La sanction du droit au respect de la vie personnelle du salarié

Une incertitude quant à la sanction du droit au respect de la vie personnelle – Paragraphe 2 :
Nous avons donné un aperçu de la richesse des perspectives qu’offre le concept de vie personnelle du salarié. Mais l’effectivité d’un principe, aussi fondamental soit-il, repose sur le régime de la sanction qui en découle. L’enjeu est d’importance car les atteintes à la vie personnelle se traduisent le plus souvent par le licenciement du salarié. A travers les premières applications du concept, la position de la jurisprudence se révèle quelque peu timorée (A). Cependant un rapide regard sur la législation actuelle et la doctrine majoritaire nous encourage à penser que la nullité du licenciement fondé sur une atteinte à la vie personnelle est la seule sanction appropriée (B).

90 V. réf. données par B. BOSSU à l’article précité.

A – Des sanctions encore modérées
Contrairement à la matière pénale, le droit du travail offre plus de possibilités au juge lorsqu’il s’agit de déterminer la sanction des atteintes aux droits et aux libertés du salarié. Paradoxalement, suivant l’observation d’un auteur, « pouvant le plus, il fait le moins91 » et c’est bien ce que l’on peut regretter au vu des premières applications de la notion de vie personnelle.
Les revirements opérés en 1972 par l’arrêt Revêt-Sol et en 1974 par les arrêts Perrier avaient pourtant amorçé, concernant le licenciement des délégués du personnel en violation de leurs droits fondamentaux, la possibilité de prononcer la nullité-réintégration en faveur de ces salariés et non d’allouer une simple indemnité réparatrice92. De même lors de l’affaire Clavaud, les juges n’avaient pas hésité à annuler un licenciement prononcé en violation du droit constitutionnel de la liberté d’expression sans qu’un texte l’y autorise93.
Mais dans ses premières décisions fondées sur la violation de la vie personnelle d’un salarié, la Cour de cassation a seulement considéré que les licenciements qui en ont résulté étaient sans cause réelle et sérieuse94. Cela signifie, au terme de l’article L.122-14-4 du Code du travail, que l’employeur est condamné à verser une indemnité au salarié injustement licencié mais que la relation de travail est néanmoins rompue. Cette sanction est d’autant plus inadaptée que l’on imagine mal que l’exercice d’une liberté individuelle puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Plusieurs éminents auteurs ont souligné l’inadéquation entre cette sanction et l’importance des valeurs protégées en rappelant qu’ « il ne faut jamais oublier qu’une cause réelle ne peut pas être une cause sérieuse lorsque les faits allégués constituent l’exercice d’un droit ou d’une liberté95 ».

91 J-M. VERDIER, « Libertés et travail. Problématique des droits de l’homme et rôle du juge », D. 1988, chron., p. 63.
92 Supra note n° 26.
93 Cass. soc., 28 avril 1988, Clavaud, Dr. soc., 1988, p. 428, obs. G. COUTURIER.
94 Voir par exemple cass. soc., 14 mai 1997, R.J.S., 6/97, n° 758, « les agissements du salarié dans sa vie personnelle n’étaient pas constitutifs d’une cause de licenciement ».
95 G. LYON-CAEN, J. PELISSIER, A. SUPIOT, Précis de droit du travail, Dalloz, 18eédition, p. 369.

En matière de violation du droit à l’image, la Cour de cassation a rappelé récemment qu’elle reconnaît que des preuves obtenues par une caméra de vidéo surveillance constituent des moyens frauduleux attentatoires aux droits et libertés des personnes96. Mais elle centre sa décision sur l’illicéité du mode de preuve qui a pour corollaire une absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Or des auteurs comme M. COUTURIER distinguent entre « l’illicéité du mode de preuve résultant de l’utilisation de procédés de surveillance à l’insu des intéressés et l’illicéité des licenciements prononcés pour des motifs attentatoires aux droits et libertés des personnes ». Pour appliquer ce second cas de figure, les juges devraient adopter une perspective plus large basée sur le droit au respect de la vie personnelle et prononcer alors l’annulation des licenciements irréguliers. Lorsque des droits fondamentaux sont en jeu, la sanction ne doit pas seulement rejeter le procédé qui a permis le licenciement – le mode de preuve – mais elle doit surtout anéantir les effets du licenciement pour assurer la continuité de l’exercice de ces droits.
Les premières applications de l’article L.120-2 du Code du travail autorisent un constat identique. Malgré une protection très générale des libertés individuelles et collectives, le texte ne comporte pas de sanctions. Lorsque la chambre sociale vise l’article L.120-2, ce qu’elle fait de plus en plus régulièrement, elle se borne à déclarer l’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements97. « La Cour de cassation raisonne essentiellement en termes de rapports contractuels, déplore une partie de la doctrine, elle s’en tient à l’habitude de la réparation par équivalent, plus simple, plus courante mais insuffisante et même illusoire car […] la violation d’une liberté fondamentale […] n’a pas vraiment d’équivalent pécuniaire98 ». La nullité semble être la sanction la plus adéquate.

96 Cass. soc., 10 décembre 1997, Euromarché Carrefour, Dr. soc., 1998, p. 202, note G. COUTURIER.
97 V. l’exemple d’un cadre dirigeant licencié pour avoir vivement critiqué les propositions de la direction. Cass. soc., 14 décembre 1999, J.S.L., n° 49.
98 J-M. VERDIER, « Libertés et travail. Problématique des droits de l’homme et rôle du juge », op. cit., p. 68.

B – Un plébiscite en faveur de la nullité
Qu’elle se fonde sur l’article L.120-2 ou plus généralement sur le droit au respect de la vie personnelle, la jurisprudence s’orientera vraisemblablement vers l’annulation des atteintes à ces valeurs fondamentales. Il suffit pour s’en persuader de constater que d’autres textes prévoient cette sanction : à défaut d’être textuelle, la nullité est la seule mesure à la hauteur du principe.
La jurisprudence Clavaud de 1988 a réalisé un progrès capital pour le respect du droit d’expression en dépit de l’absence de sanctions prévues par les textes. Lorsque l’on sait que ce droit n’est qu’une infime manifestation de la vie personnelle, cela encourage à penser que ce concept plus abouti que celui de « vie privée » sera prochainement sanctionné par l’annulation des licenciements injustifiés et la réintégration des salariés concernés. Lors d’un récent colloque, le professeur J-M. VERDIER adressait aux juges un plaidoyer pour une remise en l’état, c’est-à-dire une nullité avec restitution dans l’emploi, chaque fois qu’un droit fondamental, qu’une liberté est en jeu. Une simple réparation pécuniaire, une indemnisation ne peut pas suffire99.
L’auteur ajoute que la dynamique législative en faveur de la sanction de la nullité doit encourager la jurisprudence à déduire un principe général de nullité des actes contraires à un droit fondamental ou à une liberté, quitte à dépasser la lettre du texte. Le juge peut s’inspirer de dispositions qui se sont multipliées depuis la loi de 1982 et qui prévoient la nullité des atteintes à certains droits fondamentaux. La nullité des clauses contraires au règlement intérieur peut être prononcée selon l’article L.122-35 du Code du travail. L’article L.122-45 qui interdit les sanctions ou les licenciements discriminatoires indique que « toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit ». La chambre sociale a eu l’occasion de le signifier dernièrement à propos d’un salarié licencié en raison de ses activités syndicales100. En matière de droit de grève, l’article L.521-1 du Code du travail précise dans son alinéa 3 que tout licenciement
prononcé en l’absence de faute lourde imputable au salarié « est nul de plein droit ».
La différence majeure entre ces textes d’une part et le concept de vie personnelle ou l’article L.120-2 du Code du travail d’autre part, c’est le caractère limitatif du champ d’application des articles qui prévoient expressément la nullité. A titre d’exemple, l’article L.122-45 présente une liste limitative d’atteintes qui encourent la nullité : les juges craignent moins de prononcer cette sanction lorsqu’elle est en quelque sorte « enfermée » dans une énumération exhaustive de situations. Le droit à une vie personnelle, qui transparaît à l’article L.120-2 du Code du travail, présente des perspectives d’applications si larges que la jurisprudence semble inquiète à l’idée de le sanctionner par la nullité. Une prudence légitime qu’elle doit toutefois dépasser.

99 J-M. VERDIER, « Interaction entre vie personnelle et vie professionnelle à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise », extrait du colloque CIJ Libre Justice, Travail, libertés et vie professionnelle du salarié, Gaz. Pal., 1996, III, doctrine, p. 1419.
100 Cass. soc., 17 mars 1999, J.C.P., 1999, IV, n° 1882

De plus, à force de se prononcer sur l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciements attentatoires aux libertés, les juridictions ont incité les salariés licenciés à agir sur ce fondement. En pratique, il ressort que les justiciables invoquent l’absence de cause réelle et sérieuse plutôt que la nullité-réintégration alors que des libertés individuelles sont menacées101. Cependant il est vrai que la réintégration, qui peut être décidée par le juge en vertu de l’article L.122-14-4 alinéa 1er du Code du travail, n’est pas toujours réalisable : le poste a été supprimé, le salarié congédié a été remplacé ou a retrouvé un emploi, sans parler du climat de tension entre le salarié réintégré et l’employeur rendant insupportable la poursuite du contrat de travail.
Hormis l’incertitude quant à la sanction mais qui devrait se dissiper prochainement, le concept de « vie personnelle » pourrait apporter bien plus qu’une terminologie nouvelle. En se substituant à la notion de « vie privée » tout en englobant les démarches publiques du salarié, il peut donner un second souffle aux Droits de l’homme dans un monde où ceux-ci sont particulièrement menacés, le monde du travail. Ce concept a le mérite de réaffirmer ostensiblement que, peu importe les obligations imposées par le contrat de travail, le salarié n’en est pas moins homme et doit être respecté en cette qualité. Il correspond tout à fait à la fameuse expression de RIVERO qui lui tient lieu de postulat : « au contrat, le salarié met à la disposition de l’employeur sa force de travail, mais non sa personne102 ». Mais la vie personnelle ne s’oppose pas au travail, elle semble plutôt se superposer à la vie professionnelle, créant ainsi des interférences entre ces deux moments de vie.

Lire le mémoire complet ==> (Le concept de vie personnelle du salarié)
Mémoire de Droit Social – D.E.A. de Droit privé
Université de Lille 2 – Droit et Santé – Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales

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