Appréciation des causes de nullité du contrat en faveur du salarié

Appréciation des causes de nullité du contrat en faveur du salarié

2. Une appréciation en faveur du seul salarié

Ici, sera développée volontairement la seule appréciation du dol du salarié par les juges prud’homaux. En effet, cette notion est fréquemment invoquée par l’employeur à l’appui de sa demande en nullité du contrat de travail. De plus, la conception faite du dol du salarié par la chambre sociale de la Cour de cassation démontre parfaitement l’évolution jurisprudentielle en matière de nullité du contrat portant sur des notions de droit commun des contrats.

Dès lors, le dol du salarié semble se cantonner dans conditions bien précises. On peut même dire que le dol, cause de nullité du contrat de travail, sera d’autant plus retenu que les circonstances de l’espèce démontreront une volonté évidente de tromper l’employeur par la multiplication des réticences et manœuvres210.

209 Art. L.121-6 du Code du travail.

210 Cass. soc. 17 octobre 1995 Simon, op. cit. : le salarié s’était prévalu d’un DESS de Paris I ainsi que d’une formation « Sub de Co » de Bordeaux qu’il n’avait pas en sa possession. La Cour de cassation reconnaît la nullité du contrat de travail pour dol.

CA Versailles 19 septembre 1990 SA Citroën c/ Libert, RJS 1991 n°5 : nullité du contrat de travail pour un dol portant sur la production d’un CV en grande partie mensonger, faux certificat de travail avec la signature contrefaite de l’ancien employeur et durée inexacte des fonctions auprès de celui-ci (éléments déterminants du consentement de l’employeur il va s’en dire).

Ainsi, certains auteurs ont considéré que la chambre sociale de la Cour de cassation optait, en matière de vices du consentement, pour une « conception atrophiante du dol du salarié »211. En effet, ce dernier ne peut se voir reprocher, par exemple, la manœuvre tenant dans la rédaction d’un curriculum vitae et d’une lettre d’embauche par son épouse afin d’échapper à l’analyse graphologique opérée par l’employeur212.

Pourtant, on ne peut pas affirmer que le salarié n’a pas voulu tromper l’employeur en l’espèce puisqu’il a volontairement envoyé des documents non rédigés de sa main en sachant que son futur employeur utilisait l’analyse graphologique comme un moyen de recrutement.

Cependant, la Cour de cassation justifie sa décision considérant qu’il n’est pas démontré que le salarié n’aurait pas été embauché s’il avait rédigé lui-même ces documents. Dès lors, le caractère déterminant du dol n’est pas établi.

On peut critiquer cette conception absolue du caractère déterminant qui exige des juges qu’ils établissent avec certitude que le fait invoqué a été déterminant du consentement de l’employeur 213. De même, une simple mention sur un CV qui pourtant conduit l’employeur à se tromper sur l’expérience professionnelle dont se prévaut un salarié est qualifiée par la Cour de cassation de « mention imprécise et susceptible d’une interprétation erronée » non constitutive d’une manœuvre frauduleuse (on imagine pourtant mal comment la transformation d’un stage en emploi réel peut être le pur fruit du hasard) 214 !!!

Mais peut-on conclure à la disparition totale du dol du salarié dans le régime de la nullité du contrat de travail 215? En effet, l’arrêt Minaud du 30 mars 1999 apparaît comme un véritable arrêt de principe en matière de dol du salarié216.

La chambre sociale de la Cour de cassation considère ainsi, sous le visa des articles 1116 du Code civil, L.122-14-3 et L.122-14-4 du Code du travail, que « la fourniture de renseignements inexacts par le salarié lors de l’embauche n’est un manquement à l’obligation de loyauté susceptible d’entraîner la nullité du contrat que si elle constitue un dol ».

Reposant son raisonnement sur la notion de bonne foi, la Cour de cassation semble renforcer ses exigences en matière de preuve de l’élément intentionnel du dol. Elle s’écarte ainsi de ce qui est admis par le droit commun en consacrant ce que monsieur MOULY nomme « un véritable droit au mensonge au bénéfice du salarié »217. Dès lors, comme l’affirme monsieur MESTRE, « le dol, s’agissant du salarié, n’est plus la sanction juridique de la notion morale de mauvaise foi »218.

211 J.MOULY, note sous cass. soc. 30 mars 1999, arrêt n°1499P, JCP G 1999, II, 10195 et JCP E 2000, II, pp.1236-1240.

212 Cass. soc. 5 octobre 1994, BC V n°256 ; Dr. Soc. 1994, p.973, obs. E.Ray ; D.1995, p.282, note P.MOZAS; Les Petites Affiches 1995, n°101, p.16, note K.ADOM.

213 J.MOULY, note sous cass. soc. 30 mars 1999,op. cit.

214 Cass. soc. 16 février 1999, op. cit.

215 Pour un avis en ce sens, voir P.-Y.GAUTIER in RTD Civ 1995 p.143.

216 Cass. soc. 30 mars 1999, op. cit.

Certes, s’agissant du dol, « la Cour de cassation laisse plutôt perplexe celui qui cherche à définir positivement en quoi celui-ci peut consister »219. D’ailleurs la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation se contente d’appuyer ses décisions sur les notions de bonne foi et surtout d’obligation de loyauté du salarié. Cependant, celle-ci souligner, dans certaines espèces que ce vice peut être retenu même si c’est dans des circonstances apparemment très restrictives220.

Dès lors, monsieur MOULY221 considère que ces arrêts tiennent à l’objet du mensonge. Ainsi, le dol ne pourrait être retenu lorsque les manœuvres portent sur les emplois précédemment occupés ou le passé professionnel du salarié222 mais il le serait dès lors que ces manœuvres portent sur les diplômes et la formation223. La différence avec le droit commun des contrats consisterait alors, selon cet auteur, dans une appréciation in abstracto du caractère déterminant du dol, voie dans laquelle se dirigerait le chambre sociale.

Mais faut-il aller si loin dans l’appréciation du régime de la nullité pour vices du consentement appliquée au seul contrat de travail ? L’affirmation de monsieur MOULY est en effet critiquable sur deux points :

Tout d’abord, le dol ne s’arrête pas aux manœuvres quant aux capacités professionnelles du salarié. L’action en nullité de l’employeur peut en effet se fonder également sur des éléments de la vie personnelle du salarié. Comme nous l’avons vu, les éléments de la vie privée du salarié ne peuvent être à l’origine de la rupture du contrat de travail au motif subséquent que le contrat est nul pour dol.

Mais à ce principe existe une exception que la jurisprudence de la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises : les renseignements demandés par l’employeur au salarié doivent avoir un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé224. D’ailleurs, ces termes ont été repris par l’article L.121-6 du Code du travail issu de la loi n°92-1446 du 31 décembre 1992 et concernant les dispositions relatives au recrutement et aux libertés individuelles.

Dès lors, des éléments de la vie personnelle du salarié peuvent être déterminants du consentement de l’employeur à l’embauche du salarié et présentés un lien nécessaire et direct avec l’emploi proposé. Leur omission volontaire de la part du salarié constituerait donc une cause de nullité du contrat de travail qu’il ne faut alors pas oublier dans l’étude du régime de la nullité du contrat de travail.

De plus, monsieur MOULY considère que l’appréciation par la jurisprudence sociale des vices du consentement dont le salarié est à l’origine, évolue vers une appréciation in abstracto des éléments constitutifs de vices tels que le dol. Or, c’est bien à une appréciation in concreto des faits de chaque espèce que l’on peut conclure.

En effet, certaines espèces révèlent l’absence, selon les juges, des éléments constitutifs du dol alors que les faits semblent prouver le contraire. Dès lors, les juges semblent favoriser la situation du salarié en prenant en compte, par exemple, la date de l’embauche de celui-ci et la date d’introduction d’une demande en nullité du contrat de travail pour dol voire même les capacités professionnelles du salarié depuis longtemps démontrées en l’absence de diplômes requis pour cet emploi selon l’employeur225.

Par ailleurs, monsieur LOISEAU constate, et il semble qu’il faille ici l’approuver, que « la jurisprudence exige que la qualité défaillante ou indésirable (du salarié) soit réellement de nature à affecter l’exécution de la prestation de travail »226.

217 J.MOULY, note sous cass. soc. 30 mars 1999,op. cit.

218 J.MESTRE, RTD Civ 1995 p.95.

219 J.MOULY, note sous cass. soc. 30 mars 1999,op. cit.

220 Cass. soc. 17 octobre 1995 Simon, op. cit.

221 J.MOULY, note sous cass. soc. 30 mars 1999,op. cit.

222 Cass. soc. 16 février et 30 mars 1999, op. cit.

223 Cass. soc. 17 octobre 1995 Simon, op. cit

Si interprétation « travailliste » des causes de nullité du contrat de travail il y a, concernant les éléments issus du droit commun des contrats, il faut reconnaître que la chambre sociale de la Cour de cassation en la matière opère une réelle appréciation des faits de chaque espèce qui lui est présentée.

Dès lors, l’ensemble des décisions concernant les vices du consentement démontre le caractère relativement favorable des décisions au profit du seul salarié, considéré comme la partie faible au contrat. Cependant, ces décisions peuvent s’expliquer par l’ensemble des informations dont dispose l’employeur pour connaître tout ce qu’il y a d’important à propos de son futur salarié.

Ainsi, ce dernier apparaît le plus souvent comme le seul fautif, faute de ne pas s’être renseigné sur les éléments pourtant déterminants de son consentement, faute d’avoir posé les questions appropriées auxquelles le salarié ne peut que répondre de bonne foi227.

Dès lors, la protection de la situation du salarié semble être la ligne directrice des décisions de cette juridiction tout au moins en ce qui concerne les causes de nullité de droit commun.

224 Cf. cass. soc. 17 octobre 1973 et 25 avril 1990, op. cit.

225 Cf. pour exemple : cass. soc. 5 octobre 1994, Les Petites Affiches du 23 août 1995 n°101, p.16 avec les observations de monsieur ADOM (K.), Le dol dans la formation du contrat de travail.

226 G.LOISEAU, op. cit., p.598.

227 Art. l21-6 du Code du travail in fine.

Cependant, cette doctrine de la chambre sociale est-elle la même quand est mise en avant une cause de nullité prévue non par le droit commun des contrats, mais cette fois par le droit du travail ?

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La nullité du contrat de travail
Université 🏫: Université De Lille 2 - Faculté des sciences politiques, juridiques et sociales - Droit et Santé
Auteur·trice·s 🎓:
Séverine Dhennin

Séverine Dhennin
Année de soutenance 📅: Mémoire préparé dans le cadre du DEA droit social mention droit du travail - 2000-2013
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