Cour de cassation et l’exception en cause du souscripteur du contrat d’assurance

Cour de cassation et l’exception en cause du souscripteur du contrat d’assurance

b) Les solutions adoptées par la Cour de cassation

1087. Rejet de la solution du renvoi devant le juge civil. La Chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas retenu la solution du renvoi devant le juge civil, qu’elle a toujours condamnée.

Elle estime que la juridiction pénale est tenue de statuer et qu’en déclarant qu’il appartient à la juridiction civile de se prononcer sur l’exception tirée par l’assureur d’une fausse déclaration de l’assuré, une Cour d’appel méconnaît l’étendue de sa compétence1656.

Dans ces conditions, la seule option laissée par la Chambre criminelle au juge répressif était de statuer sur l’exception, en exigeant ou non la mise en cause du souscripteur.

1088. Possibilité de statuer sur l’exception hors la présence du souscripteur. La Haute juridiction a dans un premier temps considéré que l’assureur pouvait opposer une exception de nullité à l’assuré sans mettre en cause le souscripteur s’il n’était pas présent à l’instance à un autre titre1657, alors même que les explications du souscripteur eussent été les bienvenues dans la mesure où l’exception proposée par l’assureur était fondée sur une fausse déclaration intentionnelle de sa part1658.

Cette solution pouvait poser des problèmes d’application dans la mesure où l’assureur se voyait privé de la possibilité de mettre en cause une personne dont la présence s’avérait indispensable, et où la décision rendue par le juge répressif sur l’irrecevabilité n’était pas opposable au souscripteur, car revêtue de la seule autorité relative de la chose jugé au civil1659.

1089. Exigence de la mise en cause du souscripteur à peine d’irrecevabilité de l’exception. Par la suite, la Chambre criminelle est revenue sur sa position par deux arrêts de principe rendus le 14 décembre 1989, et exige désormais à peine d’irrecevabilité de l’exception que l’assureur mette en cause le souscripteur du contrat si celui-ci n’est présent à l’instance à aucun titre1660.

La solution est prononcée avec d’autant plus de force que dans l’un des arrêts la cassation est prononcée sans renvoi, la Chambre criminelle disant elle-même l’exception irrecevable.

1090. Justification de la solution. L’emploi par la Cour de cassation d’une motivation visant le respect du caractère contradictoire des débats et l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales a donné lieu à discussions.

Le Professeur Groutel critique la Cour de cassation pour avoir « appelé à la rescousse » l’article 6§1, qui n’était pas invoqué dans les pourvois et n’est visé par la Cour de cassation que dans sa décision de cassation sans renvoi.

Le recours à ce texte lui paraît peu pertinent car l’absence de mise en cause du souscripteur ne cause pas de grief à ce dernier, dans la mesure où la décision rendue par le juge répressif sur l’exception de garantie ne lui est pas opposable car elle n’a que l’autorité relative de la chose jugée au civil1661.

Le Doyen Durry reconnaît qu’en droit, le Professeur Groutel a raison, mais se demande s’il ne néglige pas la difficulté, de fait, à faire prendre à une juridiction civile le contre-pied de ce qui aurait été auparavant décidé par la juridiction répressive, ajoutant que le rappel du respect du contradictoire ne lui paraît pas si mal venu1662.

Mais cet argument est qualifié d’artificiel par Madame Vaux-Fournerie. Si toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, cela justifie tout au plus le caractère contradictoire des débats devant la juridiction pénale mais ne légitime pas une autre exigence, celle du caractère en quelque sorte « panoramique » de ces débats. La solution de la Cour de cassation serait donc plus prétorienne que fondée sur l’article 6§11663.

1091. Quoi qu’il en soit des discussions sur le fondement de la solution, il n’en reste pas moins que depuis les arrêts du 14 décembre 1989 la Cour de cassation a maintenu sa position, en visant l’article 6§11664 ou non1665, et que ce texte est très fréquemment visé par les demandeurs au soutien de leur pourvoi1666.

1092. Modalités de la mise en cause du souscripteur. Il est donc acquis que l’assureur qui entend soulever une exception de nullité ou de non garantie doit mettre en cause le souscripteur du contrat d’assurance lorsque celui-ci n’est présent dans l’instance à aucun titre.

Mais la Cour de cassation a eu à répondre à la question de savoir à quel titre le souscripteur devait être mis en cause. Il ne suffit pas qu’il assiste aux débats en tant que témoin, car cela ne lui permettrait ni de discuter les moyens proposés par l’assureur à l’appui de son exception, ni par la suite de former pourvoi contre le chef de la décision d’appel qui aurait prononcé la nullité du contrat.

La Chambre criminelle a donc exigé la mise en cause du souscripteur en tant que partie, précisant que la délivrance d’une citation à comparaître comme témoin est insuffisante1667. C’est une partie à part entière qui intervient ainsi au procès pénal dont le cercle s’élargit notablement1668.

Toutefois, le souscripteur ne participe aux débats que sur la question soulevée par l’exception discutée. Par ailleurs, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’indiquer, de manière implicite, que le souscripteur qui était devenu partie à l’instance avait le droit de se pourvoir en cassation contre l’arrêt d’appel ayant prononcé la nullité du contrat1669.

1093. Il apparaît que la mise en cause régulière du souscripteur suffit, et qu’il n’est pas nécessaire pour l’assureur d’obtenir la comparution effective du souscripteur pour son exception soit recevable.

Il a en effet été jugé que lorsque le souscripteur est déjà partie à l’instance et a mis en cause l’assureur, l’exception d’irrecevabilité est valablement présentée par l’assureur même si le souscripteur n’a pas comparu1670.

Cependant, il a été jugé qu’à défaut de mise en cause, l’exception est irrecevable si le souscripteur n’a pas comparu à l’audience à laquelle les intérêts civils sont débattus, alors même que l’exception a été soulevée in limine litis et que le souscripteurs a comparu à une audience ultérieure (mais en une autre qualité)1671.

1094. Le problème a été posé de savoir si le souscripteur peut être mis en cause pour la première fois en cause d’appel. Il a été jugé par la Cour d’appel de Dijon que cela n’était pas possible pour l’assureur qui, présent en première instance, n’avait alors pas pu présenter son exception faute d’avoir mis en cause le souscripteur1672.

La solution tient à ce que l’assureur aurait pu et même dû mettre le souscripteur en cause en première instance. En revanche, il a été avancé que le souscripteur doit pouvoir être appelé en l’instance pour la première fois en cause d’appel si l’assureur intervient lui-même pour la première fois à ce stade de l’instance et soulève une exception qui rend sa présence nécessaire1673.

La Cour de cassation a jugé que le souscripteur ne peut se plaindre de ce que le double degré de juridiction aurait été méconnu lorsqu’il a accepté le débat devant la cour d’appel et que de plus, il n’a pas d’intérêt à se prévaloir du double degré de juridiction si l’exception soulevée par l’assureur a été rejetée1674.

Il n’en reste pas moins que l’on ignore quelle aurait été la solution si l’exception avait été admise par la cour d’appel1675. La Cour d’appel de Dijon avait motivé son arrêt en indiquant « qu’aux termes de l’article 388-1 du Code de procédure pénale, seules les compagnies d’assurances peuvent être mises en cause pour la première fois en cause d’appel, à l’exclusion de toute autre partie »1676.

Nous pouvons toutefois relever que l’assureur n’est pas le seul à pouvoir intervenir pour la première fois en cause d’appel, puisque c’est également le cas du Fonds de garantie des accidents ainsi que le prévoit l’article L 421-5 du Code des assurances.

Et il serait difficilement concevable que l’assureur intervenant pour la première fois en appel, conformément à l’article 388-1, ne puisse de ce fait soulever une exception de garantie.

C’est en effet à cette solution qu’aboutirait une position rigide interdisant à l’assureur de mettre en cause le souscripteur pour la première fois en appel, car l’exception de garantie serait vouée à l’irrecevabilité.

Aussi nous pensons que l’assureur doit pouvoir mettre en cause le souscripteur en appel pourvu qu’il intervienne lui-même pour la première fois à ce stade de l’instance.

1095. L’irrecevabilité de l’exception en l’absence de mise en cause du souscripteur. La sanction de l’absence de mise en cause du souscripteur par l’irrecevabilité de l’exception n’a été prévue par aucun texte.

Le Doyen Durry estime que cette sanction est grave car à son avis l’assureur est définitivement privé du droit d’exciper de la nullité du contrat1677.

Cela est contesté par le Professeur Groutel, pour qui l’irrecevabilité de l’exception devant la juridiction répressive laisse entière la discussion au fond devant une juridiction civile, étant de surcroît précisé que la décision d’irrecevabilité n’est pas opposable au souscripteur qui est resté tiers à l’instance, en vertu de l’autorité relative de la chose jugée au civil1678. La portée de cette sanction relève de l’étude de la portée de la décision rendue par le juge répressif sur l’exception1679.

1087 Article 1384 alinéa 4 du Code civil.

1088 Article 1384 alinéa 6 du Code civil.

1089 Article 1384 alinéa 5 du Code civil.

1090 Selon une jurisprudence fondée sur l’article 1384 alinéa 1er du Code civil depuis Ass. plén. 29 mars 1991, Bull. civ. n° 1, D 1991 p. 324 note Ch. Larroumet, SC 324 note Aubert, chron. p. 157 par G. Viney, JCP 1991 II 21673 concl. Dontenwille note J. Ghestin, RTD Civ. 1991 p. 541 note P. Jourdain, Gaz. pal. 1992.2.513 note F. Chabas.

1091 La Cour d’assises des mineurs de la Creuse semble avoir adopté ce raisonnement dans un arrêt du 25 avril 1990 par lequel elle a condamné l’assureur des parents, civilement responsables du mineur, à les relever indemnes des condamnations. Mais cet arrêt est cassé car le mineur était poursuivi pour vol avec violences et l’assureur ne pouvait donc être mis en cause : Crim. 6 mars 1991, Bull. n° 113, JCP 1991 IV 227.

1092 Cf. infra n° 782.

1093 Sur l’intervention de l’assureur devant les juridictions répressives d’instruction, cf. infra n° 781 et s.

1094 P. Brantus, question du 30 août 1984, J.O. Sénat 8 novembre 1984.

1095 H. Margeat et J. Péchinot : L’intervention de l’assureur du prévenu ou de la partie civile au procès pénal, RGAT 1985 p. 199.

1096 Certaines cours d’assises ne s’étaient pas arrêtées à ce détail. Ainsi la Cour d’assises de la Loire Atlantique avait-elle condamnée, par un arrêt du 11 juin 1987, l’assureur du civilement responsable d’une personne condamnée pour le crime de violences volontaires avec arme. Cet arrêt fut cassé par Crim. 31 mai 1989, Bull. n° 229, RSC 1990 p. 566 obs. G. Levasseur.

1097 R. Merle et A. Vitu : Traité de droit criminel, t. 2 : Procédure pénale, Cujas 5ème éd. 2001, n° 705.

1096. La Cour de cassation a précisé que le juge qui relève d’office l’irrecevabilité de l’exception faute de mise en demeure préalable du souscripteur du contrat n’est pas tenu de rouvrir les débats1680.

Elle a également indiqué que le moyen pris de l’absence en la cause du souscripteur du contrat n’est pas une exception de nullité ou de non-garantie au sens de l’article 385-11681.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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