Le contrat, Affaiblissement du principe de l’autonomie de la volonté

L’altération des principes directeurs du contrat – Section 2 :
La théorie générale du contrat est gouvernée par différents principes dérivés de l’article 1134 du Code civil : le principe de la force obligatoire du contrat, du consensualisme, de la liberté contractuelle et enfin le principe de l’autonomie de la volonté. Ce principe est le principe fondamental, la clef de voûte de la théorie du contrat. Or il a été remis en cause. C’est le principe de base sur lequel repose la conception traditionnelle du contrat, conception qui cède le pas sur une conception contemporaine du contrat attachée désormais à l’aspect économique de celui-ci275. Par conséquence, si la conception traditionnelle du contrat est en déclin, le principe de l’autonomie l’est également. (A) Une autre caractéristique attachée à certains contrats connaît également un affaiblissement, c’est le caractère intuitus personae. Alors que traditionnellement les contrats conclus intuitus personae pouvaient être rompus dès lors qu’une qualité de la personne cocontractante était modifiée, le droit des procédures collectives a contribué à ce que ce ne soit plus le cas. Il en a résulté une perte d’efficience de ces contrats. (B)
Paragraphe 1 L’affaiblissement du principe de l’autonomie de la volonté
La théorie générale des contrats a connu une évolution sous l’élan, notamment, du droit des procédures collectives. Elle a subi l’érosion de ses principes fondateurs, notamment du principe de l’autonomie de la volonté, à la suite d’atteintes législatives et jurisprudentielles. Le principe de l’autonomie de la volonté signifie d’une part que personne ne peut être engagée contre sa volonté et d’autre part, que chacun est libre de contracter à sa guise276.
L’évolution de la théorie générale du contrat s’est réalisée sous l’impulsion de facteurs économiques (A) et sociaux. (B)
A Par des facteurs d’ordre économique
Il est de tradition française que l’Etat intervienne dans les échanges économiques. Même si aujourd’hui cette immixtion est relativement limitée, elle n’est pas sans influence sur le contrat qui est le moyen par lequel se réalise les échanges économiques. Ainsi le dirigisme contractuel réduit la liberté contractuelle277. Au contrat librement voulu par les parties s’est substitué le contrat dirigé278.

274 F. CHABAS, Leçons de droit civil, Monchrestien, 9e éd., Tome 2, 1er vol, p. 22.
275 Voir supra.
276 F. CHABAS, op.cit., p.20.
277 B. STARCK, H. ROLAND, L. BOYER, op.cit., n° 23 : L’orientation de l’économie s’est faite aux dépens de l’autonomie de la volonté. Elle n’a pas eu pour objectif de supprimer la volonté en tant que facteur des contrats et des entreprises, mais de l’endiguer, de la canaliser, de manière qu’elle ne puisse dégénérer en anarchie ou en abus de toutes sortes.

En droit des procédures collectives, ce phénomène se traduit par le fait que les dispositions prises pour assurer le respect du contrat ne sont pas motivées par les principes directeurs du droit commun des obligations mais par des considérations d’ordre économique279. Ces principes sont donc affaiblis, surtout celui de l’autonomie de la volonté et par extension celui de la liberté contractuelle. La volonté des parties ne serait plus le fondement du contrat à cause de l’interventionnisme étatique. Pour une partie de la doctrine, le contrat serait fondé sur des éléments objectifs tels que l’utilité économique pour la satisfaction des besoins des membres du corps social, cette satisfaction ne pouvant être procurée qu’en conformité avec l’intérêt général280 ou la conciliation d’intérêts. Ce raisonnement est conforme à celui du législateur en droit des procédures collectives.
Cependant pour un auteur281, la volonté reste, même si son recul est indéniable, le seul fondement du contrat. L’opinion inverse282 développée par J. Ghestin, soutient que l’autonomie de la volonté, dont la liberté contractuelle est le corollaire, est subordonnée à la justice et à l’utilité publique283. Il remet en cause le dogme de la volonté puisque son postulat de départ, l’égalité des parties, s’est révélé avec le développement économique inexact. Il substitue l’utile et le juste au dogme de l’autonomie de la volonté. Le contrat est économiquement utile, il est l’objet de la satisfaction des besoins des parties ce qui n’est pas le cas de la volonté qui se borne à déterminer les conditions de l’opération284. D’autre part, le contrat ne serait, toujours selon J. Ghestin, obligatoire que s’il est juste285. Le contrat doit être conforme à la justice commutative, peu importe que chacune des parties reçoive l’équivalent de ce qu’elle donne286. Ces fondements justifieraient le rôle croissant du législateur et du juge dans les relations contractuelles, animés par le désir de faire respecter ces principes supérieurs à la volonté. L’utile et le juste seraient les nouveaux principes fondamentaux de la théorie générale du contrat.
Il semble que ses deux théories soient trop extrêmes. Leur combinaison serait mieux à même d’appréhender l’état des fondements de la théorie générale du contrat à l’heure actuelle. L’autonomie de la volonté reste un principe fondateur du contrat mais elle est réduite par la prise en compte d’autres principes que sont le contexte économique et social, l’égalité, la justice, l’équilibre. Ces nouveaux principes issus des droits spéciaux, surtout du droit des procédures collectives, enrichissent la théorie générale des contrats sans remettre totalement en cause ses principes fondateurs traditionnels.

278 C. LARROUMET, Droit civil Les obligations, Le contrat, Tome 3, Economica, 4éme éd, n° 121
.279 C. BRUNETTI-PONS, op.cit., n° 19.
280 C. LARROUMET, op.cit., n° 134.
281 C. LARROUMET, qui est opposition sur ce point avec J. GHESTIN.
282 Opinion développée entre autres par J. GHESTIN dans son traité de droit civil, op.cit.
283 J. GHESTIN, L’utile et le juste dans les contrats, D. 1982, chron., p.1.
284 J. GHESTIN, op.cit., p. 4.
285 On peut citer la célèbre formule de Fouillée, disciple de Kant: “ qui dit contractuel, dit juste.”

Pour voir comment se combinent ces différents principes directeurs, il faut distinguer entre la conclusion et l’exécution du contrat. Lors de la conclusion, l’autonomie de la volonté est nécessairement présente287 puis l’exécution du contrat échappe à la volonté des parties qui doivent remplir leurs obligations telles qu’elles ont été conclues originairement. C’est au moment de l’exécution du contrat que les nouveaux principes vont s’appliquer. Cependant, le principe d’intangibilité du contrat ainsi que la force obligatoire de celui-ci pourraient empêcher la prise en compte de ses principes mais ils sont également altérés parce que le contrat est devenu un lien vivant entre les parties, il doit être susceptible d’évoluer dans la mesure où des impératifs supérieurs le commandent288. Le contrat s’inscrit dans un milieu juridique, il n’est pas hermétiquement clos. De sorte que les principes contemporains de justice contractuelle, d’utilité économique, d’égalité affectent l’immuabilité du contrat. Le législateur ou le juge fera évoluer le contrat si l’un de ces principes, supérieurs à la volonté des parties, l’exige.
En somme, la recherche et le respect de la volonté n’apparaissent plus comme une priorité absolue dans le régime du contrat, mais comme une quête subordonnée au respect de valeurs objectives supérieures289. A la conception traditionnelle, subjective du lien contractuel, succède une conception objective.
B Par des facteurs sociaux
L’autonomie de la volonté était f
ondée sur une prétendue égalité des contractants290. Or si l’égalité juridique est réelle, il s’est avéré, au cours du XIXe siècle, que l’égalité socio- économique entre les parties n’existait pas. Des liens d’interdépendance entre les parties sont inévitables. La partie dominante impose sa volonté, et libre à l’autre de contracter ou non avec elle291. Fort de cette constatation, le législateur doit intervenir pour encadrer ces inégalités de fait, et éviter ou sanctionner les abus. Il intervient pour rétablir l’équilibre contractuel, en dirigeant ou imposant les contrats. Il intervient également dans l’exécution du contrat, dispensant parfois le débiteur de remplir ses engagements292. La liberté contractuelle est donc réduite par le législateur. Dans cette optique s’est développée un ordre public contractuel de protection293. La morale a fait son entrée dans la conclusion et dans l’exécution du contrat. La justice contractuelle, la prise en compte de l’intérêt de l’autre partie sont aussi des éléments qui ont influencé l’évolution de la théorie générale du contrat. Il s’agit de restreindre la liberté du plus fort pour plus d’égalité contractuelle294. L’intérêt social est favorisé au détriment de l’intérêt individuel. La conception contemporaine du contrat adopte l’idée d’une collaboration, d’une coopération entre les parties qui succède à la vision d’intérêts antagonistes des parties. On parle de fraternité contractuelle, d’affectio contractus.

286 J. GHESTIN, op.cit., p.6.
287 Même pour les contrats d’adhésion, pour lesquels le contenu est déterminé par la partie « forte » au contrat, l’autre partie reste libre de conclure ou pas le contrat.
288 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, op.cit., n° 11.
289 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, op.cit., n° 23.
290 F. CHABAS, op.cit., p. 20.
291 Le contrat d’adhésion est un bel exemple de la rupture d’équilibre entre les parties.

Une nouvelle approche du contrat s’est développée. Le lien contractuel tend peu à peu à substituer au conflit d’intérêts, l’union des intérêts295. Le contrat serait fondé sur une conciliation d’intérêts, afin de parvenir à des rapports équilibrés et égalitaires basés sur la fraternité, la justice296 297. Ces principes sont présents en droit des procédures collectives puisque les sacrifices demandés aux cocontractants du débiteur le sont dans le but socio- économique de sauver une entreprise en difficultés par la prise en compte des intérêts du débiteur. L’exigence de fraternité contractuelle permet par exemple, au législateur et au juge, dans le cadre d’une procédure collective, en raison des difficultés du débiteur, d’octroyer des délais de grâce, expression d’une compassion imposée au créancier298.
Ces facteurs économiques et sociaux que nous venons de voir sont à l’origine de l’évolution de la théorie générale du contrat. Outre l’affaiblissement de ses principes directeurs, les conséquences du caractère intuitus personae dont sont dotés certains contrats, sont également en repli.

292 F. CHABAS, op.cit., p. 20.
293 Voir supra.
294 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, op.cit., n° 25.
295 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, op.cit., n° 6.
296 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, op.cit., n° 2.
297 On peut citer à titre d’illustration du principe de fraternité l’obligation d’information, de conseil.
298 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, op.cit., n° 31.

Lire le mémoire complet ==> (Les atteintes de la procédure collective à la liberté contractuelle)
Mémoire de DEA Droit des affaires
Université Robert Schuman de Strasbourg
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