L’obligation de conseil pharmaceutique sur l’internet

Allègement de l’obligation de conseil sur l’internet en parapharmacie – Section 2 :
49- Dynamisé à la fin des années 80 par la levée du monopole officinal, le marché de la parapharmacie a été marqué au cours de ces vingt dernières années par la montée en puissance de la grande distribution et l’émergence des chaînes de parapharmacie. Le terme « parapharmacie » désigne le commerce des produits destinés à l’hygiène ou aux soins courants dont la distribution n’est pas réservée aux pharmaciens, ainsi que l’ensemble de ces produits, et la boutique au sein de laquelle ils sont vendus. Ces produits, objets ou articles sont des marchandises dont le pharmacien est autorisé à faire commerce, sans qu’elles fassent pour autant partie de son monopole. Leur liste est fixée par arrêté du Ministre chargé de la santé sur proposition du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Parmi ces produits figurent les compléments alimentaires, produits diététiques, de régime ainsi que les produits cosmétiques et d’hygiène corporelle.
Le 16 juin 1980 dans l’affaire Bergasol, le Tribunal de Grande Instance de Paris estime qu’eu égard à la présence de bergoptène, il est normal de prétendre que le pharmacien est le mieux placé pour conseiller ce type de produits. De la même manière le Conseil National de la Consommation reconnaît, dans l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, que pour certains produits cosmétiques, les fabricants peuvent légitimement exiger de leurs distributeurs la présence sur les points de vente de personnes spécialement qualifiées, notamment un titulaire du diplôme de pharmacien.
C’est seulement à partir de la fin des années 1980 qu’il a été mis fin au monopole des officines dans la distribution de ces produits, suite à une décision du Conseil de la Concurrence relative à la situation de la concurrence dans la distribution en pharmacie de certains produits cosmétiques et d’hygiène corporelle107.
Ainsi, les fabricants de produits de parapharmacie concluent avec leur revendeurs des contrats de distribution sélective pour lesquels il n’est pas excessif d’exiger la compétence d’un diplômé en pharmacie, mais désormais inutile de prétendre que seul le pharmacien d’officine peut en assurer la vente. On est passé de fait d’un monopole de structure à un monopole de personne en matière vente de produits parapharmaceutiques.
50- En outre, par décision du 8 mars 2007, le Conseil de la concurrence s’est saisi de pratiques consistant à refuser ou restreindre la vente en ligne de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle. Plus particulièrement, il s’agissait de produits cosmétiques dits « haut de gamme » qui sont offerts avec un service de conseil délivré par une personne diplômée de pharmacie. L’article L. 5131- 1 du CSP les définit comme « toute substance ou préparation destinée à être mise en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain, notamment l’épiderme, les systèmes pileux et capillaires, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes, ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles ».
Il était question en l’espèce de la légitimité des entraves imposées par onze sociétés parapharmaceutiques à leurs distributeurs agrées pour la vente de ces produits sur l’internet au sein de réseaux de distribution sélective. Elles exigeaient en effet de leurs revendeurs des conditions extrêmement restrictives à la vente en ligne de ces produits, voire leur interdisaient catégoriquement cette pratique. La décision du Conseil de la Concurrence a pour effet de rendre obligatoires certaines propositions de dix de ces sociétés visant à modifier leurs comportements.
La distribution sélective est définie par le Règlement (CE) n° 2790/ 99 comme « un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, uniquement à des distributeurs sélectionnées sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés »108. Si le Règlement précité ne contient aucune disposition expresse en matière de vente via l’internet, son article 4 classe, parmi les restrictions emportant la non application de l’exemption par catégorie aux accords verticaux, « les restrictions des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals pas les membres d’un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché ». Les lignes directrices de la Commission européenne du 13 octobre 2000 relatives aux restrictions verticales sont en revanche plus explicites au chapitre 3 intitulé « Restrictions caractérisées visées par le Règlement d’exemption par catégorie », car il est précisé que « l’interdiction catégorique de vendre sur internet ou sur catalogue n’est admissible que si elle est objectivement justifiée ». Cette dernière confirme sa position dans le communiqué de presse du 17 mai 2001 relatif au système de distribution sélective de la société Yves Saint Laurent Parfums, en vertu de laquelle elle considère que l’interdiction de la commercialisation en ligne des produits faite aux membres d’un réseau de distribution sélective doit être appréhendée comme une restriction caractérisée au sens de l’article 4 du Règlement susvisé.
Les critères d’aménagement des magasins, les conditions de présentation des produits en magasin, nécessaires pour garantir une distribution de qualité, peuvent être adaptées à la distribution via l’internet. Comme le rappellent les lignes directrices précitées, « le fournisseur peut imposer des normes de qualité pour l’utilisation du site internet à des fins de vente de ses produits », du moment que les restrictions posées à cette forme de vente sont proportionnelles à l’objectif visé, comparables à celles qui s’appliquent dans le point de vente physique du distributeur agréé et qu’elles n’aboutissent pas, en réalité, par leur exigence excessive, à vider la vente par l’internet de son contenu.
Les différents laboratoires interdisaient à leurs distributeurs la vente en ligne ou imposaient dans les contrats de distribution sélective des exigences drastiques. La liste est non exhaustive, nous pouvons citer les principales :
* relatives à l’obligation de conseil : Bioderma exigeait que le détaillant ait recours à un procédé webcam et Cosmétique Active France imposait qu’il soit procédé à un diagnostic cosmétologique « au moyen d’un équipement de vidéoconférence ou grâce à la transmission de photographies numériques » pour les produits Vichy et le déroulement d’un « dialogue interactif en temps réel » ; tous les laboratoires soumettaient leurs cyber-distributeurs à la mise en place d’une « hotline » assurée par téléphone ou par des messageries électroniques et administrée par des pharmaciens, leur imposant des délais de réponse d’une célérité rare (deux heures pour la société Roger Cavaillès) ; ou encore l’insertion permanente d’un message invitant « vivement » (Caudalie) l’internaute à se rendre dans un point de vente physique afin de pouvoir bénéficier d’un conseil « qualifié, direct et personnalisé »109 ;
* relatives au droit de la distribution : les sociétés demandaient aux distributeurs de respecter des normes de qualité, de technique et d’esthétique sur leurs sites, mais allaient plus loin en exigeant des photographies (Caudalie) sous un format particulier, ou encore que le site de vente de produits parapharmaceutiques soit un site distinct et ex
clusivement dédié à cette activité, refusant l’établissement de « pure players »110, et cela sous couvert du respect de contraintes excessives en matière de publicité, d’envoi obligatoire d’échantillons ou de référencement;
* relatives à la langue utilisée : les diverses sociétés imposaient des conditions draconiennes et demandaient à ce que le site et le conseil soit traduits dans les langues des pays auxquels la vente serait étendue.
Il existait dans ces contrats diverses clauses restrictives de concurrence. De multiples avenants ont été étudiés par le Conseil de la Concurrence et certaines propositions ont néanmoins été jugées inacceptables par ce dernier, car elles posaient des restrictions trop sévères à la vente sur l’internet, de par leur caractère disproportionné par rapport à l’objectif visé ou par leur caractère illégal. Dix des sociétés en cause ont accepté d’alléger leurs exigences et ont opéré les modifications suivantes :
* les conditions relatives à la qualité du site : si l’engagement au respect de l’image de marque des produits ne constitue pas une restriction sévère à la vente en ligne, lorsque ses conditions sont limitées et légitimées, l’exigence d’un site exclusivement réservé aux produits vendus sur conseil pharmaceutique est excessive, l’aménagement d’un espace dédié, d’un « univers dédié » suffit;
* les conditions de disponibilité des hotlines : elles permettent d’assurer le service de conseil personnalisé assuré par une personne diplômée de pharmacie en officine selon le Conseil et les sociétés ont adopté des dispositifs extrêmement divers en ce qui concerne les modalités de fonctionnement de cette assistance, exigeant des plages horaires et des délais maximaux de réponse très variables ; d’une manière générale les distributeurs disposent de 24 à 48 heures pour répondre aux questions, en fonction du moment où elles sont posées, il n’est plus question de webcams ni de visioconférence;
* les réserves ou limitations formulées à l’encontre de la vente sur l’internet, notamment :
– réserves d’ordre quantitatif : le Conseil fait valoir qu’aucune restriction quantitative n’existe pour les points de vente physiques,
– réserves indirectes portant sur le principe même de la vente par l’internet : le Conseil fait égard au discrédit qu’emporte l’obligation d’afficher la recommandation de se rendre sur un point de vente physique afin de bénéficier d’un conseil personnalisé, ce message donnant à penser que le conseil prodigué sur l’internet n’est pas de bonne qualité ; il rappelle à l’ordre Cosmétique Active France qui prévoyait une clause destinée à interdire à ses distributeurs agréés « d’offrir ou de pratiquer sur le site des prix, des conditions de vente, des opérations promotionnelles ou des techniques de fidélisation de la clientèle différents de ceux offerts ou pratiqués dans le point de vente physique » ; cette interdiction aurait pour effet d’interdire le développement des ventes en ligne et de les empêcher de présenter un quelconque avantage ;
* la langue des sites : les exigences sont amoindries, en particulier celles d’Expanscience qui supprime l’obligation de répondre en ligne en français, en anglais, en espagnol, en portugais, en italien, en allemand et en néerlandais et vient lui substituer celle de répondre « dans les langues correspondant aux pays où le distributeur agréé accepte de livrer les produits » ;
* le référencement des marques dans les moteurs de recherche : la plupart des parties ont supprimé l’interdiction d’utiliser leur dénomination sociale ou leur marque comme mot clé dans les moteurs de recherche, sous certaines conditions toutefois, par exemple celle de « ne pas contrevenir à l’image des produits » (société Bioderma), en effet cette interdiction n’existe pas dans le monde réel et leur empêchait de s’identifier efficacement grâce aux moteurs de recherche;
* les conditions d’envoi : une question mineure tenait à l’exigence de certains fabricants de l’envoi d’échantillons avec toute commande, elle est validée par le Conseil lorsqu’elle est substituée par une simple possibilité, par la mention « dans la limite des stocks disponibles », par exemple.
51- Cette décision est d’une importance cruciale en ce qui concerne le respect des obligations imposées au pharmacien par l’acte de dispensation. En effet, le Conseil de la Concurrence refuse de « vider la vente par l’internet de son contenu »111 mais vide par là même l’obligation de conseil personnalisé de sa substance, en admettant que ce conseil puisse être effectué par téléphone ou par courriel. L’acception est large et il n’a pas été procédé à la mise en place d’outils techniques, par exemple par l’utilisation de webcams, afin de satisfaire les exigences liées à la dispensation. Il semblerait de prime abord que le Conseil a adopté cette décision en accord avec les produits en question et qu’il ne pose pas pour l’heure d’assouplissement général de l’obligation de conseil. Cependant, la route semble se creuser dans ce sens. Les termes de la décision rendue par le Conseil sont généraux et nous ne pouvons négliger la perspective d’une évolution similaire en matière de médicaments. La différence des deux régimes consiste en une conception différente du monopole : pour la parapharmacie il s’agit du monopole des pharmaciens tandis que la pharmacie est soumise au monopole de la pharmacie. La structure change certes, mais la personne qui dispense le produit et lui associe le conseil est la même.
Il est nécessaire d’analyser quels sont les intérêts d’un conseil de visu délivré au sein d’un magasin physique : conseil personnalisé, interactivité de l’échange, éventuellement, démonstration de l’utilisation du produit. Or, le Conseil considère que les interdictions totales de vente en ligne faites aux distributeurs ne sont pas objectivement justifiées par l’obligation de conseil nécessitée par les caractéristiques des produits en cause. En effet, ces conseils peuvent tout à fait être prodigués sur l’internet : les techniques d’échanges interactifs permettent de délivrer un conseil personnalisé et il est manifeste que l’utilisation des médicaments sous leurs formes galéniques ne nécessite pas toujours une démonstration physique. Il est possible d’arguer que tout-un-chacun est en mesure de prendre un médicament, il n’est pas nécessaire de faire une démonstration physique de la façon d’absorber une gélule, seule compte la notification de la posologie ainsi que le rappel des voies d’administration et des interactions éventuelles. Seuls les médicaments d’une certaine technicité ou délivrés sur prescription médicale pourraient, à l’avenir, imposer au client une visite préalable au magasin : l’obstacle du conseil à la délivrance via l’internet ne semble pas objectivement justifié, à moins de démontrer qu’il existe des risques particuliers pour la santé dus à la technicité des produits en cause. Or, en matière médicale, les médicaments et dispositifs médicaux qui nécessitent une utilisation particulière ou des connaissances spécifiques ne sont pas, même au sein de l’officine, délivrés librement. Outre au conseil, les professionnels de la santé soumettent leur utilisation à l’intervention à domicile de personnes qualifiées. Ainsi, ces exigences ne souffriront pas de la délivrance via l’internet, elles peuvent être maintenues.
De la même manière, les arguments tenant à l’immédiateté des réponses transmises au client sont rejetés par le Conseil. Elles peuvent tout aussi bien être transmises dans un délai raisonnable. Elles peuvent être délivrées entre personnes absentes. Le fait que les conseils ne puissent être donnés que sur indication du client ne pose pas de difficulté particulière à
l’internet, puisqu’il en est ainsi dans le monde réel. La Cour va plus loin, puisqu’elle n’exige pas l’utilisation de procédé techniques permettant aux parties de se voir, comme les webcams ou les systèmes de visio-conférence. Ces procédés existent, pourquoi ne pas en exiger l’utilisation afin de sécuriser la transaction ? Force est de constater que tous les internautes ne disposent pas de ces moyens techniques et que ces exigences tendraient à restreindre le commerce en ligne. Néanmoins, les difficultés nées du respect sur l’internet des obligations qui incombent au pharmacien lors de la dispensation du médicament ne seront pas toutes résolues, par l’assouplissement de l’obligation de conseil. En effet, comment le pharmacien serait-il en mesure de refuser la délivrance d’un médicament lorsque l’intérêt du patient lui paraît l’exiger, s’il n’est pas en sa présence ? Cette disposition pose indéniablement un frein à l’admission de la vente de médicaments sur l’internet ; à moins qu’il soit jugé que l’examen de son état puisse être établi par le biais de webcams, voire grâce à une conversation téléphonique.
En légitimant le conseil pharmaceutique sur l’internet par le biais de hotlines, le Conseil le vide quelque peu de son sens en supprimant le nécessaire rapport physique entre le professionnel de la santé et le consommateur. Il va dans le sens de l’assimilation du conseil personnalisé à de l’information sans dimension réellement personnalisée, et il est légitime d’envisager une portée plus large de cette décision en se demandant si le conseil du pharmacien ne va pas devenir superflu. Il est susceptible de disparaître car l’information qui figure sur les boîtes pourrait peut-être, à l’avenir, être considérée comme suffisante ; et le conseil personnalisé pourrait alors être directement dispensé par le médecin prescripteur, qui reste lui en présence du patient.
Il est manifeste que cette décision ne répond pas à toutes les difficultés soulevées par la vente de médicaments via l’internet, puisqu’il s’agissait en l’espèce de produits parapharmaceutiques hauts de gamme ; mais elle laisse présager parallèlement un assouplissement de l’obligation de conseil pour d’autres produits. Il est nécessaire d’attendre une confirmation des juges afin de savoir s’ils se prononceront dans le même sens en matière de vente de médicaments, afin de postuler de façon certaine que le conseil pharmaceutique est assoupli sur l’internet. Outre le conseil, il reste encore à franchir d’autres obstacles juridiques qui relèvent de la relation entre le pharmacien et le patient, qu’il est important de respecter sur l’internet.
Lire le mémoire complet ==> (La vente de médicaments sur l’internet)
Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels
Université de Toulouse I Sciences sociales
Sommaire :

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108 Article 1er du Règlement (CE) n° 2790/ 99.
109 Selon une des propositions de contrat cadre de distribution modifié effectuée par la société Caudalie, qui visait la possibilité de conclure un contrat de vente à distance, contrat accessoire au premier et pour lequel elle préconisait le recours à un conseil dans l’infrastructure physique de ses distributeurs, par un message permanent qui indiquait notamment que « malgré les progrès de la technique, le contact direct avec le pharmacien-conseil ou une personne qualifiée reste unique et irremplaçable pour apporter à l’internaute ce qu’il est en droit d’attendre des produits Caudalie » (article 3.3).
110 Le terme « pure player » désigne les distributeur qui ne disposent pas de point de vente physique agréé et ne vendent les produits que sous la devanture électronique.
111 Lignes directrices de la Commission européenne du 13 octobre 2000 relatives aux restrictions verticales, Chapitre 3.

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