Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies

Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies

Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies12

À contrepied des tendances mentionnées plus haut, Christiane Singer interroge sans détour les tensions entre liberté et engagement. Pour l’auteur, il y a là un enjeu majeur qui sous tend les dynamiques relationnelles (2000) :

Entre le désir profond de se lier, de s’engager corps et âme, et le désir tout aussi profond de préserver sa liberté, d’échapper à tout lien, quel tohu-bohu !

Or, pour vivre ces exigences contradictoires et d’égale dignité sans être écartelé, il n’y a aucun secours à attendre ni de la philosophie, ni de la morale, ni d’aucun savoir constitué.

Il est probable que les seuls modèles adaptés pour nous permettre d’avancer sont la haute-voltige et l’art du funambule.

Un mariage ne se contracte pas. Il se danse.

À nos risques et périls.

Mariage ou pas, pour C. Singer, l’audace de vivre passe par l’engagement : « La vraie aventure de vie, le défi clair et haut n’est pas de fuir l’engagement mais de l’oser » (Ibid., p.18). Quant à la liberté, l’auteur nous invite à revenir sur quelques idées reçues : « Libre n’est pas celui qui refuse de s’engager.

Libre est sans doutecelui qui ayant regardé en face la nature de l’amour – ses abîmes, ses passages à vide et ses jubilations – sans illusions, se met en marche, décidé à en vivre coûte que coûte l’odyssée, à n’en refuser ni les naufrages ni le sacre, prêt à perdre plus qu’il ne croyait posséder et prêt à gagner pour finir ce qui n’est coté à aucune bourse : la promesse tenue, l’engagement honoré dans la traversée sans feintes d’une vie d’homme » (Ibid., p.18-19). La liberté serait donc liée à la perte des idées reçues, à l’aptitude au réalisme, au renoncement à la quête d’un bonheur qui exclurait la rencontre avec la souffrance. Et à la mise en action de soi, dans un engagement exploré sans détour.

12 L’intitulé de ce paragraphe reprend le titre d’un ouvrage de Christiane Singer, publié aux éditions Albin Michel en 2000.

Posé en ces termes, le projet fait réfléchir. La facilité en matière de relation a en effet bien des charmes mais pour l’auteur, s’y complaire mène à la stérilité : « On ne peut pas nier que le non-engagement ait ses délices – et qu’il serait dommage de ne pas les avoir goûtées. […] Le non-engagement ne fait problème que lorsque son temps est passé, outrepassé – et que nous croyons devoir à tout prix le prolonger sans remarquer que ce que nous prolongeons là n’est déjà plus vivant » (Ibid., p.23).

Retenons surtout des propositions de l’auteur que le culte d’une « pseudo-liberté » fait passer à côté de la véritable et mystérieuse potentialité de la relation d’amour entre partenaires. C. Singer, encore : « lorsqu’elle est bafouée et victime d’un malentendu, lorsqu’elle est comprise comme l’abrogation de toute obligation, de tout engagement, de toute relation profonde, la pseudo-liberté mène droit à l’entropie, au désenchantement et à la mort. Seule la puissance des limites fait que l’esprit se cabre, s’enflamme, s’élève au-dessus de lui-même » (Ibid., p.24).

Nous terminerons là ces quelques pas faits aux côtés de C. Singer, disparue récemment. À nos yeux, elle a su trouvé les mots pour dire la condition humaine tout autant que les promesses que celle-ci portait.

Elle a par exemple clairement nommé l’enjeu de parvenir à articuler liberté et contraintes, non pas dans une alternance entre échappées belles, d’un côté, et compromis tiède et résigné de l’autre. Non, le défi qu’elle pointe est tout autre : « La liberté vit de la puissance des limites. […] Devant une toile immense dont il ne verrait pas les bords, tout peintre aussi génial fût-il baisserait les bras. C’est la restriction de sa toile, sa limitation même qui exalte ses pinceaux » (Ibid.).

C’est donc à l’art de révéler la dimension potentialisante des contraintes qui se révèlent que nous invite l’auteur. Et loin de son idée de prôner le maintien à tout prix des unions :

Je n’ignore pas que certaines unions sont des débâcles, des terres brûlées, des no man’s land et que chaque histoire à une unicité devant laquelle il faut s’incliner.

Il peut même advenir que le courage de la rupture soit le geste salvateur !

Ce que je tente d’exprimer est autre chose encore : les épreuves ne sont pas en mariage le signe qu’il faut clore l’aventure mais souvent, bien au contraire, qu’il devient passionnant de la poursuivre (Ibid., p.31).

La psychopédagogie perceptive face à la tentation de l’hypertrophie du Moi

Les propositions d’enrichissement du rapport à soi que nous avançons n’obéissent pas à un projet de mise en avant du Moi. Nous les voyons plus exactement comme une aide à ce que chacun apprenne à « mieux se situer », face à ses croyances et ses représentations, face à ses nécessités véritables et face à ses choix. Nous y voyons une opportunité donnée aux apprenants d’accéder par exemple à l’exercice d’un choix perceptif : ils acquièrent la capacité de tourner leur attention vers le lieu, certes intérieur au début, d’un principe évolutif qui mène au renouvellement de leurs manières d’être.

Cette dynamique de renouvellement du moi au contact du mouvement interne nous semble ouvrir de nouveaux possibles en permettant à la personne de s’émanciper de mécanismes stéréotypés, en général générateurs de souffrance pour elle ou pour son entourage.

Certaines de nos études montrent en effet l’accès progressif à des manières d’être « salutogènes », c’est-à-dire participant au mieux-être physique, psychique mais aussi relationnel des personnes (Bois, 2007; Cencig, 2007, op. cit.).

Il n’est pas dit ici que les personnes qui apprennent à se situer en « osant être » ne génèrent pas à leur tour de difficultés relationnelles. La transformation au contact du sensible ne va pas dans le sens d’un confort douillet, d’une anesthésie de toute souffrance et d’un évitement des faces-à-faces avec soi-même, autrui ou encore avec les événements. Et c’est de cela également dont il est question dans notre enquête sur les effets du rapport au sensible sur l’expérience de la relation de couple.

Nous osons croire, de par notre pratique professionnelle d’accompagnement et de par les constats que nous posons dans notre vie personnelle, que la psychopédagogie perceptive propose une démarche dans laquelle il n’y a pas à choisir entre « authenticité » et « réciprocité », entre « connaissance de soi » et « reconnaissance de l’autre ».

Nous parions sur la réciprocité actuante chère à Danis Bois pour offrir une modalité d’interactions humaines loin de la dynamique comptable évoquée plus haut, même si cette dernière continue probablement de s’exercer partiellement.

La possibilité d’un échange constructif, évolutif entre les partenaires en présence nous semble réaliste, un échange qui nourrit, stimule et renvoie régulièrement chacun à la définition de son projet de vie, à la clarification de ses priorités et son expression « au milieu des autres ».

La présente recherche et celles qui suivront contribueront à valider, ou pas, nos observations premières. Et nos espoirs…

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