La représentation des risques et la gestion des risques sanitaires

La représentation des risques
De nombreux acteurs concernés par la gestion des risques avancent l’idée selon laquelle les individus ne réagissent pas correctement face à un risque parce qu’ils sont mal informés. Dans cette perspective, les politiques publiques ont recours à des campagnes de prévention ou de sensibilisation, l’information apparaissant comme un élément indispensable à la gestion des risques. Cette démarche, nous l’avons vu précédemment, a été critiquée dès les années 60. En effet, si les campagnes d’information ne sont pas complètement superflues, l’apport des travaux sur la perception des risques en a montré les limites, le lien entre information et comportement face à un risque se révélant complexe. Aussi, avec l’apport des sciences sociales, les études sur le risque se sont-elles peu à peu tournées vers une approche théorique du risque, non plus en termes de perception, mais en termes de représentation80. Dans cette perspective, le risque est analysé comme une construction réalisée à partir de symboles, d’une réalité sociale et d’un savoir social81.
Par exemple, les recherches au sein de la Social Amplification of Risk Framework visent à comprendre la surestimation de certains risques et la sous-estimation d’autres, en prenant en considération à la fois les aspects relatifs à la perception du risque et ceux liés au champ communicationnel autour du risque. Ces travaux montrent que la perception du risque s’amplifie et s’atténue en fonction de la couverture médiatique. Toutefois, pour que l’intérêt par rapport au risque soit éveillé, il faut plusieurs facteurs présents et combinés: par exemple des divergences exprimées dans le débat suscité par le risque, une dramatisation de la situation avec une mise en avant des différents scénarios possibles, etc.82 Remarquons à cet égard qu’il en est ainsi des risques liés aux champs électromagnétiques, les médias répercutant à la fois les divergences scientifiques et la question des possibles dangers.

78 OMS, Instauration d’un dialogue sur les risques dus aux champs électromagnétiques, op. cit., Titre d’un chapitre de sa publication.
79 OMS, Champs électromagnétiques et santé publique. Hypersensibilité électromagnétique, op. cit..
80 Joffe Hélène, « De la perception à la représentation du risque: le rôle des médias », in Hermès, n° 41, 2005, pp. 121-129.
81 Ibid., p. 124.

Nous savons également depuis longtemps en sciences de l’information et de la communication que les lecteurs, les auditeurs ou les téléspectateurs n’absorbent pas passivement les informations qu’ils reçoivent, mais qu’ils opèrent des sélections et qu’ils sont actifs dans le processus de « réception »83. Ainsi, Jenny Kitzinger constate-t-elle dans son étude sur la réaction des britanniques à la couverture médiatique du sida, que les individus utilisent ce qu’ils savent déjà pour comprendre les informations données par les médias. Ce savoir préalable les amène à renforcer, à s’opposer ou à reconstruire les contenus qu’ils reçoivent84. Soulignons par ailleurs que les préoccupations de la population comportent des questions qui ne sont pas forcément relayées par les médias85. A cet égard, le problème concernant l’hypersensibilité électromagnétique semble très peu présent dans les émissions proposées notamment par les chaînes d’information nationales. En effet, si nous consultons le catalogue des chaînes de télévision hertzienne de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), nous ne trouvons que cinq occurrences correspondant aux émissions diffusées sur ce sujet entre 1995 et 2010. La question de la médiatisation de l’hypersensibilité électromagnétique est importante, nous l’aborderons plus loin.
Nous ne voudrions pas finir ce rapide aperçu sans mentionner les travaux de l’anthropologue Mary Douglas, portant sur le rôle de la culture dans la fabrication de l’ordre social. Dans sa théorie culturelle du risque, l’auteur montre qu’un groupe social, dans sa capacité à imposer des priorités en matière de risque, cherche à promouvoir des valeurs (égalité, ordre, individualité, collectivité, etc.) et, en l’occurrence, une certaine vision du monde, un certain modèle de société86. Pour cette anthropologue britannique, aucun risque n’est strictement subi, la dénonciation d’un risque que nous avons le sentiment de subir équivaudrait selon elle à la dénonciation des inégalités économiques et sociales. Cette proposition renvoie par exemple au débat public sur les risques des OGM: alors que les instances de régulation se limitaient aux risques environnementaux ou sanitaires, les acteurs sociaux (paysans, associations…) mentionnaient aussi des risques en termes de valeurs, comme la liberté de choix, l’indépendance des paysans, etc.87 Dans cette perspective, la mobilisation de la notion de risque porte une dimension sociopolitique. A cet égard, l’occupation de la forêt de Saoû, mentionnée précédemment, illustre bien cette dimension. En effet, les électrosensibles sollicitent le droit de vivre « comme tout le monde », c’est-à-dire de pouvoir circuler librement dans certains endroits, sans s’exposer à des risques pour leur santé. Aussi peut-on rajouter qu’avec les différentes crises sanitaires survenues ces dernières années, comme celles du sida ou de l’ESB, le « risque » pour les autorités devient aussi un risque d’ordre politique, puisque susceptible de donner lieu à des polémiques ou à des scandales.

82 Joffe Hélène, « De la perception à la représentation du risque: le rôle des médias », op. cit., p. 123.
83 Cf. par exemple les travaux des Cultural Studies britanniques, notamment l’article de Hall Stuart, « Codage/décodage », Réseaux: Les théories de la réception, n°68, 1994 (1973); ou ceux des Uses and Gratifications.
84 Joffe Hélène, « De la perception à la représentation du risque: le rôle des médias », op. cit., p. 123.
85 Ibid., p. 125.
86 Perreti-Watel Patrick, « Risque et innovation: un point de vue sociologique », in Cahiers d’économie de l’innovation, n°18, 2003, p. 69.

Dans ce chapitre, nous avons montré combien la question des champs électromagnétiques abordée sous l’angle du risque s’avère complexe. En effet, la gestion traditionnelle des risques, basée sur des mesures et des calculs probabilistes, n’est plus adaptée aux nouveaux risques collectifs, ceux-ci échappant à l’opération de « mise en risque ». Aussi, cette situation met-elle en évidence la difficulté à définir la notion de risque. Par conséquent, la mobilisation de cette notion par les différents acteurs concernés produit des discours hétérogènes, sous-tendus par une diversité d’enjeux. A cet égard, l’OMS considère qu’il n’existe pas actuellement un risque d’hypersensibilité électromagnétique. Par conséquent, les électrosensibles font référence à une notion de risque qui n’est pas identifiée comme telle par les autorités publiques. Cet écart d’appréciation du risque n’est pas sans conséquences d’un point de vue communicationnel. En effet, comment les électrosensibles peuvent-ils parler d’un risque qui n’existe pas officiellement ? Comment peuvent-ils susciter « l’attention publique » au sujet de l’hypersensibilité électromagnétique alors même que cette catégorie n’existe pas scientifiquement ? Dès lors, la question de l’hypersensibilité électromagnétique fait l’objet d’une lutte de définition des risques au sujet de laquelle différents acteurs sont engagés. C’est ce que nous proposons d’analyser à présent.

87 Bordogna Petriccione Barbara, « A chaque acteur sa propre appréciation des risques OGM », in Risques technologiques et débat démocratique, Problèmes politiques et sociaux, n° 941, La documentation française, Paris, Octobre 2007, pp. 29-33.

Lire le mémoire complet ==> L’activité de communication autour de l’hypersensibilité électromagnétique
Mémoire de master 2 recherche en Sciences de l’information et de la communication
Université Stendhal Grenoble 3 – Institut de la Communication et des Médias

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top