Les introductions dans le département des Bouches-du-Rhône

I.1- Les introductions dans le département des Bouches-du-Rhône : Entre rapports de force et cogestion

Le département des Bouches-du-Rhône est un des plus gros départements français producteurs de fruits et légumes. En 2005, il représentait à lui seul 8% des exploitations de fruits et légumes françaises268, 8% de la surface maraîchère, 9% de la surface de vergers et 22% de la surface de serre269.

On dénombre, dans ce département, 13 091 travailleurs saisonniers et 3 029 exploitations agricoles270. 60% d’entre elles sont des exploitations de fruits et légumes271. Elles emploient 78% des travailleurs saisonniers du département soit un peu plus de 10 000 personnes.

Les exploitations serristes et arboricoles sont les plus nombreuses (respectivement 17% et 19% des exploitations du département). La taille moyenne de ces exploitations est supérieure à celle des autres exploitations serristes et arboricoles françaises d’environ 15%272.

Ainsi, la taille des exploitations de fruits et légumes des Bouches-du-Rhône et leur concentration sont susceptibles d’être à l’origine d’une forte demande de travail local au moment des pics de récolte.

En 2005, le département des Bouches-du-Rhône a introduit un peu moins de 4 000 travailleurs OMI (contrat d’immigration temporaire de travail).

Ils représentent près d’un tiers des saisonniers du département. Plus de 60% des 550 exploitations qui emploient des saisonniers étrangers sont spécialisées dans les fruits et légumes273. Elles introduisent plus de 50% des travailleurs OMI274 (contrat d’immigration temporaire de travail). Notre étude se porte plus spécifiquement sur ces exploitations275.

267 50 € par mois de travail (complet ou incomplet) etpar embauche (Sources : OFII 2009).

268 OTEX Légumes, Fruits et Mixtes fruits et légumes (voir Partie 2, Chapitre 4 III-2).

269 Sources : Agreste, Enquête structure 2005, traitements de l’auteur.

270 Sources : Agreste, Enquête structure 2005, traitements de l’auteur.

271 OTEX Légumes, Fruits et Mixtes fruits et légumes (voir Partie 2, Chapitre 4 III-2).

272 En termes de Marge Brute Standard (MBS).

273 Dans ce cas, l’exploitation spécialisée est celle qui ne produit que des fruits et légumes.

274 Sources : Base de données originale, Dossiers Direction du Travail des Bouches-du-Rhône, dépouillement et traitements de l’auteur.

275 Bien qu’ayant dépouillé l’intégralité des dossiers d’introduction, nous nous centrons principalement sur les exploitations de fruits et légumes purs car, comme nous l’avons vu précédemment, l’analyse d’exploitations diversifiées, combinant des fruits et légumes avec d’autres productions moins intensives en travail, est difficile.

Les décisions d’introductions prises par l’administration au niveau départemental tiennent compte, d’une part, des orientations politiques nationales et, d’autre part, de la situation locale.

La prise en compte de la situation locale mêle à la fois une dimension individuelle, liée à la situation de l’exploitant, et une dimension collective, liée à la négociation entre l’administration et la profession agricole dans son ensemble, représentée ici principalement par la FDSEA276.

Ce lien entre les dimensions individuelle et collective est visible, tout d’abord, dans les recours que font les exploitants : en cas de refus d’introduction de la part de l’administration, chaque exploitant peut demander le ré-examen de son dossier par le biais de recours gracieux (adressés à l’autorité administrative qui a pris la décision) ou de recours hiérarchiques (adressés à une autorité supérieure).

Bien que portés individuellement par les exploitants, ces recours sont largement soutenus par les syndicats agricoles : des lettres de la FDSEA accompagnent la plupart des demandes de recours.

Des relais politiques locaux, voire nationaux apportent, eux aussi, leur soutien, comme le montrent les lettres de députés venant appuyer les contestations des décisions administratives.

Les orientations politiques départementales sont négociées, tous les ans, entre les syndicats agricoles et l’administration.

Le contexte institutionnel du département des Bouches-du- Rhône a fortement évolué entre 1995 et 2006. En 1995, un accord a été passé entre les syndicats agricoles et l’administration en vue conduire à une diminution lente et régulière du nombre d’introductions en réponse aux exigences nationales.

Cet accord stipulait que, sauf cas exceptionnel, aucun « primo-arrivant » ne pouvait être introduit, c’est-à-dire, qu’aucun travailleur n’ayant été introduit auparavant ne pouvait faire l’objet d’une procédure d’introduction.

Cet accord prévoyait, en contre-partie, la possibilité d’un renouvellement automatique des contrats lorsque le salarié avait été introduit deux ans sur les trois dernières années.

Les dépôts préalables auprès des Agences pour l’emploi n’étaient, dès lors, plus obligatoires. L’accord garantissait ainsi aux exploitants un certain nombre de travailleurs.

La négociation au niveau local a donc abouti à une relative automaticité des renouvellements malgré la conditionnalité des introductions normalement prévue par l’article R.341-4 du Code du Travail.

Elle a conduit, dans la pratique, à un « système de droit à introductions »277 : à chaque hectare est attaché un nombre de travailleurs OMI. Le « quota de travailleurs » est transféré lors d’un rachat de terre ou de la transmission d’une exploitation.

276 Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles.

277 En référence au système des « droits à produire » mis en place par la Politique Agricole Commune.

Extraits d’entretiens exploitants

Un système de droit à introductions

« Il m’a cédé son exploitation et ses OMI (contrat d’immigration temporaire de travail)», (Entretien exploitant arboriculteur).

« Je lui ai acheté 4 hectares et j’ai récupéré ses OMI », (Entretien exploitant arboriculteur).

« J’ai hérité des terres de mon père et de ses OMI », (Entretien exploitant serriste).

L’accord de 1995 semble avoir fait l’objet d’un certain consensus jusqu’à 1999. Entre 1995 et 1999, le nombre d’introductions dans le département a diminué de 15%.

En 2000, cet accord vole en éclat. En effet, à cette époque, une surface importante de vergers appartenant à de grands exploitants de la région entre en production.

Pour faire face à la demande de travail, les exploitants réclament à l’administration l’introduction d’une quantité importante de primo-arrivants et dénoncent l’accord de 1995. Les pressions de la profession sont telles que l’administration cède et autorise les introductions.

En effet, « face à des réactions très fermes de la profession, déjà soutenue par les élus locaux, le préfet de l’époque avait dû faire marche arrière et composer» [Clary et Van Haecke, 2001b] (p.16).

L’accord de 1995 étant rompu, des demandes de primo-arrivants affluent de la part des autres exploitations du département, principalement de la part des exploitations de fruits et légumes spécialisées. Les pressions de la profession se raffermissent et sont relayées par les syndicats au niveau national.

Comme le montre la Figure 13, les refus de l’administration sont contestés de manière plus systématique.

Figure 13- Evolution du nombre d’introductions et du nombre de recours dans les exploitations de fruits et légumes spécialisées des Bouches-du-Rhône

Evolution du nombre d’introductions et du nombre de recours dans les exploitations de fruits et légumes spécialisées des Bouches-du-Rhône

Sources : Base de données originale, Dossiers Direction du Travail des Bouches-du-Rhône, Dépouillement et traitements de l’auteur

L’administration recule. Le pourcentage de recours acceptés augmente et le nombre d’introductions s’accroît malgré les directives nationales (Figure 13). L’exemple des Bouches-du-Rhône et les pressions relayées au niveau national, conduisent à un assouplissement relatif des directives émanant des ministères de tutelles.

En 2006, le nombre d’introductions diminue de nouveau. Cette chute est, encore une fois, déterminée par une évolution importante du contexte local. En juillet 2005, dans un très grand mas de plus de 1 000 ha de pêches, 240 travailleurs OMI (contrat d’immigration temporaire de travail), soutenus par la CGT, se mettent en grève.

Ils dénoncent le non-respect de la législation du travail, plus de 300 heures supplémentaires impayées et des conditions de travail mettant en danger la santé des salariés.

Au terme du conflit, les heures dues sont payées mais l’entreprise dépose le bilan. L’administration s’engage alors à ce qu’aucun primo-arrivant ne soit introduit l’année suivante tant que les 240 grévistes OMI ne sont pas réemployés en tant que saisonniers dans une autre exploitation du département.

Un accord tacite est alors passé au sein de la profession agricole pour refuser les salariés grévistes. Dans les faits, seuls quatre saisonniers sont réintroduits en 2006, les exploitants agricoles ayant pour la plupart préféré ne pas recruter de nouveaux saisonniers OMI plutôt que d’embaucher un ancien salarié gréviste.

Le nombre d’introductions dans le département est donc fonction du rapport de force local et du processus de négociation entre la profession et l’administration.

Les décisions d’introduction au niveau départemental s’inscrivent, selon nous, dans ce que P. Muller [1984] appelle la « cogestion » de l’agriculture, à savoir l’élaboration et la mise en œuvre de politiques par partenariat entre l’administration publique et les syndicats agricoles représentatifs278.

Les décisions d’introductions prennent aussi appui sur ce que Hervieu et Viard [2001] appèlent la « surreprésentation politique » des agriculteurs, tant au niveau local qu’au niveau national279.

Par exemple, le président du groupe d’étude sur les fruits et légumes de l’Assemblée Nationale a pendant longtemps été un député des Bouches-du-Rhône, Léon Vachet280.

Ancien exploitant agricole, ce député a soutenu de manière active les recours de nombres d’exploitants contre les refus d’introductions de l’administration.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement - Centre International d’Études Supérieures en Sciences Agronomiques (Montpellier SupAgro)
Auteur·trice·s 🎓:
Aurélie DARPEIX

Aurélie DARPEIX
Année de soutenance 📅: École Doctorale d’Économie et Gestion de Montpellier - Thèse présentée et soutenue publiquement pour obtenir le titre de Docteur en Sciences Économiques - le 27 mai 2010
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