre notre mouvement compréhensif en dégageant principalement les visages des dynamiques formatives à l’œuvre au carrefour rapport au sensible et expérience de la relation de couple.

Premiers constats

À propos de l’existence du carrefour « rapport au sensible et expérience de la relation de couple »

En introduction de notre projet de recherche, nous avons émis l’hypothèse que ce carrefour existait. En effet, les travaux antérieurs mettaient en évidence les mouvements d’ouverture aux autres amenés par le déploiement du rapport au sensible. Mais que ressort-il de nos analyses à ce propos ? Autrement dit, nos participants témoignent-ils de liens entre d’une part leur expérience du sensible et d’autre part, leur expérience de la relation de couple? Nos trois interlocuteurs sont formels à ce propos : les liens existent et sont riches. Ils s’établissent dans deux directions.

Premièrement, le rapport au sensible vient enrichir l’expérience de la relation de couple. Dans l’espace et le temps de la relation de couple, la relation au sensible touche les perceptions, les réactions émotionnelles, les comportements et les représentations.

Dans la réalité, la richesse de ce carrefour entre rapport au sensible et expérience de la relation de couple est considérable et le fait que nos participants ne parviennent pas toujours à prolonger les perceptions nouvelles, les prises de conscience inédites dans une manière d’être en marge des habitudes n’enlève rien à la fécondité du rapport au sensible, ni aux promesses d’un vivre-ensemble renouvelé. Nous proposons une synthèse de cette influence formatrice dans les pages qui suivent.

Deuxièmement, l’expérience de la relation de couple influence le rapport au sensible et les processus de renouvellement des personnes. Deux natures d’influence sont évoquées :

– une influence vécue comme « négative » : pour Philippe, par exemple, les relations humaines et plus particulièrement les relations de couple sont cause d’impermanence dans le rapport au sensible et le coupent par là-même de sa « beauté intérieure ». Ceci semble dû principalement à la mise en jeu des mécanismes émotionnels paroxystiques;

– une influence vécue comme « positive » : pour Thierry, la relation de couple peut amener entre autre un soutien réciproque au quotidien dans le projet de transformation de chacun au contact du sensible.

Les qualificatifs « positif » et « négatif » sont à relativiser dans la mesure où l’influence des mécanismes émotionnels par exemple peut être également regardée comme un facteur révélateur de manières d’être non constructives, ceci tant dans le rapport au sensible que dans le rapport à soi et à l’autre. Dans un projet d’apprendre de son expérience, il y a là matière à réajustement à condition que chacun parvienne – ou choisisse – à tirer du sens à la fois des expériences qui nourrissent et de celles qui confrontent.

Rapport au sensible et stabilité des unions

Autre constat, le rapport au sensible n’est pas ici étudié en tant que facteur potentiel de stabilisation ou de déstabilisation des unions entre partenaires. L’instabilité des relations entre conjoints est un fait humain tout autant que de société; nous avons amené des arguments en ce sens. Rappelons cependant que d’après les études sociologiques, cette instabilité semble grandir dans le contexte actuel de transformation identitaire des personnes.

Appliqué à la lettre dans le cadre de notre étude, le constat de De Singly – « le soi est instable; quand il change, que faire du conjoint ? » (2004, op. cit.) – pourrait impliquer qu’une démarche encourageant le renouvellement de soi ne peut que favoriser le caractère éphémère des unions.

Or dans notre étude, il n’en est rien. Prenons le cas de Philippe par exemple qui mentionne avoir « tout essayé » avant de prendre la décision de se séparer. Il semblerait qu’ici, ce soit au contraire l’incapacité d’aller dans le changement de ses mécanismes péjoratifs qui ait participé à la rupture relationnelle.

Bien entendu, nous nous gardons d’avancer que dans ce cas précis, la responsabilité de la séparation repose exclusivement sur notre participant, voire sur l’incapacité que nous nommons. Toutefois, nous pourrions aller jusqu’à faire un contrepied à De Singly en posant la question suivante : « le soi est parfois rigide; quand il ne change pas alors que ses mécanismes sont source de souffrance, que peut faire de nous le conjoint ? »

Nous pouvons malgré tout constater avec Thierry que le rapport au sensible, quand il se prolonge dans un projet de renouvellement partagé entre les partenaires, peut participer au plein déploiement de la potentialité contenue dans la rencontre amoureuse.

De plus, même si le rapport au sensible ne met pas à l’abri des pièges de l’habitude et de la routine, la dynamique d’actualisation des partenaires met en rapport avec « le devenir de l’être », pour reprendre les propos de Thierry.

Et ce devenir peut contribuer à maintenir vivant le sens d’une union et à offrir des moments forts, comme des étonnements par exemple face au partenaire qui se déploie. Notre sentiment est que la démarche que nous proposons constitue un facteur favorisant la tenue des unions. Seule une étude menée auprès des personnes investies dans un projet de vie prenant en compte le rapport au sensible permettrait d’en savoir davantage à ce sujet.

Concluons ce paragraphe en affirmant que le rapport au sensible peut aussi participer à mettre devant une incontournable fin de séquence. En effet, si la relation entre deux personnes est qualifiée de « vivante », elle porte en son sein, comme tout élément vivant, la possibilité de prendre fin. Même dans ce cas, nous affirmons que les apprentissages de vie peuvent être considérables et que le rapport au sensible semble créer un liant qui perdure, au-delà de la séparation – Philippe a insisté sur ce fait.

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