Le calcul du prix de transaction immobilière

B- Le calcul du prix de transaction

On a vu combien le viager était divers, il s’agit de maintenant se pencher sur la détermination du juste prix. Légalement, la vente viagère doit refléter une juste valeur du bien sous peine d’être perçue comme une donation déguisée, ce qui est passible de poursuites judiciaires.

Or la détermination d’un juste prix est délicate, en comparaison d’une transaction immobilière classique, si bien qu’on peut légitimement se demander s’il existe réellement un juste prix

Les différentes variables

Cette difficulté dans la fixation d’un juste prix est d’abord issue d’un grand nombre de variables. Lors d’une transaction immobilière classique, interviennent principalement les critères d’offre et de demande, et l’obtention du prix au mètre carré est relativement facilitée par le grand nombre de ventes « comparables ».

Parce que le viager est un contrat « sur mesure » où, comme on l’a vu, il est laissé une grande latitude aux deux parties dans le choix et les modalités des facteurs, l’idée de prix au mètre carré en viager parait peu pertinente.

Quelles sont donc généralement les variables entrant dans la composition du calcul du prix ?

La valeur libre du bien est évidemment la donnée de départ, facilement accessible étant donné le grand nombre de veilles immobilières sur ce sujet.

La durée de vie probable du vendeur est, comme dans le secteur de l’assurance, un facteur fondamental. Plus le vendeur est jeune, plus la durée de paiement de la rente et d’occupation du bien pèsent sur l’acheteur. La rente est donc proportionnellement diminuée par l’espérance de vie.

L’ âge et le sexe du crédirentier, qui permettent d’établir son espérance de vie. Plus celle-ci est grande, plus les rentes seront faibles.

L’ existence ou l’absence de bouquet , ainsi que son montant . Puisque plus le montant du bouquet est élevé, plus les rentes seront faibles. Le bouquet représente généralement entre 20 et 30% de la valeur du bien.

La rentabilité présumée du bien est une donnée critique. Notamment lorsque les parties en présence sont dans une démarche d’investissement.

L’existence de droits d’usage et d’habitation, qui correspond à une occupation du bien par le vendeur après la vente, suppose un manque à gagner ou une remise de l’entrée en jouissance pour l’acheteur et doit donc être prise en compte dans la détermination du prix

La réversibilité de la rente permet à un couple, et non à un seul vendeur de bénéficier d’une rente mais allonge l’impact financier probable pour l’acheteur.

Il est important de noter qu’aucune règle légale ne vient déterminer le prix de la rente, celle-ci est laissée à discrétion des parties. Toutefois, l’administration fiscale peut requalifier un contrat lorsque celui-ci semble être une donation déguisée. Les viagers entre personnes apparentées ainsi sont particulièrement surveillés.

Les tables de mortalité : un outil en débat

On a vu combien les variables étaient nombreuses et distinctes. Mais l’ principal outil de valorisation de la plupart de ces variables est, comme dans le secteur de l’assurance, la table de mortalité.

« Au moment de la rédaction du code civil, les tables de mortalité sont utilisées, leur connaissance contribue à dissoudre le caractère imprévisible de la mort individuelle, dans la certitude de la mortalité générale. Le viager peut alors perdre ce caractère de pari honteux sur la mort pour s’inscrire dans le système rationnel du calcul mathématique ».7 La table de mortalité est en effet l’outil technique censé lever l’ambiguïté éthique du viager, et en faire un type de transaction rationnel, et partant, moral.

Comment sont donc développées les tables de mortalités, par quels acteurs et dans quels buts ? Le pluriel est ici capital, puisqu’en effet il n’y a pas une table de mortalité générale, mais des tables de mortalité développées, adaptées par les différents acteurs. Constat contre-intuitif qui souligne le relativisme de toute tentative de détermination mathématique universelle dans le secteur.

Les bases de données utilisées sont généralement établies par l’INSEE qui propose lui aussi une table de mortalité pour les hommes et les femmes à chaque âge donné. Il est important de bien comprendre que les tables de mortalité se distinguent de l’espérance de vie à la naissance. En effet, si l’espérance de vie d’un homme à la naissance est d’environ 80 ans, celle d’un homme de 80 ans est d’un peu plus de 87 ans.

Les professionnels utilisent ces tables et peuvent y effectuer des aménagements. Les assurances notamment, mais également les viagéristes. Or, beaucoup de ceux-ci soulignent en entretien la difficulté de cadrer le risque de longévité.

Ainsi les dernières tables de mortalité sont-elles perçues par beaucoup comme déjà obsolètes du fait d’un allongement effectif de l’espérance moyenne dans les âges avancés de la vie. De surcroît, plus on avance dans l’âge, plus les espérances deviennent relatives, à titre d’exemple extrême, peut-on déterminer avec le même degré d’exactitude l’espérance de vie d’une personne âgée de 102 ans que celle d’une personne de 50 ans, alors que le nombre de personnes de 50 ans et le nombre de personnes de 102 ans n’ont rien à voir.

De plus, si les assurances ont la possibilité d’exiger un grand nombre d’information d’ordre médical à leurs potentiels clients, l’acheteur en viager n’a juridiquement pas le droit d’imposer de visites médicales au vendeur. L’usage n’a pas non plus imposé cette pratique.

La dépendance vis-à-vis des tables de mortalité en est donc accrue puisqu’elles sont les seules informations quant à l’espérance de vie du vendeur sur lesquelles le prix de transaction sera basé.

Les barèmes des assurances sont le deuxième outil principal. Ceux-ci ont l’avantage de porter leur attention de manière plus spécifique sur le grand âge. Leur biais principal pour le viager est le « risque d’anti-sélection ».

Rationnellement, il n’y a pas grand avantage à vendre un bien en viager lorsqu’on se sait malade, alors qu’à l’inverse, souscrire à une police d’assurance, pour protéger par exemple ses proches, paraît beaucoup plus pertinent. « les gens qui prennent le pari de vendre en viager sont ou du moins se considèrent en bonne santé, dans la réalité on considère que c’est une population qui vivra beaucoup plus longtemps que la moyenne française », souligne ainsi l’un de nos interlocuteur.

L’orientation des barèmes des assurances paraît donc inadaptée en la forme à beaucoup de viagéristes, puisqu’elle se penche sur un public qui prévoit des coûts liés sa mort ou à la maladie, alors que le viager s’adresse à de potentiels vendeurs qui tentent gérer des besoins liés à leur vie.

Le troisième outil principal, est le barême Daubry, du nom d’une notaire qui fait référence dans le secteur du viager. Il présente l’avantage d’avoir été crée spécifiquement pour la vente viagère. Cependant, l’un de nos interlocuteurs nous a signalé que le barême Daubry présentait le désavantage majeur de ne pas être un très bon outil actuariel.

Au final, tous les viagéristes interrogés déclarent effectuer des aménagements aux différentes tables de mortalité. Ils soulignent que la pratique leur permet d’avoir une vision plus juste de la réalité, et qu’il est nécessaire d’effectuer des correctifs, tout comme les compagnies d’assurance, dont ils réutilisent parfois les données.

Cette adaptabilité des tables de mortalité, est sans doute justifiée par le fait que les tables de l’INSEE sont des instruments nationaux qui ne rendent pas la réalité locale, par exemple les écarts de mortalité en milieu rural, grande ville ou ville moyenne….

Ni d’autres facteurs que les Catégories Socio Professionnelles, « L’INSEE prend une photo de la réalité, mais certaines ombres manquent au décor, par exemple, elle ne fait pas la distinction entre les propriétaires et les non propriétaires, or les propriétaires de leurs bien tendent à vivre plus longtemps, de même la distinction entre personne vivant à domicile et personne vivant en maison de retraite est capitale, puisqu’ on sait que les personnes qui restent chez elles plus longtemps vivent plus longtemps ».

7 Férial Drosso ; Le viager où les anbiguïtés du droit de propriété dans les travaux préparatoires du code civil ; revue « Droit et Société », n° 49-2001

Cette adaptation des tables de mortalité aux spécificités du public concerné paraît donc un souci légitime, mais elle pose toutefois la question de l’homogénéité des ventes et de l’amplitude des différences dans les valorisations d’une agence à l’autre.

Nous nous pencherons plus tard sur la quantification de ces variations, mais il convient de remarquer la limite que cela porte à l’exigence légale de juste prix. La question qui nous brûle alors les lèvres est la suivante : au vu des variations de l’outil principal de valorisation d’un acteur du marché à l’autre, est-il possible d’offrir une juste valorisation d’un viager ?

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