La condamnation de l’assureur automobile à des pénalités

La condamnation de l’assureur automobile à des pénalités

§2. Les cas de condamnation de l’assureur

1321. Condamnation de l’assureur avant l’affirmation du principe de l’absence de condamnation. Dans une espèce à la motivation étrange et critiquable, une cour d’appel avait prononcé la condamnation de l’assureur du responsable envers la victime.

Le prévenu était poursuivi pour blessures involontaires suite à un accident qu’il avait causé. Son assureur avait été déclaré recevable à invoquer une exception de non garantie, en l’occurrence la résiliation du contrat.

Mais cette exception a été rejetée et l’assureur a été déclaré tenu à garantie, les juges du fond retenant que les circonstances de la résiliation révélaient un manquement à son devoir de conseil.

Dans son arrêt rendu le 5 mai 1997, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif « qu’en statuant ainsi sur la responsabilité contractuelle de l’assureur, appelé en garantie, la Cour d’appel n’a pas excédé ses pouvoirs au regard des textes visés au moyen [articles 388-1, 388-3 et 591] »2102.

Il est pour le moins surprenant que la Cour de cassation ait admis que la compagnie soit tenue à garantie envers la victime en vertu d’un manquement à son devoir de conseil envers l’assuré responsable, c’est-à-dire sur le fondement d’une responsabilité de l’assureur envers l’assuré2103.

Il n’en restait pas moins que dans cette décision, la Cour de cassation admettait expressément le prononcé par le juge répressif d’une condamnation de l’assureur au titre de la garantie.

Toutefois cette solution semble devoir être écartée depuis qu’ont été rendus les arrêts du 23 septembre 1998 et du 3 avril 20012104, réaffirmant que le principe est actuellement que l’assureur ne peut être condamné à garantie par le juge répressif2105.

1322. Admission d’exceptions au principe d’absence de condamnation. Ce principe connaît cependant des exceptions, en général destinées à améliorer le sort des victimes. Comme le principe, ces exceptions sont également d’origine prétorienne bien que les juges assoient le plus souvent leur solution sur des dispositions légales ou réglementaires.

Pour justifier une exception au principe de l’absence de condamnation de l’assureur par le juge répressif, issu de l’article 388-3 du Code de procédure pénale, il apparaît en effet nécessaire de s’appuyer sur un texte spécial qui prévoit au contraire un cas spécifique de condamnation de l’assureur.

Toutefois, le juge répressif a également prononcé des condamnations contre l’assureur en dehors des cas prévus par des textes spécifiques. La justification qui apparaît alors est que si l’assureur n’était pas condamné devant le juge répressif, il le serait inéluctablement devant le juge civil et qu’il est donc opportun que le juge pénal prononce la condamnation, évitant un recours superflu devant le juge civil.

1321 Cf. infra n° 1097 et s.

1322 Cf. infra n° 1411 et s.

Aussi, nous pourrons envisager successivement les cas de condamnation de l’assureur fondés sur des dispositions spéciales (A.) et les cas de condamnation de l’assureur répondant à l’idée d’une avance sur indemnisation (B.).

A. La condamnation de l’assureur sur le fondement de dispositions spéciales

1323. Dans la mesure où le principe de l’absence de condamnation de l’assureur par le juge répressif découle d’une disposition légale, l’article 388-3 du Code de procédure pénale, les exceptions à ce principe paraissent devoir s’appuyer sur le fondement de textes spéciaux dérogeant à ce principe.

En d’autres termes, la condamnation de l’assureur par le juge répressif serait admissible lorsque des dispositions spéciales prévoiraient des cas dans lesquels l’assureur pourrait ou devrait être condamné.

1324. Plusieurs séries de dispositions de cet ordre peuvent être identifiées. D’abord, de tels textes existent en matière d’assurance automobile obligatoire, dans le cadre de la procédure d’offre d’indemnisation obligatoire.

Des pénalités sont édictées contre l’assureur qui n’effectue pas d’offre ou ne l’effectue pas dans les délais requis. Ensuite, la condamnation de l’assureur pourrait être envisagée sur le fondement des dispositions prorogeant la compétence du juge répressif sur les intérêts civils en cas de relaxe ou d’acquittement, bien que cela ne soit pas encore établi avec certitude.

1323 Cf. infra n° 1299 et s.

1324 Besançon 18 avril 1989, Jurisp. Auto. 1989 p. 292 et 1990 p. 97 note G. Defrance.

Enfin, l’assureur paraît pourvoir être condamné par le juge répressif pour le compte de qui il appartiendra. Cependant, ce dernier cas de condamnation relève par ailleurs de l’idée que la condamnation de l’assureur peut être justifiée par l’idée de favoriser une indemnisation rapide de la victime, et nous pouvons le rapprocher des cas de condamnations prononcées par la seule référence à cette idée. Nous nous attarderons donc ici sur les deux premiers cas de condamnation envisagés.

Il est désormais clairement établi que l’assureur automobile peut être condamné à des pénalités dans le cadre de la procédure d’offre d’indemnisation obligatoire (1°).

En revanche, la jurisprudence ne s’est pas clairement prononcée sur la possibilité de condamner l’assureur du prévenu ou de l’accusé en cas de relaxe ou d’acquittement (2°).

1°. La condamnation de l’assureur automobile à des pénalités dans le cadre de la procédure d’offre d’indemnisation obligatoire

1325. La loi du 15 juillet 1985 a introduit une procédure d’offre d’indemnisation obligatoire dans le cadre de l’assurance automobile obligatoire.

Aux termes de l’article L 211-9 du Code des assurances, « l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d’indemnité motivée » dans les délais prévus par ce texte.

En cas de non respect de cette obligation par un assureur, des pénalités peuvent être prononcées à son encontre. Ainsi, les articles L 211-13 et L 211-14 du même Code prévoient respectivement le cas de l’offre faite hors délai et le cas de l’offre manifestement insuffisante.

Après quelques hésitations, concernant notamment l’article L 211-14, le juge répressif a décidé qu’il pouvait condamner l’assureur à payer les pénalités prévues par ces textes.

1325 J. Pradel : Un nouveau stade dans la protection des victimes d’infraction (commentaire de la loi n° 83-608 du 8 juillet 1983), D. 1983 chron. p. 251 note 103. Cependant, l’auteur ne précise pas si la mise en cause est impossible matériellement parce que l’assureur n’a pu être identifié, ou juridiquement au motif que la formalité serait à ses yeux substantielle.

a) La condamnation de l’assureur à la pénalité pour offre tardive

1326. L’article L 211-13 du Code des assurances dispose que « lorsque l’offre [d’indemnité] n’a pas été faite dans les délais impartis à l’article L 211-9, le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l’assureur ».

On pouvait douter que le juge répressif puisse prononcer contre l’assureur une condamnation sur le fondement de ce texte, dans la mesure où l’intervention de l’assureur devant le juge pénal n’a pour objet que de lui rendre la décision opposable2106.

1327. Cependant, la Cour de cassation a tranché en sens contraire. La sanction de l’article L 211-13, destinée à accélérer le règlement des indemnités aux victimes et à leur éviter le recours à la voie judiciaire, peut être prononcée contre l’assureur par le juge pénal2107 et doit l’être, lorsque les conditions sont remplies2108, si la victime en fait la demande2109, y compris lorsqu’une instance a opposé la victime ou ses ayants droit à l’assureur dès avant l’expiration du délai imparti par l’article L 211-132110.

Elle ne saurait cependant être infligée à l’assureur si celui-ci n’est pas présent à l’instance ou n’a pas été mis en cause2111, ce qui renvoie au principe de la contradiction et au droit à un procès équitable2112.

1328. Dès lors qu’il n’est pas contesté que l’assureur n’a fait aucune offre, provisionnelle ou non, la réduction de pénalité édictée par l’article L 211-13 ne constitue pour les juges qu’une simple faculté2113. La sanction prévue par l’article L 211-13 s’applique en effet sans distinction à l’offre provisionnelle et à l’offre définitive que l’assureur doit présenter en application de l’article L 211-9.

Toutefois, la sanction ne peut être prononcée lorsque l’assureur a versé des provisions ou a présenté une offre provisionnelle dans le délai alors que l’état de la victime n’est pas consolidé, et a présenté une offre définitive après avoir eu connaissance de la consolidation2114. La pénalité peut être réduite, mais non remise par le juge en raison des circonstances non imputables à l’assureur2115.

1329. Si l’assureur n’a fait aucune offre provisionnelle, l’indemnité allouée par le juge produit intérêt entre la date à laquelle il aurait dû la faire et celle à laquelle il a présenté une offre définitive ou celle à laquelle un jugement définitif est intervenu2116.

L’assiette de la pénalité est la totalité des sommes allouées à la victime et non le solde lui revenant finalement après déduction de la créance d’un tiers payeur2117. Si le juge alloue une rente, le doublement du taux s’applique à celle-ci et non au capital servant de base à son calcul2118.

1330. L’intervention d’un avocat dans la procédure d’offre d’indemnisation peut s’avérer périlleuse pour l’assureur. En premier lieu, l’avocat ne dispose du pouvoir de représenter son client sans avoir à justifier d’un mandat que dans le cadre de la procédure judiciaire (mandat ad litem).

Justifie en conséquence sa décision de doubler les intérêts au taux légal de la date d’expiration du délai d’offre d’indemnité prévu par l’article L 211-9, jusqu’au jour de la décision définitive la cour d’appel qui relève que l’offre d’indemnisation définitive a été faite par l’assureur du prévenu non pas directement à la victime, comme le prévoit ce texte, mais à un avocat dont il n’est pas établi qu’il représente celle-ci dans la procédure judiciaire2119. A l’inverse, doit être prise en compte l’offre faite à l’avocat dont il n’est pas contesté qu’il représente la victime2120.

En second lieu, les correspondances échangées entre avocats sont confidentielles, et l’offre transmise par l’avocat de l’assureur à celui de la victime ne peut être produite aux débats.

Le juge n’étant pas mis en mesure de s’assurer de la régularité de l’offre, il est fondé à prononcer la sanction sans tenir compte de « toute proposition de caractère occulte »2121.

1326 Cf. infra n° 926.

1327 Mme Cacheux, rapport A.N. n° 1461, p. 32.

1328 J. Pradel : art. préc., pp. 250-251.

1329 Cf. supra n° 561.

1330 Circ. min. just. n° 83-21 du 25 juillet 1983, BO min. just. 1983 n° 11.

b) La condamnation de l’assureur aux pénalités pour offre manifestement insuffisante

1331. L’article L 211-14 du Code des assurances prévoit que « si le juge qui fixe l’indemnité estime que l’offre proposée par l’assureur était manifestement insuffisante, il condamne d’office l’assureur à verser au Fonds de garantie prévu par l’article L 421-1 une somme au plus égale à 15 p. 100 de l’indemnité allouée, sans préjudice des dommages et intérêts dus de ce fait à la victime ».

1332. Pour l’application de ce texte, la Cour de cassation avait semblé revenir à sa jurisprudence de principe selon laquelle l’intervention volontaire ou forcée de l’assureur à l’instance pénale n’a pour objet, en application de l’article 388-3 du Code de procédure pénale, que de lui rendre opposable la décision rendue sur les intérêts civils : « le juge pénal ne peut, sans excéder ses pouvoirs, prononcer la condamnation de l’assureur à payer au Fonds de garantie contre les accidents une majoration de l’indemnité allouée à la victime, au titre de la sanction prévue par l’article L 211-14 du Code des assurances »2122.

1333. Puis la Haute juridiction a décidé plus récemment que l’assureur pouvait être condamné à payer au Fonds de garantie la pénalité légale et à la victime les dommages et intérêts prévus par l’article L 211-14, au motif que ce texte « attribue compétence au juge qui, comme en l’espèce, a fixé l’indemnité réparant le préjudice corporel de la victime »2123.

Cette motivation est d’autant plus notable que l’assureur n’avait pas contesté dans son pourvoi la compétence du juge répressif. La précision apportée par la Cour de cassation ne s’imposait donc pas et revêt une portée accrue.

Cette motivation en termes généraux laisse penser que le juge de l’action en indemnisation, fût-il pénal, est également le juge de certaines questions incidentes.

1331 A titre d’illustration : Crim. 5 juin 2007, n° 06-89091 (caractère inopérant du moyen de cassation soutenant à tort que l’assureur du prévenu, mis en cause devant la juridiction répressive en application de l’article 388-1 du Code de procédure pénale, ne peut se faire représenter devant la cour d’appel que par un avoué ou un avocat admis à postuler devant la juridiction du second degré).

1332 Cf. supra n° 884.

1333 Mme Cacheux, rapport A.N. n° 1461 p. 33.

1334 Ph. Alessandra : op. cit., p. 113.

1334. Il ne fait donc désormais plus aucun doute sur le fait que le juge répressif puisse prononcer contre l’assureur automobile des condamnations aux pénalités prévues par les articles L 211-13 et L 211-14 du Code des assurances.

En revanche, il n’est pas établi avec certitude que le juge répressif puisse prononcer une condamnation contre un assureur en cas de relaxe ou d’acquittement en faveur du prévenu ou de l’accusé, sur le fondement des textes prorogeant la compétence civile du juge répressif en cette hypothèse.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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