1.3 Responsabilité sociale d’entreprise et performance sociale : un recadrage nécessaire
Les approches théoriques de la RSE se traduisent dans la pratique soit par la philanthropie, soit par des mesures de performances sociales se matérialisant parfois par des certifications ou des labellisations dites sociales et/ou environnementales. Or, comme le dit un adage courant, « l’arbre ne doit pas cacher la forêt ».
Le concept de la performance sociale des entreprises a pour origine celui de la responsabilité sociale d’entreprise. Selon D.J. Wood (2004), « c’est un concept relatif à l’implication des entreprises dans la société. Un cadre pour organiser l’information sur ces relations. Une grande idée qui demeure controversée »47. Les définitions de la performance sociale des entreprises sont rares et elles se traduisent souvent par l’intégration des différentes définitions « souvent incompatibles »48 du concept de responsabilité sociale des entreprises ou simplement de la conception de l’auteur de ce qu’est la responsabilité sociale. D. J. Wood (1991) illustre bien d’une part la divergence entre les auteurs, notamment lorsqu’elle confronte sa propre définition à celle d’A. Carroll (1979) (cf. encadré ci-dessous), et d’autre part la contradiction flagrante entre certaine conceptualisation de la performance sociale et la responsabilité sociale.
Encadré 1 : Critique de D.J. Wood sur le modèle de performance sociale des entreprises de Carroll (1979)

(1) Dans son modèle de  performance sociale des entreprises, Carroll (1979) élabore un modèle tridimensionnel, délimité sur un axe par « les attentes économiques, légales, éthiques, et discrétionnaires », sur un [deuxième] axe par les courants philosophiques en management et sur le troisième axe par les contextes sociaux particuliers (Wood et Jones 1995)Modèle tridimentionnel de Carroll (1979) :
Modèle tridimentionnel de Carroll (1979)(2) La performance sociale des entreprises se définit, selon nous (Wood), « comme étant une configuration d’entreprise où les principes de responsabilité sociale, les processus de rétroaction sociale et les résultats observables concourent à tisser les liens entre l’entreprise et la société » (traduction de Wood, 1991). Ces trois dimensions de la performance sociale des entreprises sont interreliées et comprennent des sous-dimensions, incluant les principes structurels au niveau individuel, organisationnel, et institutionnel ; des processus corporatifs d’évaluation de l’environnement, de gestion des parties prenantes, de gestion de problématiques ainsi que les réactions, au niveau des processus de décisions sociétales et ceux des parties prenantes, résultant des activités organisationnelles (Wood et Jones 1995).
Ainsi, selon Wood, le concept de performance sociale de Carroll reflète mieux le fait que le rôle institutionnel des entreprises est de produire richesses et marchandises. La hiérarchie des responsabilités met tant l’accent sur les devoirs économiques des managers qu’il est facile de perdre de vue ceux concernant les parties prenantes, la loi, les normes sociales et la dimension morale. Simplement le modèle de Carroll tend à montrer que n’importe quelle entreprise a le droit d’agir selon ses besoins de survie, sans égard aux conséquences pour les autres.
Son concept à elle (Wood) montre plus clairement que les entreprises font partie d’un réseau de parties prenantes au centre d’une toile de droits et de devoirs, et non pas seulement d’intérêts. Ce modèle dans ses principes structurant la responsabilité sociale, distingue l’individu de l’entreprise, et celle-ci du contexte institutionnel des affaires. Il est alors possible de voir où se situent les conflits et les lignes convergentes à ces niveaux et de les rendre visibles et modifiables. Un manager n’est pas la même chose qu’une entreprise, et celle-ci ne correspond pas à l’ensemble du milieu des affaires. Ces distinctions sont importantes lorsque l’on aborde les questions d’éthique, de responsabilités et de performance sociale des entreprises. Dit simplement, notre idée de responsabilité sociale des entreprises reconnaît l’importance cruciale de l’institution des affaires, mais n’admet aucun droit à la survie pour des entreprises prises individuellement.

Source : D.J. Wood, 2004, « Trois questions sur la performance sociale des entreprises », Etudes d’économie politique, 19, Presses de l’Université du Québec, Québec, pp.65-78.
Pour D.J. Wood, la performance sociale des entreprises est une « grande idée ». La « grande idée » selon cet auteur est que « rien ne dépasse le respect que doivent se montrer les êtres humains pour leurs semblables et pour la terre qu’ils habitent. Rien – ni même la recherche de la richesse ou de l’excédent des bénéfices sur les coûts ou la présence de règles et d’attentes sociales – rien n’est plus important que la dignité et le développement de l’être humain et l’attention à son environnement »49. Vue sous cet angle de « grande idée », qui signifie que la performance sociale doit être solidement ancrée dans une posture morale, elle adopte plutôt la conception de Y.C. Kang (1995) qui s’inspirant de son modèle a clarifié, selon Wood, le rôle des choix moraux et de la responsabilité économique du concept de responsabilité sociale des entreprises. Le modèle de Kang se présente comme suit :
Schéma 2: Modèle de RSE de Kang
Modèle de RSE de Kang
Source : Donna J. Wood, 2004, «trois questions sur la performance sociale des entreprises », Etudes d’économie politique, 19, Presses de l’Université du Québec, Québec, p.69.

46 B. Chavance, 2007, L’économie institutionnelle, Collection Repères, Editions La Découverte, Paris, p.68.
47 D.J. Wood, 2004, « Trois questions sur la performance sociale des entreprises », Etudes d’économie politique, 19, Presses de l’Université du Québec, Québec, p.76.
48 Selon L. Audebrand, D. Rolland et D-G. Trembley, 2004, Op.cit., p.11.
49 D. J. Wood, 2004, Op.cit., p.70.

Le modèle de Kang reprend globalement dans le sens contraire la hiérarchie des responsabilités proposée par Carroll. Kang donne aux actions des entreprises qui favorisent l’autonomie morale des employés la place la plus importante. Si ceci est accompli, alors la responsabilité légale et sociale suivra. En fin de compte, une entreprise favorise l’atteinte de ses responsabilités économiques si et seulement si elle a favorisé la formation de choix moraux, s’est conformée aux exigences légales et a fait preuve de responsabilité sociale.
Nous partageons également cette approche de Kang car elle inverse l’échelle des responsabilités en considérant d’abord la responsabilité envers autrui en premier lieu, c’est-à- dire en plaçant la dignité humaine avant tout.
Lire le mémoire complet ==> (La responsabilité sociale des organisations de microfinance) :
Quels critères pour une meilleure contribution de la microfinance à l’inclusion financière ? L’exemple du Burkina Faso.
Mémoire de Master en études du développement
Université de Genève – Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement

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