Design, Pouvoirs publics, médias et nouvelle scène

Design, Pouvoirs publics, médias et nouvelle scène

5. Quelles perspectives ?

5.1- Les processus de légitimation

Nous pouvons considérer qu’il y a processus de légitimation du design à partir du moment où les Pouvoirs publics, les institutions et les médias s’intéressent et se mobilisent sur la question. Nous nous attacherons dans ce chapitre à identifier les différentes initiatives et les différents événements qui relèvent de ce processus, s’efforçant de démontrer ainsi que les aspects paranoïdes, souvent révélés dans le monde du design, perdent peu à peu leur raison d’être.

a) Design et Pouvoirs publics

En France, l’histoire du design commence finalement en 1949, au moment où l’UAM (Union des Artistes Modernes créée dans les années 30) disparaît au profit de Formes Utiles, dont les sélections de produits seront chaque année associées au Salon des Arts Ménagers jusqu’en 1983.

En 1950, Jacques Viénot fonde l’Institut d’esthétique industrielle et crée la revue Esthétique Industrielle, qui deviendra Design industrie. En 1951, une trentaine de directeurs de bureaux d’étude sont envoyés aux Etats- Unis, pour visiter des usines.

Les Pouvoirs publics vont mettre quatorze ans à reconnaître l’existence du design : en 1964, André Malraux, alors ministre de la culture, et Georges Pompidou, créent un atelier de création contemporaine de mobilier, pour redonner une dynamique au secteur. Les années 60 sont prospères, où designers et industriels se piquent au jeu des nouveaux matériaux.

Les Pouvoirs publics se décident donc à s’intéresser au design et les années 70 donnent naissance à un Conseil supérieur de la création esthétique industrielle, puis de l’Institut de l’environnement. C’est aussi l’époque où Georges Pompidou, devenu président de la République, fait refaire les appartements privés de l’Elysée par Pierre Paulin.

Le premier choc pétrolier de 1974 va porter un coup dur au design. Beaucoup d’agences disparaissent et les industriels deviennent moins audacieux. Pourtant, lors d’un Conseil des Ministres consacré à l’innovation, en 1979, le mot design est prononcé et dans un volet technique sur la formation, il est dit : « Des enseignements de la conception de produits (design) seront mis en place dès 1980 dans les principales écoles d’ingénieurs et universités de technologie. »

Parmi la dizaine d’écoles aidées, l’Université technologique de Compiègne est la première école d’ingénieurs à créer une filière en design industriel pour les étudiants de génie mécanique. Thierry Gaudin, délégué adjoint à l’innovation et à la technologie au Ministère de l’industrie, se dit attaché à la réalisation de différentes actions de promotion du design, « avec la conviction que cette discipline accompagne et renforce le processus de l’innovation lorsqu’elle ne le génère pas elle-même ».

A partir du début des années 80, le Conseil interministériel décide d’une série de mesures en faveur du design. L’Etat est, de 1981 à 1995, le principal soutien du design, dont on peut citer quelques exemples :

  • * création d’une école de haut niveau, l’ENSCI (Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle) par Claude Mollard, Délégué aux arts plastiques au Ministère de la culture, sur les bases d’une pédagogie originale et novatrice.
  • * création de l’APCI (agence pour la promotion de la Création Industrielle), qui créée un centre de ressources en CAO.
  • * intégration du design dans les programmes d’aide à l’innovation de l’ANVAR (Agence Nationale pour la Valorisation de la Recherche), dans le cadre de coopérations designers industriels.
  • * création d’un Grand Prix national du design par le Ministère de la culture, ainsi que de nombreux concours et appels d’idées.
  • * missions de sensibilisation du public, confiées au Centre national d’art et de culture Georges Pompidou qui seront suivies par de nombreuses expositions, notamment au Musée des Arts Décoratifs.
  • * bourses de recherche, financées par le Ministère de l’industrie et gérées par le CCI, attribuées à de jeunes designers.
  • * mobilisation des marchés publics priés de prendre d’avantage en compte le design. L’Ugap (Union des groupements d’achat public) est chargée de constituer une cellule interne « conception de produits et études de marché' ».
  • * création de centres de design, sur le principe des « design centers » étrangers, configurés par la Chambre de commerce et d’industrie, dont le but est de susciter la coopération entre les différents acteurs et partenaires
  • * encouragement auprès des professionnels du meuble, du luminaire, du jouet, des produits du bâtiment, du textile, du graphisme et de la typographie à la création par des exonérations de la taxe parafiscale.
  • * émissions télévisées qui s’entrouvrent à la création et sous l’impulsion du Ministère de la culture, diffusent des reportages sur des designers.

Cette liste ne se veut aucunement exhaustive. Nous avons recherché quelques faits significatifs d’une reconnaissance et d’une volonté de développer la discipline.

Notons que le design ne quitte guère la capitale jusqu’en 1985, où le premier Congrès de design graphique en France intitulé ICOGRADA, se déroule à Nice. La première grande manifestation de design décentralisée en France est organisée par l’association Caravelle, animée par le groupe Totem, qui organise quatre expositions à Lyon, St Etienne et Grenoble.

Mentionnons enfin, à l’échelle de l’Europe, que le design fait l’objet d’un thème communautaire au sein du comité pour l’innovation et les transferts de technologie. L’enjeu du design devient européen.

b) Design et médias

La presse, discrète sur le sujet jusqu’à la fin des années 50, s’intéresse à ce nouveau phénomène de société, dont le coup d’envoi est donné par la publication du livre de Georges. Pérec, Les Choses. Mais le design est encore relégué la plupart du temps dans les rubriques féminines des quotidiens ou dans les journaux féminins. Les hommes semblent dédaigner le sujet.

La première revue de design vraiment contemporaine naît en 1969 : Créé, tandis que Catherine Millet dans les Lettres françaises pose la question « Qu’est-ce que le design ? « , au moment où le CCI (Centre de Création Industrielle) par une initiative privée, ouvre ses portes au musée des Arts Décoratifs. Effet médiatique sans précédent, le premier catalogue de mobilier contemporain sort chez Prisunic en 1968.

Ces différentes mesures, et en particulier la création du VIA (Agence pour la Valorisation et Innovation dans l’Ameublement), l’entrée du design au salon INOVA, et l’arrivée de Jack Lang au ministère de la Culture, permettent au phénomène design d’être relayé par les médias. Plus de 600 articles remettent le design à la « une ».

Phénomène de mode peut-on penser, ou banalisation d’une profession qui entre dans les moeurs ? Le domaine du mobilier est porteur du design tout entier. La presse s’en empare et les designers y recourent de façon systématique et naturelle. Cette fois, le design n’est plus un créneau féminin; il est cependant toujours pris au sens restrictif de design de produit. La presse quotidienne représente 50% des articles, la presse de gauche étant majoritairement représentée avec 75% des articles.

c) Composition d’une nouvelle scène

Le design des années 50, 60, et 70 visait, nous l’avons vu, la démocratisation. Les années 80, souvent tournées vers le culte du designer « star », ont vu se développer les objets en séries limitées, le retour à des matériaux onéreux, ou encore la surenchère de l’objet fétiche, appuyée par les médias et la mode.

Par conséquent, le design prenait de toute évidence le chemin de l’aristocratisation.

Aujourd’hui, le design commence à retrouver sa vraie place et la grande distribution le réintroduit dans ses inventaires. Le design est en train de trouver sa légitimité auprès d’un plus grand nombre. De nombreux éléments annonciateurs dessinent aujourd’hui les contours d’une nouvelle scène.

La vente par correspondance est une illustration de l’introduction du design dans le grand public. Le recours aux créateurs pour les secteurs de la mode d’abord, puis du mobilier et de l’objet, est entré dans les moeurs : Andrée Putman, Pascal Mourgue, Philippe Starck et aujourd’hui Tom Dixon dessinent des modèles exclusifs pour les 3 Suisses et La Redoute. Signe des temps, La Redoute présente à sa première page, un texte d’une page de Philippe Starck, pour nous parler des objets, plus précisément des Non-Objets pour des non -consommateurs. Tout un programme !

Le design est tout aussi présent dans les nombreuses rubriques « objets » des revues en tout genre, y compris les revues masculines.

Parallèlement, le conditionnement des produits prend avec le développement de la publicité, installée depuis 1974 dans les foyers par la télévision, une importance considérable. Les grands magasins font appel aux créateurs pour rénover leur image, ouvrent des secteurs de mobilier d’avant-garde, d’arts de la table…

Ceci bien sûr ne pourrait se concevoir sans la collaboration des industriels, qui peu à peu, sans doute sous l’influence des médias et des institutions mises en place pour favoriser l’expansion de la pratique du design – notamment les centres de design régionaux -, s’adressent aux professionnels dans une démarche marketing produit/marché.

Certains prennent conscience que le recours au design devient un atout économique, facilitant la baisse des coûts de production et améliorant la qualité perçue du produit. Mais ils sont encore trop peu nombreux.

L’évolution sur les 40 dernières années montre que le design peu à peu s’installe ou se réinstalle dans notre société. Si l’on peut parler de processus de légitimation, c’est au départ grâce au soutien des Pouvoirs publics et à leur nombreuses initiatives et décisions, dépendant d’autorités et de structures diverses.

Mais les encouragements de l’Etat, s’ils ont favorisé la mise en place de filières de l’enseignement et l’émergence de créateurs, n’ont pas encore su convaincre les PME : la plupart d’entre elles investissent encore peu dans l’approche design, et la relation de cause à effet entre création et progrès, innovation et rentabilité est loin de leur paraître évidente. La promotion du design en France est aujourd’hui plus culturelle qu’industrielle.

Faire l’économie du temps pour que soit reconnue et acceptée une discipline dont les frontières sont si mal définies, n’était pas envisageable. Mais faire l’économie de l’écrit paraît tout aussi peu réaliste; or le design semble manquer de théorie. Y a-t-il une pensée design aujourd’hui ?

1. Introduction
2. Design, un objet à définir :
2.1- Définitions empruntées et mots clés
2.2- Analyse sémantique
2.3- Les filières de l’enseignement
2.4- Une profession aux multiples étiquettes
3. Une identité schizophrénique:
3.1- Histoire d’une construction identitaire : du XIXème siècle aux années
3.2- Design et technique :
3.3- Art et design : rencontre, fusion et confusion :
3.4- Chassés-croisés de l’art et du design :
3.5- Deux tendances distinctes : production de produits ou production d’œuvres ?
4. Dédoublement de « personnalité » : quelques symptômes de la névrose :
4.1- Autour de la notion de fonctionnalité :
4.2- Le champ de l’esthétisable
4.3- L’homme et sa relation à l’objet :
4.4- La sémiologie de l’objet
5. Quelles perspectives ? :
5.1- Les processus de légitimation :
5.2- Statut et devenir :
6. Conclusion

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