L’état des lieux de la construction en terre crue en France

Chapitre I : Regard sur l’architecture en terre crue en France
Regard sur l’architecture en terre crue en France
1.1 L’état des lieux de la construction en terre crue en France
Les différents procédés de construction en terre crue permettent d’utiliser un matériau disponible sur place et gratuit. Le choix de la technique de mise en œuvre dépend de la culture et du savoir faire des maçons ou charpentiers.
La terre crue, en opposition à la terre cuite, se trouve à même le sol, sous la couche de terre arable. Selon la plasticité et la structure granulaire de la terre, les modes de construction varient. Douze manières de construire ont été répertoriées. En France, on en trouve quatre : dans la région Rhône- Alpes, la technique du pisé prédomine, en particuliers en Isère où 75% de l’habitat rural est construit en pisé ; dans le Sud-Ouest, les constructions sont en briques de terre crue (adobe) ; la bauge est caractéristique de la Bretagne ; et le torchis est utilisé dans le Nord et l’Est de la France. Ces différentes techniques sont succinctement expliquées ci-dessous.
Le pisé 7
Cette technique consiste à compacter de la terre humide entre deux banches et à la damer à l’aide d’un « pisoir ». Les couches se succèdent tous les 10 à 20 centimètres. Lors du décoffrage, le mur a une texture et une couleur unique. Il n’est pas nécessaire de l’enduire. La forte proportion de cailloux et de graviers dans la terre en font une sorte de béton de terre. Le pisé a été utilisé pour la première fois à Carthage en 814 av. J-C.
Le pisé
La brique de terre crue moulée ou la technique de l’adobe
La terre utilisée dans ce cas, ne contenant ni gravier ni cailloux, est mélangée à de la paille, puis façonnée à la main ou moulée à l’état plastique avant de sécher à l’air libre. L’adobe permet de répondre à toutes les contraintes architecturales. De plus, elle est extrêmement économique. Les premières briques en terre crue ont été façonnées à la main au VIIIe millénaire avant J-C.
La brique de terre crue moulée ou la technique de l’adobe
La bauge
Technique la moins mécanisée, elle varie en fonction des régions, bien que le matériau de base soit toujours le même : une terre grasse mélangée à des fibres végétales ou animales afin de former une pâte souple. Cette technique consiste à construire des murs épais et massifs sans coffrage mais par couches successives d’environ 50 cm de hauteur. Le mélange est empilé à l’aide d’une fourche, puis battu avant d’être coupé avec un outil tranchant.
La bauge
Le torchis
Contrairement aux précédentes techniques, le torchis n’est pas une construction porteuse. Des lattis sont fixés sur une structure porteuse en bois, puis garnis d’un mélange de terre et de paille. Les terres à torchis sont le plus souvent fines, argileuses et collantes. Elles ne contiennent pas beaucoup de sable, mais fissurent au séchage ; c’est pourquoi on les mélange à de la paille.
Le torchis
Ces diverses techniques nécessitent de protéger la construction de l’eau par « de bonnes bottes et un bon chapeau »; ce qui veut dire que la plupart des constructions ont une assise en pierre ou en béton et un toit largement débordant. Les populations les plus modestes protègent leurs habitats par des couches d’enduits à la terre qu’il faut renouveler régulièrement. Une autre solution est de réaliser des enduits à la chaux, plus résistants aux intempéries.
Un intérêt récent pour le patrimoine en terre crue en France permet aujourd’hui d’avoir des études archéologiques qui nous autorisent à dater les premières constructions en terre crue du Sud de la France à la période médiévale8 . Différents procédés de construction sont mis en œuvre en fonction des régions et des époques, mais les techniques les plus fréquentes au Moyen âge sont la bauge et le pisé, même si des constructions en briques de terre crue ont été mises en évidence dans le Languedoc-Roussillon, ainsi que dans le Gard et dans l’Aude entre le Xe et le XIIe siècle.
La région de Rennes est réputée pour ces constructions en bauge encore opérationnelles aujourd’hui. L’existence de ce type de constructions est attestée dès le VIIe siècle. L’observation des différentes techniques de mise en œuvre de la bauge permet de supposer que les maçons ont adapté leur savoir-faire au matériau local. Les chercheurs déduisent que ces variations indiquent que la bauge est tout à fait locale et qu’elle a une origine autochtone.
Le pisé, quant à lui, requiert une technicité supérieure et proprement définie. Il apparaît à la fin du XIIe début du XIIIe siècle. Sa standardisation et son expansion rapide dans différentes régions de France permettent de penser qu’il s’agit d’une transposition d’une technique mise au point par l’architecture musulmane et développée précédemment en Espagne. C’est en Rhône-Alpes, et plus précisément en Isère, que l’on trouve le plus grand nombre de constructions en pisé. L’architecte Francois Cointeraux au XVIIIe siècle a cherché à promouvoir le pisé comme un matériau résolument moderne en rationalisant la technique ancestrale
Localisation des différentes techniques de construction en terre crue présentes en France.
Localisation des différentes techniques de construction en terre crue présentes en France.
Ceci a permis d’élargir le territoire du pisé au-delà de l’habitat rural et de concevoir des maisons de ville pour des classes sociales élevées ou des édifices publics. La construction en pisé a connu un formidable essor en Europe comme aux Etats-Unis au XIXe siècle, grâce aux nombreux livres écrits par Francois Cointeraux : pas moins de 30 ouvrages en 20 ans. A Lyon, la tradition de la construction en terre s’est maintenue jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Au début du XXe siècle, en Europe, deux éléments majeurs vont modifier le monde de la construction :
– La guerre de 1914-1918 a tuée une génération entière de jeunes ouvriers et artisans, ce qui a entraîné la perte des savoir-faire.
– La révolution industrielle : le développement des transports et l’arrivée du ciment ont rapidement bouleversé une tradition millénaire de construction de proximité avec la terre et la chaux comme liants.
Profitant de ces évolutions majeures, une nouvelle architecture voit le jour : le Style international. Né dans les années 20 en Europe, le Style International rejette les régionalismes et les décors de façade et propose un genre résolument moderne exploitant la plasticité d’usage du ciment. Ce nouveau matériau, dont les techniques de mise en œuvre banchées sont inspirées du pisé, est en totale opposition avec l’architecture vernaculaire connue jusqu’alors.
Mis à part quelques expérimentations sur les bétons de terre en 1945, encouragées par la pénurie de matériaux et les enjeux de la reconstruction, le nombre de constructions nécessitant un savoir faire artisanal et des ressources locales diminue de manière drastique après la seconde guerre mondiale. Le patrimoine est en état de survie et subit l’influence de ces nouveaux matériaux. Des réhabilitations sévères à base de ciment, liant résolument trop rigide pour ce genre de constructions, détruisent rapidement des édifices de qualité. Progressivement, la construction en terre a été critiquée et les préjugés hostiles se sont accumulés. Considérée comme un matériau fragile, pauvre, archaïque et craignant l’eau, la terre a été rapidement rejetée.
Après trente ans d’oubli, ces techniques et réalisations connaissent un regain d’intérêt entre 1975 et 1985, mouvement suscité par la crise énergétique, et véritablement lancé par la première grande exposition sur la terre réalisée par Jean Dethier au Centre Georges Pompidou : « Les architectures de Terre : Histoire d’une Tradition Millénaire ». Cette exposition a voyagé dans 24 villes de 1981 à 1996 et a été vue par plus de deux millions de visiteurs. C’est en 1982, à la suite de cet immense succès, que l’Office Public d’Aménagement de Construction de l’Isère (OPAC) et les Directions de l’Architecture et de la Construction du Ministère de l’Environnement et du Cadre de Vie, lancent le projet du « Domaine de la Terre » sur la commune de Villefontaine (Isère). Ce quartier pilote de 62 logements sociaux a été entièrement construit en terre crue. Cette expérience fut un succès. Du monde entier les visiteurs affluaient – 40 000 par an, des élus, des architectes, des étudiants. Il a servi à dynamiser la filière terre dans beaucoup de pays et fut le déclencheur de nouveaux projets en terre en Europe et en Australie. J’ai pu rencontrer Jean Dethier pour un entretien, voici son commentaire : « En France, j’ai monté la première exposition sur la terre à Beaubourg en 1981 et parallèlement j’ai voulu prouver la crédibilité de la construction terre et j’ai mis en place le projet du « Domaine de la Terre » de L’Ile d’Abeau, soit 62 logements sociaux avec l’appui et la concertation des ministres de l’époque. » 9
Ce projet a été mis en place comme une preuve du bien-fondé de la construction en terre et aussi comme terrain d’expérimentation scientifique. Les qualités thermiques du matériau terre ont été testées en grandeur nature. Daniel Turquin raconte : « J’ai travaillé sur le projet de L’Ile d’Abeau avec un groupe de scientifiques du CNRS qui voulaient monter un mur en terre pour y mettre des sondes afin d’obtenir des résultats sur la thermique de la terre. Aujourd’hui les propriétés thermiques de la terre sont reconnues »10. Malgré son réel succès, ce projet n’a pas suscité en France le dynamisme escompté. La non-reconnaissance officielle du matériau terre et l’absence, à l’époque, d’une véritable filière terre (architectes, entrepreneurs, maçons) n’ont pas permis d’amorcer d’autres projets de ce type. Sans doute trop précurseur, il pourrait, vingt ans plus tard, montrer l’exemple d’un projet avant-gardiste réussi dans le domaine de la construction en terre.
Dans le dossier qu’a consacré la revue Ecologik à la construction en terre récemment, on lit : « Avec le recul, on constate que les performances énergétiques des logements (…) sont globalement meilleures que celles des logements sociaux de l’époque. Le pisé présente un gain de performance thermique de 20% par rapport aux standards. Grâce à son inertie thermique et à son très bon comportement hygrométrique, il offre un très bon confort global »11. La recherche de matériaux écologiques avec de bonnes propriétés thermiques est aujourd’hui au cœur du sujet du développement durable. La construction en terre est aujourd’hui plus que jamais d’actualité.
Lire le mémoire complet ==> (L’architecture de terre crue en mouvement en France et au Mali – Regards croisés)
Mémoire Diplôme d’Université BATIR
Université de Nantes – Bâti Ancien et Technologies Innovantes de Restauration
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7 Les quatre photos suivantes sont des photos personnelles prisent lors du stage sur la terre réalisé avec le D.U Batir dans le Cotention en 2010
8 Dominique Baudreu, « Maisons médiévales du sud de la France. Bâtis en terre massive : Etat de la question », in M.S.A.M.F (Mémoires de la société Archéologique du Midi de la France), hors série, 2008.
9 Cf annexes : Entretien avec Jean Déthier, architecte, le 25 juillet à Paris, p 76
10 Daniel Turquin a accompagné des projets d’autoconstruction en terre dans beaucoup de pays puis a créée sa propre entreprise pour construire des machines pour la BTC7. Il est maintenant responsable de la socièté Akterre qui commercialise de la terre prét à l’emploi. Cf annexes : Entretien avec Daniel Turquin. Directeur d’Akterre, le 27 juillet à Valence, p 79
11 Pierre Lefèvre, Revue EcologiK, décembre 2009/janvier 2010.

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