La sémiologie de l’objet : une analyse sémiologique

La sémiologie de l’objet : une analyse sémiologique

4.4- La sémiologie de l’objet

L’unité retrouvée de la pratique productrice consisterait en ceci, que la forme exprimerait ou «signifierait» de façon congrue la fonction. Le design en cela, produirait un univers objectif saturé de sens : utilité et valeurs humaines, ou idéales à la fois.

Dans un article du numéro 9 de la revue Azimuts1 intitulé «J’ai mal aux yeux», Ruedi Baur évoque la concentration de plus en plus importante d’objets signes, objets essayant à tout moment de capter notre regard et notre intérêt. L’image, l’objet ou le signe nous dit-il, servent de nourriture au système nerveux sur-sollicité et perdent ainsi leur fonction première : celle de faire sens.

Ezio Manzini2 nous dit à son tour que les signaux émis ne sont plus interprétables. Il part du constat suivant :

«Notre environnement artificiel n’a jamais été plus paradoxal : les objets perdent de leur matérialité, et pourtant leurs déchets nous envahissent; l’information prolifère tellement qu’elle ne produit plus que du bruit.»

Le monde de l’objet impose une «géométrie» à l’espace social. L’objet est un miroir social, produit par une logique, et un ancrage de sens, aboutissement d’une volonté de signification (signe social, objet désigné). C’est moins l’objet lui-même qui intéresse que la relation à l’espace social (domination, encombrement…) Il trouve sa place dans l’inventaire des besoins fondateurs d’un discours social, tel que nous l’a proposé Jean Baudrillard dans son ouvrage «pour une critique de l’économie politique du signe» :

«Les objets sont des preuves car ils sont l’effet d’un travail symbolique, ils restituent des disparités sociales dans une même catégorie d’objets (fauteuils, rangements, voitures…) et sont à analyser comme une syntaxe en dégageant des constantes d’organisation en fonction du type d’habitat ou de la catégorie sociale, ils sont le support d’une structure globale de l’environnement qui est en même temps une structure du comportement.»

Selon Baudrillard, par la logique économique du signe, tout est design et rien ne lui échappe. Le designer serait donc le manipulateur privilégié de ces signes.

Le design serait, et ne serait rien qu’un système de signes ? Cela est vrai en un certain sens. Il y a un code général de repères et d’incitation qui vise à régler la totalité des comportements sociaux, des conduites, des pratiques et des motivations affectives à la fois.

Dans la société «production-consommation», se définit deux axes du sens et des valeurs : l’un par l’utilité d’où résulte une économie des forces, l’autre par l’esthétique soit une économie des affects.

C’est encore Baudrillard, qui a décrit la relation entre la mise en scène de la vie sociale et les combinaisons de la symbolique des objets1. La classification des objets, la reconnaissance de leur usage ou de leur fonction, les valeurs qu’on leur attribue semblent bien contribuer à définir le monde des objets comme un ensemble de signes rigoureusement normés.

Mais Henri .Pierre. Jeudy2 s’interroge sur cette analyse sémiologique qu’il perçoit comme entièrement fondée sur la linguistique et qui le renvoie à la question : le monde des objets forme-t-il un système comparable à celui de la langue ?

H.P. Jeudy approche ce texte de «l’empire des signes» de Roland Barthes par lequel il se dit «(…) frappé du tour de force de la sémiologie : le système d’analyse des gestes de manipulation procède et conduit la perception. La sémiologie apparaît comme un discours plaqué sur des pratiques sociales et culturelles de l’objet. Ce discours a sa propre dynamique, calqué sur le système de la langue(…) L’empire des signes n’est pas le pouvoir de la sémiologie ! Au contraire, le jeu des combinatoires de signes consacre l’énigme de l’objet».

Ainsi, H.P. Jeudy, sans pour autant faire l’apologie de l’animisme présent dans nos relations avec les objets, dénonce le fait que la science des signes relative à l’objet s’est trop fondée sur l’arbitraire d’un système de lecture emprunté à la linguistique.

D’autre part, le designer ne semble pas utiliser la sémiologie comme une charte de travail. Celle-ci s’applique à posteriori, comme le discours sur la perception et l’usage des produits réalisés. Le paradoxe du designer – qui n’est pas sans rappeler celui du comédien, décrit par Diderot – est de concevoir sans pouvoir en parler. Il sait parfaitement ce qu’il fait, mais il ne peut parler de l’objet que comme un technicien, en expliquant les phases de réalisation de son projet.

L’objet ne fait donc signe qu’une fois conçu.

Si la démarche s’inversait, si la science des signes, alliée à la connaissance technique, déterminait la conception de l’objet, pourrait-on imaginer la réalisation de l’objet parfait ?

la science des signes

Peut-être, mais seulement dans un moment précis, celui du temps de son usage.

Or, en rapport au temps, on constate un phénomène qui mérite d’être mentionné: les objets passés, ceux que l’on ne cesse de regarder dans les musées, .se présentent ou nous sont présentés parfois comme des objets idéaux.

La sémiologie était plutôt une aventure critique, comme ce fut le cas dans les années soixante pour R. Barthes. Ne devient-elle pas, dans le monde de la production et de la consommation des objets et des images, un dispositif de signification et de légitimation. Pour le concepteur, elle précède et clôture comme une enveloppe de l’idée. H.P. Jeudy la qualifie de packaging intellectuel qui confère à l’objet sa légitimité conceptuelle.

Roland Barthes distingue trois niveaux de sens :

  • * l’informatif, correspond à la communication
  • * le symbolique, celui de la signification
  • * le signifiant : l’évidence de la fonction se donne par un sens «allant de soi». La signifiance, au contraire, correspond à ce qui ne va pas de soi. C’est expression de l’incertitude du sens.

Dans l’idéal de la perfection, l’objet fonctionnel ne devrait pas laisser de place à la signifiance, et nous sommes devant un nouveau paradoxe : comment créer du signe si on reste exclusivement dans l’ordre de l’information et de la signification?

Philippe Starck dit ceci :

«Notre métier n’est en aucun cas un métier d’artiste, en aucun cas un métier d’esthéticien, c’est un métier de sémanticien… Il faut que les objets envoie des signes, comme des enfants, des animaux, ou un feu de bois.»

Ce qui est de l’ordre de la signifiance ne serait pas réservé à la seule création artistique pure. Si je regarde un objet que je peux utiliser, je ne le perçois pas comme un tableau, comme une photographie, et pourtant, je lui prête du sens qui n’est pas défini exclusivement par ses fonctions et ses formes.

Il n’y a pas une grille préalable de sens; je conserve une liberté de sens, comme le concepteur d’ailleurs (l’intuition est pour une bonne part à l’origine de la création). Ce rôle de la signifiance est limité pour un objet industriel, donc fonctionnel. Sinon, il devient objet esthétique.

La signifiance de l’objet se fonde sur l’imaginaire, et devient l’expression de l’intimité du rapport du sujet à l’objet.

Au-delà du signe qui est individuel, l’objet est enveloppé du symbole, référence culturelle collective. Or, la banalisation des objets impose un formalisme où l’identité culturelle devient parfois un symbole artificiel. Exemple : le boîtier d’un Walkman, d’une télécommande ou d’un téléviseur qui adopte une forme plus ronde, laissant penser de façon arbitraire au symbole féminin.

L’objet, dans son aventure contemporaine, doit se défendre de l’uniformisation, de l’absorption et de la contamination de tous les signes culturels.

Or, Jocelyn de Noblet écrit1 que le terme «design» est utilisé par un public très hétérogène «pour exprimer un jugement de valeur sur une famille de biens, qui à ses yeux produisent du sens». Marc Augé s’interroge sur cette production de sens. Le sens, dit Marc Augé2, c’est le sens social, et un objet investi de sens est un objet dans ou derrière lequel peuvent se lire des relations sociales virtuelles. «Cette virtualité et cette nécessité du social portent un autre nom : le symbolique.

Un objet symbolique est un objet qui peut réunir des êtres humains ou à partir duquel la relation entre humains peut se penser.»

Notons que les objets que nous appelons fétiches, adorés des missionnaires chrétiens, sont éminemment symboliques, c’est à dire gorgés de sens social. L’objet de culte établit à travers la figure du dieu qu’il représente, et incarne à la fois, une médiation entre les hommes. Les objets industriels ne sont pas si éloignés des objets fétiches.

1 Introduction de son ouvrage, Design, le geste et le compas, Paris, Somogy, 1988.

2 Préface de Design, miroir d’un siècle, Paris, APCI-Flammarion, 1993.

Peut-être ne sont-ils pas objets de culte, encore que l’on peut penser aux soins jaloux dont une voiture par exemple peut être l’objet, mais ils sont à l’évidence porteurs de sens social, en majorité consacrés à la relation entre les uns et les autres (circulation, communication, diffusion…)

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