Université Lumière Lyon 2 ARSEC

Mémoire de D.E.S.S. « développement culturel, administration culturelle : gestion de projet »

L’obscur objet du design

Laurence BOY

Direction : Jacky VIEUX

Année 97-98

Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement M. Jacky Vieux, Directeur de l’action culturelle pour la ville de Givors et administrateur de la Maison du Rhône dans cette même ville, pour l’aide et le soutien précieux qu’il m’a apporté, ainsi que l’assurance qu’il a su me fournir pour élaborer ce mémoire.

Je souhaite remercier également Pascale Bonniel Chalier, Directrice de la formation, et membre du jury de ce mémoire, mais aussi toute l’équipe de l’ARSEC, grâce à qui cette année universitaire fut source d’ enrichissement et de plaisir personnel.

Enfin, je voudrais remercier Jacques Beauffet, Conservateur au Musée d’Art Moderne de Saint Etienne, Vincent Lemarchands Commissaire de la Biennale de Design 98, et Pierre Guillemin, Designer (société E.N.T. à Paris), pour avoir accepté de participer comme membres du jury à la soutenance de ce travail, me gratifiant de fait de l’intérêt qu’ils peuvent porter à ce mémoire.

Les dessins de la page de garde sont de Ettore Sottsass, extrait du catalogue d’exposition du Centre G. Pompidou, 1994.

Avant-Propos

Aborder la question du design est pour nous l’occasion de revenir et de développer des interrogations omniprésentes tout au long de nos études et de nos expériences professionnelles, sans pour autant qu’elles n’aient jamais fait l’objet d’une véritable recherche. Tenter de comprendre l’identité complexe contenu dans le mot design, n’avait pas entravé, et l’on peut le regretter, dix ans de pratiques professionnelles, pourtant quotidiennement rythmées par ces mêmes interrogations. Mais la pratique de la discipline ne tendait-elle pas peu à peu vers une perte de sens ?

Arrêter le temps pour obtenir le recul nécessaire à toute réflexion, et tenter de se sentir moins démunie devant ces mondes antagonistes que l’aura du design diffuse : le monde de l’art d’un côté, celui de la technique de l’autre, et les innombrables renvois incontournables qu’ils sous- entendent sur l’homme.

Ce travail n’a aucunement la prétention d’apporter des éléments nouveaux sur le sujet, c’est-à-dire sur l’objet. Notre volonté était bien plutôt de rechercher à des fins personnelles, et sans doute est-ce la raison qui nous fit en éprouver du plaisir, une vision d’ensemble permettant d’identifier ce que nous qualifierons de design schizophrénique. Ce travail est donc plus à aborder comme une synthèse des différents paramètres en jeu dans la combinaison de ses champs d’actions. La synthèse n’est – =elle pas l’exercice premier du designer ?

1. Introduction

Aborder la question du design, c’est se confronter aux multiples champs de l’activité de création et de production de signes, d’images, d’objets et d’espaces très variés, tous tributaires d’une origine artistique, usuellement classés dans ce registre et d’une origine relevant de la technique1.

Compte tenu de cette diversité, nous pourrions parler, comme le fait Philippe Quinton2 des designs au pluriel. Nous choisissons néanmoins d’aborder le terme «design» comme élément descriptif d’un tout, et nous éviterons de nous attarder à distinguer les singularités de chacun.

Les motivations de ces recherches sont de mettre à jour et d’analyser cet objet design, polymorphe, composite, impalpable et symptomatique, afin d’en comprendre la complexe identité.

S’intéresser au design impose dans un premier temps de tenter de le définir, ou plus vraisemblablement de choisir une définition, d’adopter en quelque sorte un parti pris. Dans cette quête à l’identité du design, nous prendrons en compte quelques considérations d’ordre historique. Le design des objets manufacturés a connu comme nous le verrons, les arts décoratifs, l’esthétique industrielle – dans leurs acceptions historiques -, autrement dit un travail purement stylistique, puis fonctionnaliste, pour évoluer peu à peu vers une dimension humaniste et métaphysique.

Par le biais de cette approche historique, nous prendrons conscience que le design se trouve sans cesse en balance entre la technique et l’art, ce qui ne facilite pas la construction de sa propre identité. La production design est-elle à situer du côté de l’œuvre ou du produit ?

Œuvre, produit, ou encore marchandise ou chose, comment dès lors ne pas s’aventurer dans un discours sur l’objet, pris au sens large, même si celui-ci est sans aucun doute tout aussi hasardeux que de traiter de l’homme. Le champ en est aussi vaste. Prolongement de l’homme, extension de ses membres et de son intelligence, l’objet le fascine autant qu’il le sert. Mais il oscille toujours entre deux états extrêmes : l’outil et l’emblème.

La même question revient depuis l’antiquité. Est-ce le beau qui est utile ou l’utile qui est beau ? Et au-delà est-il vrai que la jouissance, c’est ce qui ne sert à rien ? L’objet c’est la culture contre la nature, l’outil contre la servitude.

1 Nous distinguerons dans ce domaine très vaste, des activités différentes et complémentaires : design graphique, design d’environnement, design d’intérieur, design industriel, design produits, design textiles et mode.

2 «Les designs comme processus de communication», Communication et Langages.

Philippe Quinton est designer graphique et maître de conférences à Grenoble.

L’objet évolue au fil du temps et change, marqué par les matériaux, les techniques, les formes, les styles, les statuts, les rites, les marchés. L’objet répète nos questions. Nous nous intéresserons à cet objet, reflet de nos connaissances scientifiques et techniques, de nos moyens de production, à cet objet, miroir de nos rêves, de nos désirs, de notre statut social, à cet objet, reflet de notre société.

Les clés pour démonter les mécanismes de notre environnement, nous pouvons les chercher dans une approche thématique, dans les rapports que l’objet entretien tour à tour avec la technologie, l’économie, la politique, la culture, le social, l’art…

L’objet d’aujourd’hui participe encore de l’histoire de l’industrie. Fabriqué en série, destiné à la grande consommation, il constitue notre univers quotidien. Sa présence nous est familière, si évidente, que rarement nous nous demandons s’il a été conçu au hasard pour suivre des modes ou s’il a été produit pour répondre à des besoins précis, ou habillé différemment pour être mieux acheté.

Et pourtant l’environnement quotidien devient de plus en plus artificiel, et de plus en plus complexe, le construit remplace peu à peu le naturel. Si la lessiveuse ne pouvait guère que déborder, la machine électronique en panne nous laisse perplexes, agacés et démunis.

Nos rapports à l’objet évoluent, jusqu’à remettre parfois son existence en question : «Cache-toi, objets» était un slogan de mai 68, mais qui accepterait de son gré de se passer de tous les objets industriels qui nous entourent ?

Dans un monde qui semble banaliser l’esthétique, nous verrons que le design s’intéresse davantage à la production du sens, à la valeur symbolique et sociale des dispositifs formels – et maintenant virtuels -, qu’il génère.

Le design a aujourd’hui un champ d’action, des objectifs et des missions qui concernent toutes les dimensions de la société contemporaine. En concevant des signes graphiques, des images, des objets, le design constitue une activité créatrice basée sur un dispositif relationnel, c’est-à-dire de médiation, qui procède d’un travail sur le champ social. Le design, en tant qu’activité de création artistique, a des finalités esthétiques indéniables, mais pas exclusivement.

Il rend compte également des fonctions symboliques et techniques, concerne les domaines de l’économie et du management, et dans tous les cas soumis aux contraintes du marché. Le design, rencontre entre art et communication, entre culture et industrie, est l’expression des paradoxes de notre société, où s’affrontent la rationalité dominante et le besoin d’expression symbolique, mais aussi des relations instables entre la technologie et l’art, entre le désir et la réalité consommée.

Bien souvent, le rôle cosmétique des designers est plus valorisé dans l’innovation technologique que leurs capacités à régénérer des relations sociales à travers les objets qu’ils conçoivent. Il nous semble qu’ils participent à la solidité de la colonne vertébrale du marché, porteurs d’une énergie essentielle à la vie économique, sociale et culturelle.

Pourtant, la difficulté à appréhender leur identité, y compris au sein de la profession même, semble avoir longtemps contribuer à une absence de reconnaissance.

Le pluralisme culturel semble favoriser aujourd’hui une légitimation de l’activité, mais les designers ne devront-ils pas affirmer clairement leurs positions éthiques ? Dans un nouveau contexte qui n’est plus celui de la société industrielle, où nous allons assister, comme le dit Bernard Striegler1 «à un grand phénomène de rupture dans l’histoire sociale, technique, économique et politique», qui nous fait entrer dans ce qu’il appelle «l’ère de l’innovation permanente», quels sont les nouveaux enjeux du design, quels rôles le designer aura-t-il à assumer, et quelles perspectives pour cette discipline et cette pratique ?

1 «La technologie contemporaine : ruptures et continuités», L’empire des techniques, Paris, Editions du Seuil, 1994. Bernard Stiegler est enseignant de philosophie à l’université de Compiègne.

1. Introduction
2. Design, un objet à définir :
2.1- Définitions empruntées et mots clés
2.2- Analyse sémantique
2.3- Les filières de l’enseignement
2.4- Une profession aux multiples étiquettes
3. Une identité schizophrénique:
3.1- Histoire d’une construction identitaire : du XIXème siècle aux années
3.2- Design et technique :
3.3- Art et design : rencontre, fusion et confusion :
3.4- Chassés-croisés de l’art et du design :
3.5- Deux tendances distinctes : production de produits ou production d’œuvres ?
4. Dédoublement de «personnalité» : quelques symptômes de la névrose :
4.1- Autour de la notion de fonctionnalité :
4.2- Le champ de l’esthétisable
4.3- L’homme et sa relation à l’objet :
4.4- La sémiologie de l’objet
5. Quelles perspectives ? :
5.1- Les processus de légitimation :
5.2- Statut et devenir :
6. Conclusion

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