L’accompagnateur : gestionnaire, professeur de musique… ?

L’accompagnateur : gestionnaire, professeur de musique… ?

C/ Débats autour du métier d’accompagnateur

1. La légitimation des fonctions de l’accompagnateur

Le milieu professionnel des musiques amplifiées se questionne actuellement sur la pertinence de certaines qualifications demandées aux accompagnateurs. Je poserai trois questions.

L’accompagnateur doit-il être un gestionnaire ?

Nous avons vu lors du décryptage de l’accompagnateur-type qu’il doit avoir des notions de gestionnaire.

Il doit gérer son activité, mais aussi conseiller ses artistes sur divers thèmes. Le musicien en développement n’a pas de structure pour réaliser toutes les fonctions organisationnelles de la vie du groupe.

Les lieux de vies musicales n’ont pas vocation à remplacer ces structures professionnelles, mais ont les savoirs pour indiquer le chemin à suivre aux groupes.

L’accompagnement des groupes en voie de professionnalisation devrait donc aussi porter sur des apports administratifs, communicatifs, comptables, légaux.

Pourtant, Fabrice Parmentier ne définit pas cette fonction comme primordiale pour l’accompagnateur. Il tient à appuyer son intervention sur des notions relationnelles, artistiques. La relation humaine, l’échange et le partage font pour lui progresser les groupes amateurs.

La démarche d’information scientifique doit être inhérente aux musiciens.

Pour lui, « le fait de s’intéresser à ça (…) donne forcément une méthode de travail au groupe. Et ils sont obligés de passer par cette méthode de travail : s’intéresser, s’ouvrir.
Dans ce sens là, c’est capital.
Mais on n’a pas les moyens humains pour le faire »128.

Fabrice estime donc que cette tache n’incombe pas directement à l’accompagnateur. Par là, il pense que le métier d’accompagnateur doit principalement porter sur l’artistique, la scène, la création.

Or aujourd’hui, avec le fossé qui se creuse entre amateur et musicien professionnel, la gestion d’un groupe n’influe non pas sur leur création, mais sur l’évolution globale du projet du groupe.

Ne pas leur proposer des notions de gestion revient à biaiser leur progression sur la pyramide de notoriété.

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L’accompagnateur doit-il avoir des compétences d’animateur ?

Le projet de l’accompagnateur est d’enrichir les projets des groupes dont il s’occupe. Il doit créer une dynamique autour de ces artistes amateurs et en développement sur un territoire. Mais cette qualité est confondue avec celle d’animateur.

Pendant longtemps, les problèmes sociaux ont été confiés au domaine culturel.

La lutte contre l’exclusion a semblé pendant un temps pouvoir être résolue par la culture. Le secteur des musiques amplifiées, par leur implication dans la musique rap, s’est vu responsabilisé de ce problème sociétal.

Les lieux de vies musicales ont du faire de l’animation avec les musiques urbaines, dans le but de déculpabiliser la société. Organiser des ateliers hip-hop, enregistrer des compilations d’artistes amateurs, n’a pas servi à résoudre ce problème social et non culturel.

« C’est parce que les rappeurs sont confrontés à des problèmes quotidiens qu’ils écrivent des textes, ce n’est pas seulement pour «faire de la musique».
Répondre à cette attente en faisant enregistrer une cassette, c’est annuler la pertinence du problème décrit
»129.

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L’accompagnateur doit soutenir les projets artistiques, quelque soit le genre musical. La notion d’animation est en dehors de son champ d’action. La relation à créer se trouve entre un professionnel du secteur amplifié et un artiste de rap, et non entre un animateur et un «jeune en difficulté».

L’accompagnateur doit-il être professeur de musique ?

Nous avons vu que le métier d’accompagnateur est repris par les institutions publiques. Les fonctionnaires des conservatoires doivent avant tout avoir de grandes qualités d’instrumentiste.

Le cursus est long et la compétition est rude.

Si ils « sont auréolés de l’idéologie du don, de la vocation et de la passion artistique »130, Pauline Adenot nous explique que monde les musiciens d’orchestres (et plus généralement les musiciens formés par les CNSMD) subissent un apprentissage intensif. Leur carrière est marquée par la compétition.

La formation organisée par Jazz à Tours consacre une grande partie du cursus à l’enseignement des musiques classiques et jazz. De ce point de vue, savoir construire un morceau, pouvoir analyser une partition, être un bon instrumentiste sont des qualités indéniables.

Il faut justifier d’une solide expérience de musicien.

La formation Jazz à Tours a la prétention de vouloir « apporter les éléments sémantiques, théoriques, techniques et de culture musicale permettant aux encadrants de répétition de communiquer efficacement avec les musiciens ».

Or la plupart des musiciens amateurs et en développement rencontrés dans les lieux de vies musicales n’ont pas de formation musicale. Il ont appris par eux-même. Ils ne connaissent pas le solfège ni le vocabulaire spécifique aux musiques institutionnalisées.

Comment pourrait-on améliorer la communication et l’apprentissage d’un groupe en utilisant des outils qui lui sont étrangers ?

Pourquoi vouloir lui inculquer des notions issues de l’enseignement traditionnel lorsque sa pratique s’est forgée sur l’autodidactisme ?

« À la différence du musicien de jazz qui doit accumuler systématiquement dans la technique toute l’histoire antérieure de sa musique, le rocker s’installe dans la musique rock du moment.
Plus tard, il peut se tourner vers l’histoire du rock ou d’autres musiques pour améliorer ses compétences.
Le standard n’a pas la même place dans le jazz et dans le rock car celui-ci est par nature le lieu où l’on doit marquer son originalité en temps que créateur : devenir un vrai groupe, c’est signer ses propres compositions »131.

L'accompagnateur : gestionnaire, professeur de musique... ?

129 Maryse Souchard, La différence rap, Presses Universitaires de Rennes, 1996, p257.

130 Pauline Adenot, Les musiciens d’orchestre symphonique, l’Harmattan, 2008.

En se référant à la notion de «musicos désenchanté», on comprend mieux l’enjeu de former des professeurs de musique. Nombreux sont ceux qui ont recours à cette activité pour vivre de la musique.

Les pratiques amateurs aussi ont dévoilé une nouvelle économie.

L’enseignement d’un instrument en fait partie. Exiger des accompagnateurs qu’ils soient professeurs de musique permet de ré-insérer ces musicos désenchantés dans le monde économique.

Rémi Breton explique que le milieu des musiques légitimes voudrait « que ce soit un impératif d’être prof de musique pour pouvoir réaliser ce métier alors que c’est un non-sens total »132.

Ce qu’il propose, « c’est qu’au lieu de penser qu’il y a de impératifs pour créer ce métier (d’accompagnateur), qui vont être tel diplôme, telle mission, ce devrait être plutôt comme un examen. (Le postulant devra) passer sept épreuves.
Sur une, (il va se) ramasser. Mais les six autres vont (lui) permettre de l’avoir. Et ce sera peut-être »prof de musique» (son échec) »133.

Cette proposition semble plus correspondre aux parcours éclectiques des accompagnateurs actuels.

Elle laisse la porte ouverte aux acteurs culturels en place dans le secteur des musiques amplifiées qui, malgré un parcours artistique, ne sont pas des experts de l’enseignement musical.

Fabrice est dans cette situation : « Je n’ai aucun diplôme, aucune formation, rien de tout ça. On me demande un CV classique : j’ai le permis de pêche, le contrôle technique de ma bagnole, enfin j’ai rien quoi ! Après, c’est plus mes expériences, les gens que j’ai côtoyés qui m’ont appris.
Mais j’ai un profil artistique. C’est ça que je sais faire et je sais rien faire d’autre. (…) C’est (cette expérience personnelle) qui fait que je peux être pertinent »134.

131 Patrick Mignon, Existe-t-il une «culture rock» ?, Esprit n°193, 1993, p144.

132 Entretien avec Rémi Breton, p148.

133 Ibid.

2. Le mouton à cinq pattes

Il me semblait enfin important de critiquer la notion d’accompagnateur idéal. Les compétences décrites sont nombreuses et très vastes.

Trouver un employé qui recouperait toutes ces connaissances et qualités humaines paraît impossible pour une structure de musiques amplifiées. L’homme multi-compétent n’existe pas.

C’est pourquoi le fonctionnement de la plupart de ces équipements est basé sur un travail en commun, un partage des méthodes et des savoirs.

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L’accompagnateur doit pouvoir s’appuyer sur les connaissances de ses collègues en interne, ou sur celles d’intervenants externes. Reprenons quelques points sur lesquels l’accompagnateur peut s’aider de son entourage professionnel :

La gestion

Pour la gestion générale du projet d’accompagnement des groupes, l’employé peut s’appuyer sur des collègues dont c’est la responsabilité au sein de sa structure.

En ce qui concerne la transmission de savoirs aux groupes, il peut faire appel à une personne chargée des ressources scientifiques. Il peut aussi organiser des stages courts sur des thèmes de gestion.

La communication

En interne, l’accompagnateur peut travailler une fois encore avec le chargé de communication de la structure. Il peut aussi le mettre en relation avec les groupes qui nécessitent des conseils pour leur promotion.

Enfin, il peut faire appel à une entreprise externe privée qui fournira un service payant au groupe, par l’intermédiaire de l’accompagnateur.

L’entreprise de communication peut être amenée à créer une identité visuelle au groupe, un plan de communication pour plus de visibilité, des outils de promotions …

La technique

Nous avons vu que le personnel technique de l’association Mars est amené à participer aux projets des groupes éclusiers.

Si un lieu ne dispose pas de personnel attaché à la technique, le réseau de connaissances permet à un accompagnateur de mettre en relation les groupes avec des experts en techniques du spectacle, des intermittents.

Cette liste n’est pas exhaustive.

Elle a pour but de présenter la diversité des échanges possibles entre professionnels des musiques amplifiées pour assister un projet artistique. L’union des acteurs sur un territoire entraîne une accumulation des compétences.

Le métier d’accompagnateur d’artistes

L’homme multi-compétent est une image utopique visant à résumer tous les points sur lesquels un accompagnateur peut intervenir dans une carrière amplifiée.

Un bon accompagnateur saura s’entourer d’un réseau professionnel fort, tout en s’appuyant sur son parcours et son investissement dans le domaine des musiques amplifiées.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le métier d’accompagnateur dans la carrière musicale amplifiée
Université 🏫: Université Lumière Lyon 2 - Maîtrise de Sociologie
Auteur·trice·s 🎓:
Clotilde Bernier

Clotilde Bernier
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master 2 Anthropologie spécialité Métiers des arts et de la Culture - 2007/2019
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