Le déséquilibre contractuel du contrat OMI

III.2- Le déséquilibre contractuel du contrat OMI

D’autres éléments expliquent, selon nous, la forme de flexibilité originale du contrat OMI et l’extrême disponibilité des travailleurs. D’une part, les travailleurs sont souvent logés sur l’exploitation même. Etrangers habitant sur place, ils sont en France pour faire des heures ; leur vie sociale est limitée.

D’autre part, le contrat OMI, dans ses caractéristiques juridiques et dans la réalité concrète qu’il revêt dans le département des Bouches-du-Rhône, présente un déséquilibre contractuel en défaveur des travailleurs, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif.

Il est aujourd’hui couramment reconnu que la relation contractuelle de travail a pour base une double inégalité entre l’employeur et le salarié [Viottolo-Ludmann, 2004] : la première inégalité est économique, l’employé ne disposant que de sa force de travail.

La deuxième inégalité réside dans le lien de subordination entre l’employé et l’employeur conférant à ce dernier le pouvoir de donner des ordres, de vérifier leur exécution et de sanctionner leur inexécution par la rupture du contrat le cas échéant.

L’histoire du droit du travail, à travers l’intervention du législateur et du juge, a progressivement procédé à un certain nombre de rééquilibrages :

« Le droit du travail a été le moyen de négocier une certaine liberté des travailleurs contre l’état de servitude qui caractérise la plupart des situations de travail antérieures à leur régulation par le droit. » [Castel, 2009] (p. 69)

Ces rééquilibrages se sont faits, d’une part, en accordant des droits spécifiques à chacun des contractants, d’autre part, en soulignant leurs obligations contractuelles respectives afin d’arriver à une « égalité corrective » et d’assurer au salarié le statut de contractant « libre et égal » [Viottolo-Ludmann, 2004] (p.21).

Dans le cas des contrats OMI, cette « égalité corrective » entre employeur et employé se voit fortement altérée par la faiblesse du contre-poids des travailleurs OMI au niveau collectif et par deux caractéristiques des contrats.

D’une part, le droit de séjour du travailleur étranger est attaché au contrat de travail. D’autre part, le lien entre le salarié et l’employeur est individualisé à deux niveaux. L’autorisation de travail n’est donnée que pour un employeur unique.

Une fois sur le territoire français, le travailleur OMI ne peut travailler que pour l’employeur qui a signé son contrat d’introduction. En cas de rupture de contrat, le salarié ne peut se tourner vers un autre employeur. De plus, un grand nombre de contrats OMI sont nominatifs.

En effet, la procédure prévoit deux types de contrats, le nominatif, par lequel l’employeur recrute un travailleur étranger en particulier, et le contrat anonyme, par lequel le choix du travailleur est laissé aux soins de l’OMI. Dans les faits, les contrats OMI sont, dans leur grande majorité, des contrats nominatifs.

L’employeur a donc le pouvoir de demander de manière explicite un travailleur en particulier, ou de le refuser. Une menace pèse donc sur le salarié : celle de ne pas se voir renouveler le contrat l’année suivante.

Cette menace, ordinaire pour n’importe quel salarié en contrat à durée déterminé, est rendue plus aiguë dans le cas des travailleurs OMI du fait de la difficulté à entrer en contact avec un employeur depuis un pays étranger, de l’attachement du salarié à un unique employeur et du lien entre droit de séjour et contrat de travail.

L’« articulation organique » entre le droit du séjour et le contrat de travail [Morice, 2004] confère à l’employeur-contractant un avantage qui fonde le déséquilibre. La relation contractuelle est, en effet, garante de la légalité du séjour du salarié.

La fin du contrat ou sa rupture signifie soit le retour au pays, soit, en cas de non-retour, l’entrée dans l’illégalité. En cas de litige entre l’employeur et le salarié, ce dernier est souvent confronté à un certain nombre de difficultés pour rester légalement sur le territoire et faire valoir ses droits.

Ainsi « l’intervention légale du lien personnel entre patron et salarié dans l’autorisation et la pérennisation du séjour augure en effet très mal des droits du subordonné : à l’aune des droits de l’homme, l’usage exclusif de la force de travail d’autrui et le privilège lié de pouvoir mettre fin à sa présence font mauvais ménage » [Morice, 2004] (p.5).

De plus, comme nous l’avons vu, le mode de recrutement se fait par réseau. Il existe souvent des liens familiaux entre les travailleurs OMI, voire entre les travailleurs OMI et les employés de l’exploitation résidents en France.

La menace de rupture de la relation peut toucher l’ensemble de la famille qui sert en quelque sorte de caution solidaire.

Les liens familiaux entre les saisonniers OMI renforcent la docilité des travailleurs. Les revendications sont souvent étouffées par la pression familiale.

Extraits d’entretiens travailleurs OMI

La docilité contrainte des travailleurs OMI

« Faut pas l’ouvrir si t’es OMI. Sinon, l’année suivante, tu reviens pas », (Entretien travailleur OMI marocains 42 ans).

« Tu peux rien dire. C’est pas que toi qui risque. Y a toute ta famille derrière toi », (Entretien travailleur OMI marocains 39 ans).

Le différentiel économique entre la France et les pays d’origine des salariés OMI exacerbe la menace de licenciement296.

296 Le salaire moyen marocain est de 3 000 Dirham par mois soit 267€ (Sources : Caisse Nationale de Sécurité Sociale du Maroc 2009).

Les travailleurs sont généralement en situation difficile dans leur pays. Ils viennent souvent des régions les plus défavorisées du Maroc [Decosse, 2004]. De plus, le marchandage courant des contrats renforce la « dépendance économique » des travailleurs OMI.

Les travailleurs se sont souvent endettés pour pouvoir obtenir leur premier contrat OMI et avoir une chance de revenir plusieurs années de suite. L’achat de contrat a pu renforcer leur situation de décapitalisation et augmenter la potentialité d’une « dépendance économique ».

Le déséquilibre contractuel du contrat OMI

La notion de « dépendance économique » est une notion empruntée à la jurisprudence contractuelle. Elle s’inscrit dans la notion de « vice de violence » qui décrit l’exploitation de la faiblesse d’autrui dans une relation contractuelle.

La jurisprudence récente reconnaît que la « contrainte économique » peut constituer une base au vice de violence : « En période de récession économique, où la menace d’un licenciement peut constituer un moyen de pression redoutable, la notion de violence morale présente un intérêt non négligeable. La jurisprudence l’appréhende alors au travers du concept de « contrainte économique »

[Viottolo-Ludmann, 2004] (p.54).

Le contrepoids salarial des travailleurs OMI est extrêmement limité. Leur représentation syndicale est faible du fait de leur statut d’étranger et de leur faible nombre. Tout mouvement syndical peut être sanctionné par l’absence de réembauche l’année suivante.

Extraits d’entretiens exploitants

Un difficile contrepoids pour les travailleurs

« Ils m’ont fait une heure de grève. Je te jure! L’année suivante, je t’assure que je les ai pas repris », (Entretien exploitant arboriculteur).

La faiblesse du contrepoids des travailleurs OMI est renforcée par la dimension collective de la négociation entre les syndicats agricoles et l’administration.

En effet, comme nous l’avons vu précédemment, le mouvement de grève des salariés OMI de 2005 a été sanctionné au niveau collectif par l’ensemble des exploitants du département.

Conclusion du Chapitre 6

Ce chapitre avait comme objectif de comprendre la spécificité d’une forme d’emploi saisonnier qui est centrale dans le secteur des fruits et légu

mes, le contrat OMI. Nous avons focalisé notre analyse sur le département des Bouches-du-Rhône, central dans le recours aux travailleurs saisonniers étrangers.

Par l’analyse de données qualitatives issues d’entretiens mais aussi par le biais d’un travail de dépouillement de fichiers administratifs, nous avons mis en évidence que le contrat OMI présentait une forme de flexibilité originale.

En effet, les systèmes de production agricoles exigent parfois, de manière simultanée, des savoir-faire spécifiques à l’exploitation et une forte flexibilité.

Dans les systèmes de production familiaux, le recrutement de proximité, familiale ou géographique, permet d’allier compétence et flexibilité, à moindre coût. Dans des systèmes salariaux, le recours à la flexibilité externe classique est susceptible de nuire à la qualité du travail.

Dans un contexte de délitement de l’espace professionnel domestique et de renforcement de la demande de travail salarié, on comprend l’intérêt des agriculteurs pour une forme d’emploi qui allie les caractéristiques de la flexibilité interne à celles de la flexibilité externe.

La relation de long terme dans laquelle le contrat OMI s’inscrit permet aux travailleurs d’accumuler des compétences spécifiques à l’exploitation, malgré le caractère temporaire du contrat.

La polyvalence et l’autonomie de ces travailleurs, leur extrême disponibilité, souvent renforcée par le déséquilibre contractuel, confère à cette main d’œuvre temporaire les caractéristiques de la flexibilité interne.

Les caractéristiques formelles de ce contrat et le contexte institutionnel de sa mise en œuvre lui permettent de combiner les deux formes de flexibilité.

Cette combinaison se fait dans des proportions différentes selon les besoins des exploitations : les caractéristiques de la flexibilité interne sont plus mises en avant dans les systèmes serristes que dans les systèmes arboricoles, plus saisonniers et moins exigeants en termes de compétences et de savoirs tacites.

Enfin, cette forme de flexibilité originale suggère de s’interroger sur la dichotomie entre flexibilité externe et flexibilité interne (ou fonctionnelle et numérique) et sur le rattachement strict des contrats temporaires à la flexibilité externe.

En effet, « les différences entre travailleurs permanents et temporaires sont le résultat [d’une] construction économico- juridique dans laquelle les usages et les usagers du CDD se sont diversifiés » [Dauty et Morin, 1992] (p.22).

Cette réalité évolutive que soulignent F. Dauty et M.L. Morin [1992] n’est pas prise en compte dans la typologie des différentes formes de flexibilité. Les dichotomies interne-externe ou numérique-fonctionnelle intègrent difficilement la réalité de certaines formes d’emploi.

Conclusion de la partie 3

Cette partie avait pour but de comprendre dans quelle mesure la composition du collectif de travail des exploitations de fruits et légumes est susceptible d’influencer la performance des exploitations. Elle a pris appui sur deux chapitres empiriques.

Dans un premier chapitre quantitatif, nous nous sommes intéressés à un indicateur particulier de la performance, la productivité du travail.

Nous avons mis en évidence que la structure du collectif de travail est un déterminant de la performance des exploitations et que les trois types de main-d’œuvre présentes sur une exploitation, à savoir la famille, les salariés permanents et les salariés saisonniers, ne sont pas également productives.

La croissance de la productivité du travail dans les exploitations de fruits et légumes françaises peut, dès lors, être liée à la modification de la structure du collectif de travail. La salarisation et la croissance de la part du travail salarié saisonnier, pourraient être à l’origine des gains de productivité des exploitations.

Nous avons en effet montré que la main-d’œuvre salariée est plus productive que la main-d’œuvre familiale et que ce résultat n’est pas lié à la différence saisonnière de productivité en agriculture mais, plus vraisemblablement, à la plus grande spécialisation de travailleurs salariés.

Nous avons, de plus, montré que les travailleurs saisonniers sont plus productifs que les travailleurs permanents et que, même si ce résultat peut s’expliquer par la spécialisation des travailleurs saisonniers sur des tâches très productives, il suggère aussi de s’interroger sur les formes concrètes que revêt l’emploi saisonnier dans le secteur des fruits et légumes.

Dans un deuxième chapitre, nous avons cherché à fournir des éléments de compréhension à la plus forte productivité des travailleurs saisonniers dans le secteur des fruits et légumes.

Par le biais d’une analyse plus qualitative centrée sur un département spécifique, nous avons mis en évidence que l’une des principales formes d’emploi saisonnier, à savoir le contrat temporaire d’immigration, permettait, par ses spécificités, à la fois juridiques et institutionnelles, la mise en place d’une forme de flexibilité originale.

Cette forme de flexibilité, hors des catégories classiques de la flexibilité du travail, offre aux exploitants la garantie d’une main-d’œuvre productive et qualifiée à moindre coût. Elle est cependant permise par un système qui entre en tension avec le concept d’égalité de traitement entre travailleurs.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement - Centre International d’Études Supérieures en Sciences Agronomiques (Montpellier SupAgro)
Auteur·trice·s 🎓:
Aurélie DARPEIX

Aurélie DARPEIX
Année de soutenance 📅: École Doctorale d’Économie et Gestion de Montpellier - Thèse présentée et soutenue publiquement pour obtenir le titre de Docteur en Sciences Économiques - le 27 mai 2010
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