La forme de prêt de main-d’œuvre – Embauche et Accès à l’emploi

§2 – La forme de cette activité

Après avoir déterminé pourquoi les employeurs font appel au prêt de main d’œuvre nous allons examiner comment est opéré le placement. Cette partie de l’étude pose quelques difficultés, la première étant simple le travail à temps partagé n’a pas encore bénéficié de ses décrets d’application il n’est donc pas encore appliqué. On ne peut donc pas savoir comment les entreprises de travail à temps partagé assurent leur mission de placement des salariés, cette forme de prêt de main-d’œuvre ne sera pas étudiée à ce titre.
De plus actions menées dans le but du placement des salariés ne sont que peu étudiées en droit, c’est par des biais différents que l’on trouve des éléments de réponse. La partie qui suit ne sera que partiellement complète, ne reflétant qu’une partie de la réalité, mais pour cerner un maximum les méthodes employées au placement certains éléments peuvent êtres utilisés. Quelques indicateurs textuels peuvent nous aider, les recherches réalisées par certains auteurs, entretiens auprès de professionnels (ceux qui ont pu ou voulu répondre) et enfin la méthode de la comparaison avec l’activité de placement de l’Anpe.
Par cette méthode on peut partiellement comprendre quelles relations entretiennent les employeurs avec les utilisateurs aux fins de placement (A.), et déceler quelques outils à la réalisation du placement (B.).

A – Les relations employeur utilisateurs

Si l’employeur veut pouvoir placer ses salariés il doit convaincre les utilisateurs de la qualité de ces derniers ou encore de l’apport de cette opération. Mais leurs rapports s’organisent différemment selon la forme de prêt de main-d’œuvre concernée.
Le groupement d’employeurs déterminer les besoins de chaque membre du groupement et agir en conséquence, il embauchera un salarié que si les membres du groupement en ont besoin. Les relations qu’il entretien avec les utilisateurs ne se jouent pas sur la faculté d’accueillir tel salarié à tel poste. L’organisation du groupement étant fondée sur les besoins réels des membres, le groupement n’a pas à convaincre de la nécessité du placement. Cette forme originale de prêt de main-d’œuvre n’engendre pas de relations employeurs clients mais association et membre de cette association.
Seconde forme de prêt de main-d’œuvre, seconde organisation des rapports totalement contraire : le portage salarial et l’absence presque complète de relations. Dans cette situation c’est le porté et non l’entreprise de portage qui négocie les missions, leur durée, leurs conditions d’exécution. La société de portage n’a donc aucune relation avec les entreprises clients au titre du placement pour la détermination des missions, la preuve de la qualité du salarié ou encore la nécessité de l’opération. L’unique élément qu’apporte la société de portage est son existence, le porté pourra plus facilement convaincre un employeur de lui confier une mission si il sait qu’une société de portage existe. Il n’aura pas à embaucher le salarié, même en CDD, le temps de l’accomplissement de la mission. Ici ce n’est pas l’employeur qui exécute à proprement parler l’activité de placement.
Reste une dernière forme de relations : les relations commerciales, celles que lient l’entreprise de travail temporaire et les utilisateurs potentiels. A ce stade nous allons utiliser la méthode de la comparaison. Cela permettra de mesurer avec plus de précision l’impact de l’activité de placement sur la création du lien d’emploi. L’Anpe met en relation des offres et demandes d’emploi, les agences d’intérim elles mettent en relation des demandes et offres de contrat de mission. L’objet n’est pas exactement le même mais la comparaison des techniques de mise en relation permettra de les éclairer l’une et l’autre. Pour mener à bien cette comparaison des entretiens basés sur le même type de questions ont été menés auprès d’un responsable d’agence d’intérim et d’un responsable au sein de l’administration de l’Anpe1. L’agence Kelly Services de Lille est une agence spécialisée dans l’intérim dit « qualifié », elle prospecte ses éventuels clients en ventant cette caractéristique première. C’est une relation commerciale de clientèle qui s’instaure, Kelly Services essaye d’instaurer une relation de confiance en gardant une forte présence chez ses clients et en demandant à chaque fin de mission une évaluation sur la qualité de la réalisation de la mission par l’intérimaire. La relation qui s’instaure permet à l’ETT de tisser un carnet de clientèle et de placer plus facilement ses salariés. Pour l’Anpe, le plan de cohésion sociale a supprimé l’obligation de dépôt des offres d’emploi à l’Anpe. Mais à la différence des autres administrations du travail les entreprises sont considérées différemment à l’Anpe. L’Anpe doit prospecter les entreprises et savoir où il existe des possibilités d’emploi. Une relation client, prestataire de services et non administration, administrés est instaurée. Le terme « clients » est employé à l’égard des entreprises (ce qui a d’ailleurs choqué M. Drolez a son arrivée dans le service, il était auparavant dans les services de l’inspection du travail), une relation commerciale basée sur la confiance est instaurée. Sur le bassin de Lille, toutes les entreprises ne sont pas visitées, elles sont trop nombreuses et le personnel manque, on étudie alors leur taille et leur potentialité d’embauche pour sélectionner les entreprises à visiter. Les relations tissées avec les entreprises semblent similaires, cependant l’Anpe ne propose pas les mêmes choses qu’une agence d’intérim. Une relation plus régulière s’instaure entre l’ETT et ses clients qui sont moins nombreux (donc l’ETT est plus disponible pour eux), et feront appel plus régulièrement aux missions d’intérim pour une tâche ponctuelle à accomplir qu’à un salarié pour l’employer.
Les types de relations avec les utilisateurs sont diverses, mais elles ont toutes le même objectif : réussir à placer le salarié. La société de portage elle-même, par son existence, y concoure. L’étude des relations entretenues avec les utilisateurs n’est que partielle, nous ne savons pas précisément quelles relations tisse le porté avec les entreprises, et les constatations faites au titre des groupements d’employeurs ne sont pas tirées d’une recherche de terrain. Mais pour ce qui a pu être constaté, on sait que l’employeur aide au placement du salarié. L’aide au placement renforce la création du lien d’emploi, le salarié accédera plus facilement à l’emploi. Par la suite nous allons adopter une approche différente ; par la comparaison des outils utilisés par l’ETT et l’Anpe au placement des salariés, nous essayerons de comprendre si l’aide au placement proposée par l’ETT change la donne dans la création du lien d’emploi. Autrement dit le salarié a-t-il les mêmes capacités à accéder à l’emploi par l’intermédiaire de l’Anpe que par l’intermédiaire d’une ETT. La présence d’un intermédiaire (l’ETT dans l’exemple présent) renforce-t-elle la création du lien d’emploi ?

B – Les outils au placement

L’Anpe est un établissement public institué par l’ordonnance du 13 juillet 1967, c’est un service public centré sur une mission principale : la mise en relation d’offres et de demandes d’emploi. Bénéficiaire, à ses débuts, du monopole du placement en France, elle a vu ce dernier, au fil des années, s’étioler. L’ordonnance du 20 décembre 19861 vient en premier lieu réorganiser le monopole public du placement, en adéquation avec les lois de décentralisation.
La volonté politique affichée fut de multiplier le nombre d’intervenants sur le marché du placement (les communes par exemple et autres collectivités territoriales), mais alors le placement, au sens strict reste toujours du domaine du service public. La loi du 18 janvier 20051 franchit une étape supplémentaire en supprimant le monopole public de placement des travailleurs et ouvre l’activité de placement, au sens strict, à des opérateurs privés. L’ouverture de l’activité de placement à des opérateurs privés signifie-t-elle l’échec de l’action de l’Anpe ? Il ne serait alors pas forcément nécessaire de comparer Anpe et agences d’intérim, si la première est en échec et les seconde non (une activité commerciale qui échoue est vouée à disparaître or ce n’est pas le cas) c’est sûrement que la première aide moins à la création du lien d’emploi. Mais le constat d’échec n’est pas la raison de ce bouleversement législatif, la libéralisation de « l’exercice de l’activité de placement par le recours à des organismes privés ; le renforcement de la concurrence doit favoriser l’émergence des bonnes pratiques et dynamiser le service public de l’emploi »2 ; la comparaison a encore toue sa place et son opportunité.
La façon dont est menée l’activité de placement doit nous renseigner sur la qualité de celle-ci. Chez Kelly Services chaque directeur d’agence défini sa politique commerciale avec le directeur régional, nous n’avons pu savoir exactement en quoi consistait la politique commerciale de l’agence Kelly Services de Lille. De plus il existe une feuille de route que doivent suivre chaque directeur d’agence de cette entreprise, son contenu ne nous a pas été révélé. Leur action est donc planifiée et encadrée par plusieurs documents. L’Anpe elle aussi a une « feuille de route » lui dictant la démarche à suivre : les contrats de progrès Etat-Anpe (CPEA ci après). Les CPEA définissent les orientations stratégiques de l’Anpe sur une période donnée. Quatre de ces contrats ont été signés aujourd’hui, ils couvrent différentes périodes. Le premier signé le 18 juillet 1990, pour la période 1990-1993, comportait deux axes d’actions : renforcer la qualité des services fournis par l’Anpe et se doter d’instruments pour lutter contre la sélectivité sur le marché de l’emploi. En 1993, un tournant s’opère dans la philosophie d’action de l’Anpe avec l’arrivée à la direction de M. Bon. Le second CPEA est conclu le 5 juillet 1994, pour la période 1994-1998, les deux axes sont : privilégier une démarche plus commerciale et professionnelle vis-à-vis des entreprises et collecter le plus d’offres possibles. Mais cette stratégie qui privilégie le chiffre a connu des dérives dans certaines agences où le chiffre était préféré à la qualité du service. Le troisième CPEA fut signé le 28 janvier 1999 pour la période 1999-20031. Les axes sont alors plus nombreux, ils couvrent : « l’insertion professionnelle des jeunes » comme priorité, « la lutte contre l’exclusion », « la promotion de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes », continuer le renforcement de la qualité des services rendus aux entreprises et aux demandeurs d’emploi, la prévention et la diminution du chômage de longue durée. Des populations cibles sont déterminées et on rappelle que l’Anpe doit toujours augmenter la qualité de ses services. Le quatrième CPEA a été signé le 23 juin 2006, pour la période 2006-2010. Il s’articule autour de trois axes : « un service public centré sur sa mission de placement pour tous », « un service plus personnalisé et plus efficace pour les demandeurs d’emploi et pour les entre prises » et enfin « une organisation et des moyens au service de la mission de placement »2. M. Drolez considère que les CPEA ont tout leur intérêt car c’est une feuille de route et à long terme ; l’Etat donne une vision à cinq ans de ce qu’il attend et de ce qu’il donne pour cela (chaque CPEA contient également les moyens donnés par l’Etat à l’action de l’Anpe). Ce document contient les objectifs et les moyens, de plus il a une certaine durée (il ne change pas à chaque changement de gouvernant), enfin ce document est un contrat : il est négocié et pas imposé. Anpe et ETT disposent donc chacun d’une feuille de route les renseignant sur la démarche à suivre, le renseignement des moyens disponibles, des attentes ou encore de certaines conditions à remplir.
L’Anpe dispose d’un fichier contenant les demandeurs d’emploi, elle dispose d’un outil considérable pour pouvoir puiser de la main-d’œuvre. Kelly Services dispose certes d’un fichier d’intérimaires par agence mais également la possibilité d’aller puiser dans le fichier d’autres agences. L’ETT disposera toujours de moins de salarié à placer, mais ce la peut être un avantage à l’activité de placement : avec moins de salariés à placer on peut leur consacrer plus de temps à les accueillir et à leur trouver un emploi. Le problème de la masse des demandeurs d’emploi, l’Anpe essaye de le régler avec le système de personnalisation : « le parcours autour de la problématique de la personne ». Le quatrième CPEA a même renforcé cette logique, l’offre de service sera différente en fonction du demandeur et de ses besoins. Le demandeur qui présente une large autonomie dans la recherche d’emploi sera reçu en entretien tout les trois mois puis tout les mois en cas de non retour à l’emploi. Un demandeur plus en difficulté sera lui invité à suivre des ateliers d’aide au retour à l’emploi ou des stages de formation et de remise à niveau. La notion de parcours personnalisé est employée, le parcours est déterminé après un premier entretien. De plus le demandeur sera suivit par un référent, il sera toujours reçu par ce dernier. Le quatrième CPEA a généralisé et intensifié la démarche de personnalisation. Mettre l’accent sur les besoins de chacun au retour à l’emploi et la suivit du demandeur par la même personne pallient un minimum aux difficultés rencontrées par le nombre de demandeurs.
Les ETT travaillent selon le principe de la sectorisation, chaque agence gère un secteur d’activité. Chaque salarié d’agence sera dans une agence selon sa connaissance de tel ou tel secteur d’activité, la connaissance de l’emploi ou type d’emploi rend l’activité de placement plus facile, les ETT sont en terrain connu. L’Anpe ne fonctionne pas sur ce principe, enfin presque. Sur le bassin de Lille il est fait appel à la technique de l’expertise sectorielle : des équipes professionnelles de bassin, 18 sur Lille, sont responsables d’un secteur d’activité, il y’a une spécialisation des agences du bassin d’emploi de Lille en fonction du secteur d’activité des entreprises. L’agence rue Jemmapes est, par exemple, spécialisée dans le placement des cadres et demandeurs diplômés dans les études supérieures. Cette technique n’est cependant pas utilisée sur l’ensemble du territoire français. Le caractère généraliste de l’Anpe peut freiner sa connaissance des emplois a pourvoir et donc freiner le placement à l’inverse des ETT.
Un dernier outil est utilisé à l’amélioration de l’activité de placement : le contrôle de la qualité des opérations de placement. L’Anpe comme Kelly Services connaissent ce procédé. A l’Anpe on nomme cela le pilotage par performance, c’est un système d’objectifs fixés aux agences par lequel on mesure ensuite l’efficacité et la productivité de l’Anpe, c’est innovant dans l’administration. Une culture de performance est installée, mais afin d’éviter les dérives passées de chiffre à tout prix ce sont la productivité mais aussi l’efficacité qui sont mesurés à l’aide notamment du ratio « mer/ mer+ » ce qui signifie le nombre de mises en relation effectuées sur le nombre de mises en relations qui aboutissent à une embauche. De plus un audit est réalisé chaque année par un cabinet extérieur. Chez Kelly Services la démarche qualité existe également et à plusieurs niveaux. Mensuellement chaque agence vérifie son taux de placement et la satisfaction des clients, un état des lieux est dressé pour mettre en place des solutions d’amélioration. Chaque année des agences prises au hasard font l’objet d’un audit, suivant une démarche qualité écrite à suivre, enfin le directeur régional effectue lui aussi une enquête qualitative et quantitative. La vérification de la qualité du placement permet de mieux cerner la démarche à suivre pour renforcer ce dernier. On pointe les problèmes et on en recherche les solutions. Si la démarche qualité prend une autre dimension à l’Anpe c’est parce qu cette dernière doit gérer une masse plus large de demandes et d’offres d’emplois.
Les outils utilisés dans le cadre de l’Anpe et des ETT sont les mêmes mais ils sont utilisés différemment, L’Anpe est un service public ne l’oublions pas, même si elle tend à se rapprocher de la technique de placement d’une ETT c’est une administration et non une entreprise commerciale. Il reste que son efficacité reste inférieure à celle d’une ETT de par le public plus nombreux qu’elle a à gérer, de plus l’Anpe « ne peut pas créer de l’emploi, se sont les entreprises qui sont seules à le faire »1, l’accès à l’emploi est rendu difficile par manque d’emplois disponibles.
A l’étude du principe du placement on peut conclure que l’intervention de l’employeur aide à l’accès à l’emploi du salarié. Cette aide prend différentes formes, elle est menée à l’aide de différents outils plus ou moins performants mais elle est bien réelle. Si l’existence de l’employeur mène plus facilement le salarié en situation de travail c’est qu’en principe l’existence d’un tiers à la relation de travail renforce la création du lien d’emploi au stade de l’accès à l’emploi. La conclusion est à ce stade trop hâtive car il reste à vérifier qu’en pratique le lien d’emploi est renforcé.
Lire le mémoire complet ==> (Le lien d’emploi et le tiers dans le cadre du prêt de main d’œuvre)
Mémoire présenté et soutenu en vue de l’obtention du Master Droit « recherche », mention « droit du travail »
Ecole doctorale des sciences juridiques, politique et de gestion (n°74) Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Lille 2, université du droit et de la santé
 

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