L’intervention volontaire de l’assureur de la victime

L’intervention volontaire de l’assureur de la victime

2°. L’intervention volontaire de l’assureur de la victime en l’absence de constitution de partie civile de cette dernière

952. La volonté du législateur. Il ressort sans ambiguïté des travaux parlementaires que dans l’esprit du législateur, « l’assureur pourra se joindre à l’action civile que la victime aura elle-même portée devant le juge pénal mais ne sera pas autorisé à mettre en mouvement l’action civile »1415.

Pourtant, cette indication donnée par les parlementaires a été purement et simplement ignorée par les commentateurs de la loi de 1983 comme par la jurisprudence.

953. Une volonté ignorée par la doctrine et par les juges du fond. Le Professeur Pradel a estimé que la loi du 8 juillet 1983 ne précisant rien des règles de mise en œuvre de l’intervention volontaire, il « convient d’appliquer le droit commun tel qu’il apparaît par exemple à l’occasion de l’intervention des caisses de Sécurité sociale »1416. Or, ces caisses ne peuvent intervenir volontairement si l’assuré social ne s’est pas constitué partie civile1417.

Un autre commentateur de la loi du 8 juillet 1983 a affirmé que si l’assureur de la victime peut intervenir volontairement, au même titre que la partie civile elle-même, cette intervention principale est toutefois subordonnée, dans sa recevabilité, à la constitution de l’assuré en tant que partie civile, à la recevabilité de cette constitution de partie civile et à l’existence d’une subrogation légale ou conventionnelle1418.

Selon certains auteurs, suivis par des juges du fond, l’exigence à titre de condition de la constitution préalable de partie civile de l’assuré aurait pu se réclamer des articles 388-1 alinéa 3 et 388-3 du Code de procédure pénale1419.

954. L’article 388-1 alinéa 3 du Code de procédure pénale prévoit qu’en ce qui concerne les débats et les voies de recours les règles concernant les parties civiles sont applicables à l’assureur « de la partie civile ».

Ce texte pouvait être interprété comme exigeant la constitution de partie civile de la victime comme condition de l’intervention de son assureur1420, car il vise l’assureur « de la partie civile » et non l’assureur « de la victime ».

Mais cet argument de texte laisse dubitatif car la transposition, à l’assureur de la victime, de règles concernant la partie civile ne suppose pas que cette dernière soit partie à l’instance.

En tout cas, l’article 388-1 ne confère pas à l’assureur de la victime les prérogatives de la partie civile, et notamment la faculté de se constituer partie civile pour réclamer indemnisation de son dommage.

Il ne prévoit l’application des règles régissant les parties civiles à l’assureur intervenant qu’ « en ce qui concerne les débats et les voies de recours », ce qui désigne l’assureur qui est déjà présent à l’instance, sans se soucier de la manière dont il est entré dans cette instance.

En d’autres termes, l’article 388-1 alinéa 3 n’a pas pour objet de se prononcer, que ce soit explicitement ou par interprétation, sur la possibilité pour l’assureur d’intervenir volontairement, mais uniquement de préciser les règles applicable à l’assureur intervenu.

955. Toute proportion gardée, nous pouvons trouver plus de pertinence à l’argument que la jurisprudence a déduit de l’article 388-3 du Code de procédure pénale pour rejeter l’intervention de l’assureur du responsable, à savoir que l’intervention est sans objet si le juge n’est pas saisi de l’action civile1421.

Le texte ne distinguant pas entre les assureurs, il n’y aurait pas de raison de soumettre l’assureur de la victime à un régime différent de celui de l’assureur du responsable. Cependant, nous pouvons difficilement admettre que l’intervention de l’assureur de la victime ait pour seul objet l’opposabilité de la décision.

Pour que la loi soit considérée comme ayant marqué un progrès certain, il faut admettre que l’intervention de l’assureur lui permet de réclamer au prévenu le remboursement des sommes versées à son assuré1422.

L’intervention volontaire de l’assureur de la victime lorsque l’assuré ne s’est pas constitué partie civile a précisément pour objet de saisir le juge pénal de son action en indemnisation.

Reste à savoir si la faculté de saisir le juge répressif de l’action civile est reconnue à l’assureur de la victime subrogé dans ses droits. Nous retrouvons les termes dans lesquels se pose le problème de l’intervention volontaire de l’assureur du responsable.

La référence au seul objet de l’intervention de l’assureur n’est pas pertinente; ce qui importe est de savoir si le juge pénal a déjà été saisi de l’action civile à laquelle l’assureur peut intervenir. S’il ne l’a pas été, l’assureur de la victime ne saurait pas plus que celui du responsable exercer l’action civile par voie d’action1423. La jurisprudence l’a pourtant admis.

956. Une volonté ignorée par la Cour de cassation. La Cour de cassation a décidé que l’intervention de l’assureur de la victime n’était pas subordonnée à l’exercice effectif de l’action civile par l’assuré mais à la condition que cette action, si elle était exercée, serait recevable1424.

Pour le Doyen Durry, la solution paraît pleinement justifiée, tant par l’esprit général de la loi de 1983 que par les termes même de l’alinéa 2 de l’article 388-1 du Code de procédure pénale qui prévoit la faculté d’intervention de l’assureur « lorsque des poursuites pénales sont exercées », sans distinction ni restriction1425.

Nous pouvons préciser que l’assureur du responsable qui a indemnisé la victime, et se trouve de ce fait subrogé dans ses droits contre les coresponsables, n’est pas assimilé à l’assureur de la victime subrogé dans les droits de celle-ci, car à la différence de ce dernier, il n’est pas lié à la victime par un contrat d’assurance.

La Cour de cassation en a déduit qu’il n’est pas assureur de la partie civile au sens de l’article 388-1 du Code de procédure pénale et n’a donc pas qualité pour exercer, devant la juridiction pénale, une action récursoire contre des codébiteurs solidaires1426.

957. Justification de la solution. C’est un argument d’opportunité qui est avancé pour justifier l’admission de l’intervention de l’assureur de la victime sans constitution de partie civile de cette dernière : lorsque la victime a été indemnisée par son assureur, elle a tendance à se désintéresser de l’action civile et néglige de l’exercer.

Devant le juge répressif, cela aurait pour conséquence de priver l’assureur de la possibilité de recourir contre le responsable ou son prévenu par une action que la victime n’aurait certainement pas manqué d’exercer si elle n’avait pas touché l’indemnité d’assurance.

Il a paru équitable d’accorder à l’assureur, subrogé dans les droits de la victime, la même faculté d’agir devant le juge répressif contre le responsable ou son assureur.

958. Cet argument d’opportunité est soutenu par des considérations d’ordre juridique : subordonner l’intervention volontaire de l’assureur de la victime à la constitution de partie civile de l’assuré peut paraître saugrenu en raison de la subrogation.

Par définition l’assureur subrogé aura désintéressé la victime, car c’est là une condition de la subrogation. L’assuré indemnisé ne pourrait donc pas venir réclamer la réparation de son dommage, que ce soit devant le juge répressif ou devant le juge civil1427.

Cependant, l’assureur peut n’avoir désintéressé la victime que partiellement, en raison d’un plafond de garantie ou d’une franchise notamment.

Et à supposer que l’assureur ait complètement indemnisé la victime, celle-ci n’est pas privée de la faculté de se constituer partie civile, car la jurisprudence admet une telle constitution sans demande d’indemnisation1428. Dans ce dernier cas, exiger la constitution de partie civile de la victime pour que son assureur puisse intervenir reviendrait donc à exiger que la victime intervienne au procès pénal ou déclenche l’action publique dans un but purement vindicatif (ou du moins pour partie en cas d’indemnisation partielle par l’assureur) pour que l’assureur puisse exercer son action en indemnisation.

Ce cas de figure, pour le moins paradoxal, a vocation à rester rare. C’est précisément le fait que la victime indemnisée par l’assureur se désintéresse souvent du procès pénal qui pousse l’assureur à exercer lui même l’action civile que la victime néglige d’introduire devant le juge répressif.

959. En tout état de cause, comme pour l’assureur du responsable le problème reste de savoir si l’assureur de la victime peut exercer l’action par voie civile par voie d’action, ou s’il peut seulement intervenir à l’action civile que seule la victime aurait qualité à intenter en vertu de l’article 2 du Code de procédure pénale.

Et comme pour l’assureur du responsable, en l’état des textes et notamment des articles 2 et 388-1 du Code de procédure pénale, la réponse devrait être que l’assureur peut seulement intervenir à l’action civile.

Ce, du moins si l’on considère que l’article 2 est bien applicable à l’action civile au sens d’action en indemnisation, et non à la faculté de poursuivre pénalement accordée à la partie civile et à certaines personnes1429.

En tout état de cause, l’article 388-1 serait un fondement pertinent et suffisant à cette solution, dans la mesure où il instaure une faculté d’intervention pour l’assureur. L’emploi du terme par le législateur n’est pas innocent car il ressort clairement des travaux parlementaires qu’il s’agit d’une intervention stricto sensu, l’assureur n’ayant pas le droit d’exercer l’action civile par voie d’action1430.

960. La Cour de cassation a cependant fait prévaloir l’argument d’opportunité sur le droit et a admis que l’assureur de la victime puisse exercer l’action civile par voie d’action.

Outre cette entorse à la volonté du législateur, on peut regretter que la Haute juridiction adopte ainsi des solutions contradictoires pour l’assureur du responsable et l’assureur du prévenu, alors que cette disparité de régimes n’est pas fondée.

952 J.O. déb. Sénat 25 mai 1983 p. 1090.

953 Intervention de M. Ducoloné rapportée par Mme Cacheux : rapport A.N. n° 1461 pp. 17-18.

954 J.O. déb. A.N. 5 mai 1983 p. 906 et J.O. déb. Sénat 25 mai 1983 p. 1091.

955 Mme Cacheux : rapport A.N. n° 1567 p. 8.

956 Mme Cacheux : rapport A.N. n° 1461 p. 9. Il est indiqué que l’assureur n’a pas le droit d’intervenir volontairement au procès pénal pour limiter l’étendue de sa responsabilité ou même en contester le principe. Bien que « sa responsabilité » ait pu renvoyer aussi bien à la responsabilité de l’assureur (visé dans la phrase) qu’à celle de l’assuré (visé dans la phrase précédente), il n’y a pas d’ambiguïté car à la fin de la même phrase, il est fait référence à « l’obligation pesant sur l’assureur », c’est-à-dire l’obligation de garantie. C’est bien cette obligation de garantie qui a été désignée improprement comme la responsabilité de l’assureur.

957 Cf. supra n° 119 et s.

958 Ainsi, Mme Cacheux fait bien référence dans la même page au « paiement de la dette de responsabilité garantie par l’assureur », ce qui pose clairement la différence entre la dette de responsabilité de l’assuré et la garantie de cette responsabilité par l’assureur : rapport A.N. n° 1461 p. 9.

959 Mme Cacheux : rapport A.N. n° 1567 p. 31.

960 Mme Cacheux : rapport A.N. n° 1461 p. 29 et 30; . Girault : rapport Sénat n° 330 p. 16.

Cela étant, cette solution nous paraît aller dans le bon sens. En effet, il nous paraît souhaitable que l’action civile puisse être exercée devant le juge répressif par voie d’action par toute personne qui y a intérêt et qualité au regard de l’action civile, pourvu que ce juge ait été ou soit saisi de l’action publique1431. Telle est la solution adoptée par la jurisprudence en ce qui concerne l’assureur de la victime subrogé dans ses droits.

Conclusion du Chapitre 1

961. L’étude des modalités de l’intervention de l’assureur au procès pénal nous révèle encore une conception restrictive du législateur, en particulier à l’égard de l’intervention volontaire.

Le législateur n’a visiblement pas entendu instaurer une faculté large pour l’assureur de participer à l’action civile devant le juge répressif, au besoin en portant cette action civile devant un juge répressif déjà saisi de l’action publique1432.

Au contraire, les travaux parlementaires indiquent une volonté de n’introduire en droit positif qu’une faculté d’intervention stricto sensu, c’est-à-dire la possibilité pour l’assureur de participer à une action civile déjà portée devant le juge pénal.

Ceci peut être mis en parallèle avec le champ d’application restreint de l’intervention de l’assureur, limité aux cas de poursuites pour homicide ou blessures involontaires1433.

962. Toujours est-il que l’intervention a cet effet incontournable de conférer à l’intervenant, volontaire ou forcé, la qualité de partie. En l’occurrence, l’assureur n’est pas tant partie au procès pénal qu’à l’action civile exercée devant le juge répressif. De cette qualité de partie à l’action civile devrait découler assez naturellement le régime de la participation de l’assureur1434.

961 Cf. infra n° 1280 et s.

962 Cf. infra n° 1286 et s.

Ceci concerne tant l’objet de cette participation, c’est-à-dire les moyens pouvant être soumis aux débats, que les effets du jugement qui en résulte (opposabilité/condamnation) et la faculté d’exercer les voies de recours.

Or, nous constaterons sur tous ces points une conception restrictive du législateur. Ceci concerne au premier chef les moyens pouvant être soulevés par l’assureur intervenant aux débats.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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