Interdiction des clauses attentatoires à la vie personnelle

B – Le principe d’interdiction des clauses attentatoires à la vie personnelle
Précisons-le immédiatement : un tel principe n’a pas été clairement dégagé par la jurisprudence en l’état actuel des choses. Il semble cependant qu’elle s’immisce davantage dans le contenu du contrat de travail pour veiller au respect des libertés individuelles et collectives. De même, elle n’hésite plus à sanctionner les clauses contraires par la nullité. Aussi ce principe d’interdiction n’est plus aujourd’hui un vœu pieux mais il semble sur le point d’éclore. Jusqu’à présent la plupart des décisions qui se réfèrent à la vie personnelle du salarié concernent les licenciements. Un auteur constate que la Cour de cassation s’est efforcée de démontrer l’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements basés sur des faits relevant de la vie personnelle113. Des arrêts récents ont montré qu’elle s’intéressait à la validité des clauses qui atteignent le salarié dans sa vie personnelle114.
En effet, les décisions prises par l’employeur, sa capacité à édicter des normes au travers du règlement intérieur ne sont pas les seules mesures qui entravent les salariés dans l’exercice de leurs libertés pendant le travail. Toujours dans son rapport en 1992, Gérard LYON-CAEN notait que « la part du contrat croît à la mesure de ce qui doit être exclu du règlement intérieur ». Il faisait notamment allusion aux normes édictées par des clauses conventionnelles qui échappent au règlement, donc à la protection posée à l’époque par le seul article L.122.35 du Code du travail.
La position de faiblesse des demandeurs d’emploi, aggravée par la pression de la demande de travail en période de chômage, les oblige parfois à accepter des contrats en dépit des clauses qu’ils peuvent contenir. C’est alors au juge que revient la mission de contrôler ces clauses et, le cas échéant, de les éliminer.
L’autonomie du salarié dans sa vie professionnelle peut trouver son salut dans le désormais incontournable article L.120-2 du Code du travail. La Cour d’appel de Paris l’a déjà visé pour déclarer « inopérante et de nul effet la clause du contrat de travail stipulant l’engagement solidaire et indivisible d’un couple de concubins engagés en qualité de gérants115 ». Le devenir du contrat ne peut pas dépendre de la séparation ou du divorce du salarié qui n’intéresse aucunement l’entreprise.

113 J. RICHARD DE LA TOUR, « Le libre choix du domicile du salarié et le contrat de travail », R.J.S.,2/99, p. 94.
114 Cass. soc., 12 janvier 1999, Spileers c/ SARL Omni Pac, RJS, 2/99, n° 151, note RICHARD DE LA TOUR

Le choix du domicile, qui est un élément de vie personnelle, a été pour la première fois clairement protégé par la Chambre sociale dans l’arrêt Spileers du 12 janvier 1999. Dans le contrat de travail d’un attaché commercial figurait la clause de mobilité suivante : « l’employeur se réserve le droit de modifier votre région d’activité en vous demandant d’être domicilié sur cette région dans les 6 mois suivant ce changement d’affectation ». Refusant sa mutation à Montpellier alors qu’il habitait le Nord-Est de la France, le salarié est licencié. La Chambre sociale casse au motif qu’il ne peut être porté atteinte à la liberté de choix du domicile par l’employeur que si celui-ci justifie que cette atteinte est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée au but recherché116. Les commentateurs en ont déduit qu’une clause de mobilité ne peut donc contraindre un salarié à un changement de domicile si ses attributions n’exigent pas une présence permanente au lieu de la nouvelle affectation117.
La décision visait l’article 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme pour affirmer que toute personne a droit au respect de son domicile mais elle aurait pu aussi bien viser l’article L.120-2 du Code du travail qui reprend les termes de la solution (la Cour l’aurait probablement visé sans le texte était entré en vigueur plus tôt).
La validité des clauses de non-concurrence par lesquelles un salarié s’interdit, lors de son départ de l’entreprise, de s’engager chez un concurrent ou de s’établir à son compte est souvent mise en doute mais le juge n’a jamais tranché en faveur d’une illicéité de principe. Mais ces dernières années, la cour de cassation a accordé plus d’attention à la vie personnelle du salarié. Si l’arrêt Roy de 1978 laissait penser que l’on pouvait prévoir au contrat l’obligation de partager des convictions ou une loyauté particulière envers l’entreprise, cela n’est plus du tout certain depuis la jurisprudence Painseq de 1991 qui, pour M. WAQUET, se situe sur une autre logique : désormais seule l’hypothèse du trouble caractérisé au sein de l’entreprise devrait justifier le licenciement d’un salarié.
Depuis cette date, la jurisprudence a entendu préserver la liberté du salarié contre ces clauses dont l’effet peut dépasser la durée du contrat de travail, ce qui empiète d’autant plus sur la vie personnelle. Dans un arrêt du 14 mai 1992, la Chambre sociale a annulé une clause de non-concurrence qui ne revêtait pas un caractère indispensable pour les intérêts de l’entreprise en se fondant sur l’article L.120-2 du Code du travail118. Dernièrement, elle s’est de nouveau appuyée sur ce texte pour annuler une clause semblable119.

115 CA Paris, 10 mars 1994, D. 1994, I.R., p. 139.
116 V. note n° 114.
117 L. DARRACQ, « La protection de la vie personnelle du salarié au travail », sem. soc. Lamy, 28/06/99, n° 940, p. 3.

Cette vigilance du juge à l’égard des clauses attentatoires à la vie personnelle doit pouvoir s’exercer également en matière de conventions collectives qui génèrent parfois de véritables charges pour le salarié. Comme le fait remarquer un auteur, elles lui imposent par exemple des obligations de mobilité ou autres mutations auxquelles il n’a pas forcément souscrit lors de la conclusion du contrat de travail120. Bien que la convention collective soit conçue comme un instrument pour l’amélioration de la situation des salariés, elle peut contenir certaines clauses contraires à l’ordre public social et a fortiori attentatoires à la vie personnelle, cette dernière ne se limitant pas au domaine social. La circulaire du 15 mars 1993 avait d’ailleurs souligné une possible application de l’article L.120-2 du Code du travail aux « stipulations susceptibles d’être contenues dans un accord collectif de travail ». C’est pourquoi l’autonomie du salarié au travail implique l’élimination de toutes dispositions qui tendent à réduire de manière injustifiée ses libertés individuelles. La remise en cause des clauses conventionnelles de révision, auxquelles le salarié n’a pas consenti librement, est souhaitable121 et démontrerait encore davantage cet espace de liberté incompressible qui subsiste dans le cadre de la relation de travail.
Cependant nous remarquerons ultérieurement que l’évolution qui consiste à préserver une vie personnelle au cours du contrat de travail n’est pas irréversible : en matière de modification du contrat de travail, la Cour de cassation ne tient plus compte des paramètres de la vie familiale du salarié pour distinguer entre la modification et le simple changement des conditions de travail.
Enfin si l’on observe la tendance européenne, il semble qu’un rapprochement se dessine entre les modèles de travail indépendant et de travail salarié, traduisant une métamorphose du pouvoir patronal. Il ressort d’un rapport récent sur la question que « le travail salarié fait place à ce qu’on pourrait appeler l’autonomie dans la subordination, tandis que réciproquement le
travail non salarié s’est ouvert à ce qu’on peut appeler l’allégeance dans l’indépendance122 ». Cette autonomie lui donne plus de latitude dans l’accomplissement de son travail de sorte que la contrainte ne disparaît pas mais « elle est intériorisée ».

118 Cass. soc., 14 mai 1992, J.C.P., 1992, II, n° 21889.
119 Cass. soc., 14 octobre 1998, R.J.S., 11/98, p. 824., n° 1362.
120 B. BOSSU, « Droits de l’homme et pouvoirs du chef d’entreprise : vers un nouvel équilibre », op. cit.p. 750.
121 B. BOSSU, note précitée.
122 A. SUPIOT, « Les nouveaux visages de la subordination », extrait du Rapport pour la Commission européenne, Au-delà de l’emploi, Dr. soc., 2000, p. 131.

La réforme législative qui prévoit la réduction du temps de travail à 35 heures révèle un peu plus cette autonomie car il est possible de discerner, au travers de la notion de temps de travail effectif, de brefs mais nombreux moments de liberté pendant le travail.
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Mémoire de Droit Social – D.E.A. de Droit privé
Université de Lille 2 – Droit et Santé – Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales

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