Solutions jurisprudentielles, Convention de gestation pour autrui

3 – Les solutions jurisprudentielles avortées : la méprise de l’intérêt de l’enfant
Comme nous l’avons vu précédemment, mais que nous allons préciser, certains arrêts des juges du fond ont résisté à la position de l’Assemblée plénière de 1991 en montrant comment un éclairage différent porté sur l’adoption d’un enfant né d’une mère « porteuse » aboutit à une solution radicalement inverse (Pau 19 février 1991). Tous les arrêts partent d’un raisonnement identique à savoir la nullité de la convention. Fallait-il pour autant tiré de l’illicéité de la convention l’impossibilité pour l’épouse du père d’adopter ?
L’indivisibilité entre l’adoption et la convention semble évidente205, mais ce raisonnement conduit à voir l’enfant comme un objet et non un sujet. Or, le fait d’être adopté pour l’enfant par l’épouse du père est conforme aux finalités de l’adoption et ne constitue pas un détournement de l’institution de l’adoption au profit de l’enfant206. Traiter l’enfant comme une véritable personne implique de dissocier la convention où il n’intervient pas et l’adoption dont il est partie prenante, et même partie principale. Il faut s’interroger sur son intérêt propre, quitte à le confronter ensuite à ceux auxquels il s’oppose. Pour l’enfant l’abandon de sa mère est un fait dont il souffre. Son intérêt n’est certainement pas d’attendre une improbable et tardive revendication. Elevé au foyer par l’épouse, l’enfant à un intérêt à être adopté par cette dernière. La véritable question est donc de savoir si l’intérêt de l’enfant d’être adopté est plus ou moins important que l’intérêt qui s’attache à la sanction de la maternité de substitution ? L’indivisibilité de l’adoption et de la convention est une réponse implicite et évite de mettre en lumière les véritables enjeux du débat.
Dans les années 1980, les magistrats se montraient assez tolérants et admettaient l’adoption d’enfants nés de « mère porteuse »207. Puis saisi à cinq reprises, le tribunal de grande instance de Paris rejeta les demandes d’adoption (le 28 juin 1989, le12 juillet 1989, le 18 octobre 1989 et par deux fois le 6 décembre 1989), mais tous ces arrêts furent infirmés par la Cour d’appel de Paris208. La cour d’appel estime que « la promesse de la mère substituée et la situation résultant de sa réalisation doivent être déclarées licites au regard tant des principes généraux que des règles légales applicables ». Elle se fonde sur plusieurs arguments en faveur de la maternité de substitution :
L’exercice des droits naturels de chacun n’a de borne que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits.
Le droit de fonder une famille par la procréation, dans le respect des droits d’autrui.
La maternité substituée met en œuvre une technique connue, fondée sur le libre consentement des intéressés.
L’abandon à la naissance, suivi de l’adoption, et la reconnaissance purement formelle mais non contestée se font suivant les règles fixées par le législateur.
La mère a librement renoncé à reconnaître son enfant, ce qui permet au père d’exercer légitimement l’autorité parentale.
Le caractère volontaire de l’organisation des liens de famille ne porte pas atteinte à l’indisponibilité de l’état des personnes.
La maternité pour autrui devrait être admise au nom des exceptions de l’article 1128 du Code civil, parce qu’elle ne concerne pas une chose (l’enfant), qui n’est pas dans le commerce.
La maternité de substitution, libre expression de la volonté et de la responsabilité individuelle, de ceux qui y souscrivent est licite et conforme à l’ordre public.
Le montage juridique est conforme aux textes internationaux.
Mais ces décisions ont été qualifiées de provocatrices209 en particulier parce que « la Cour prend l’exact contre-pied non seulement d’un arrêt récent de la Cour suprême mais encore d’une jurisprudence de sa propre juridiction ». Elle se fonde sur une forme nouvelle de droit naturel, déduite d’une interprétation de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, «…considérant qu’au nombre de ces droits fondamentaux figure celui de fonder une famille par la procréation, dans le respect des droits d’autrui ». La cour d’appel invente un nouveau droit de l’homme, qui n’est ni évoqué dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ni dans la Convention européenne des droits de l’homme, ni même dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. Ce droit naturel moderne supposerait que les individus définissent eux-mêmes au titre de leur seule volonté leur propre ordre public c’est-à-dire les limites qu’ils entendent donner à leur liberté donc la mise à disposition de l’état des personnes. Les hommes sont maîtres de leur corps et donc de leurs facultés reproductrices.
Selon la cour, il n’y a pas d’atteinte à l’indisponibilité du corps humain car elle est librement consentie et assumée, la maternité de substitution doit être mise sur un même plan que le don d’organes, d’autant qu’elle n’est pas définitive. L’argumentation essentielle est le rôle licite de la volonté individuelle et de la liberté de la mère naturelle de ne pas établir sa filiation maternelle, ce qui laisse ouverte la possibilité de substituer une autre mère par la voie normale de l’adoption. La renonciation de la mère s’induisait de son abstention délibérée, admise par la loi, de reconnaître son enfant, abstention qui ne réalise nullement une cession illicite des droits de l’autorité parentale au père biologique, puisque celui-ci les ayant fait consacrer par une reconnaissance de l’enfant, les possède déjà. Il est exact qu’il n’y a pas de cession illicite des droits. Mais certains auteurs estiment que cette interprétation formaliste détourne l’esprit et le but des lois permettant l’abandon volontaire, en y voyant l’exercice d’un droit et en omettant de considérer que la mère s’est engagée par contrat à cet abandon.
Dans le même sens, l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers210 précité, qui fut cassé par la Cour de cassation le 29 juin 1994, condamne la maternité de substitution mais paradoxalement admet son efficacité dans l’intérêt de l’enfant. Elle énonce les deux principes de 1991, mais les écarte au nom du devoir de la société de protéger l’enfant contre les erreurs des adultes et au nom de l’égalité entre l’homme et la femme. Or, il est peu astucieux de spéculer sur les obligations de la société et d’arguer une règle qui n’est finalement pas respectée. La motivation est maladroite mais a le mérite de passer outre le refus du père et protéger l’enfant. Il s’agit d’une solution équitable.
Mais, toutes ces jurisprudences, quelques soient les critiques, ont eu le mérite d’ériger l’intérêt de l’enfant comme ligne directrice de leur réflexion, alors que le mouvement général est d’en faire une « boîte à tout faire ». Tout le poids de la difficile progression de l’intérêt de l’enfant pèse sur les épaules du juge, il s’agit d’une tâche obscure mais fondamentale puisqu’elle pose les fondations de notre droit de demain211.
Lire le mémoire complet ==> La convention de gestation pour autrui : Une illégalité française injustifiée
Mémoire présenté et soutenu vue de l’obtention du master droit recherche, mention droit médical
Lille 2, université du Droi
t et de la Santé – Faculté des sciences juridiques, politiques et économiques et de gestion
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205 D. 1991, jurisp. p. 380, note LARRIBAU –TERNEYRE (V.)
206 Droits de l’enfant, D. 1992, Somm. p. 59, préc.
207 TGI d’Aix-en-Provence, 5déc. 1984 : J.C.P.1986, II, n°20561, note BOULANGER : R.T.D. civ. 1986, p. 578, obs. RUBELLIN-DEVICHI (J.).- TGI Versailles, 9 juillet 1986 : RTD civ.1990, p. 255, obs. RUBELLIN-DEVICHI.- CA Pau 19 fév. 1991 : D. 1991, p. 380, note LARRIBAU-TERNEYRE (V.) : D. 1992, Somm. p. 59, DEKEUWER- DEFOSSEZ (F.).
208 CA Paris, 15 juin 1990, n°89-18925 : J.C.P. 1991, II, n°21653, note EDELMAN et LABRUSSE-RIOU ; CA Paris, 15 juin 1990, n°89-18375 : D. 1990, p. 540, note BOULANGER, Clunet 1990, p. 985, note GAUDEMET-TALLON (H.) ; CA Paris, 30 nov. 1990, n°89-23.04; CA Paris, 9 nov. 1990, n°90-3146.
209 Note EDELMAN et LABRUSSE-RIOU, préc.
210 Poitiers, 22janv. 1992, VASSAUX-VANOVERSCHELDE, préc.
211 DONNIER (M.), « L’intérêt de l’enfant », D. 1959, Chr. p. 27.

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