La rhétorique H&M et ZARA serait-elle sous la menace du Slow Wear?

2.3. La rhétorique H&M et ZARA serait-elle sous la menace du « Slow Wear » ?

Pour maintenir l’intérêt et l’envie des clients tout au long de l’année, ZARA tout comme H&M s’adonne à cœur joie à renouveler leurs offres d’articles en recomposant régulièrement les mises en avant suscitées par l’arrivée perpétuelle des nouveautés en cours de saison.

Le rapport avec des consommateurs avides de nouveauté est direct et ces chaînes jouent leur va-tout sur leur capacité de réponse instantanée aux changements des goûts de leurs clients.

Renouveler régulièrement la présentation de l’assortiment permet non seulement de rendre vivant le point de vente mais aussi de pousser les clients à revenir régulièrement dans le magasin parce qu’ils ont bien évidemment le sentiment d’avoir des nouveautés à y découvrir.

La position de ZARA consiste à aller au même rythme que les tendances ; ce qui entraîne un renouvellement permanant des collections.

La rhétorique est la suivante : hormis les modèles qui s’écoulent à vitesse grande V, le reste des collections est produit en quantité limitée.

« Quand il y en a plus, il y en a encore. Mais c’est du totalement nouveau. Du coup, quand un client craque, il n’hésite pas encore des heures car il n’est pas sûr de retrouver la même chose quelques jours plus tard.

Ce mouvement perpétuel agit comme un aimant, il attire sans cesse des consommateurs désireux de voir ce qu’il y a de neuf. »332 Les clients doivent s’attendre à ce que les magasins changent d’une visite à l’autre : la plupart des articles passent moins d’un mois sur les rayons ; et quand elles passent, elles ne reviennent pas.

Ce faisant, si un consommateur ne trouve rien qui l’intéresse lors d’une visite, il sait qu’à sa prochaine visite, les vêtements offerts ne seront plus les mêmes.

Ce renouvellement se fait toujours avec de la théâtralisation et de l’émotion dans la mise en scène des collections.

On entend par là la présentation et au-delà, l’expérimentation proposée aux clients afin d’atteindre leur émotion mais aussi toujours de lui raconter cette histoire qui entre en résonnance avec sa sensibilité et ses envies.

Au risque de se répéter, le rythme moyen de rotation des collections chez H&M et ZARA est d’à peu près six semaines.

Si l’on prévoit l’échelonnement des livraisons, l’injection progressive des nouvelles lignes de produits, les délais de logistique dans les enseignes, alors on peut dire que c’est pratiquement tous les jours qu’il y a de la nouveauté.

Chez H&M par exemple, à deux pas des grands boulevards, les livraisons ont lieu tous les matins.

La manœuvre est bien rodée. Dès 7 heures 30 minutes, derrière la boutique parisienne, chaque vendeur d’H&M sait parfaitement ce qu’il a à faire.

Pascal, le responsable n’a que 20 minutes pour faire rentrer la marchandise (rentrer les codes barres) 150 housses mais surtout plus de 300 boites. Pour lui, leur mois tient dans ces quelques centimètres cube, c’est la nouveauté.

« 40 nouveaux articles arrivent ici chaque matin. C’est la surprise ! Tous les matins je découvre systématiquement. Chaque jour est une occasion de découvrir de belles choses, de nouvelles choses dans mon magasin.

On surprend notre clientèle. » (Pascal, responsable magasin H&M Paris.)

Une stratégie qui permet surtout à la marque de créer le désir en permanence pour pousser les clients à revenir plusieurs fois par mois si possible. Ce matin, 2 jeans, une jupe, 2 pulls, 5 robes ; dix nouveautés rien que pour la femme.

Pas de place au hasard, l’équipe doit les placer selon un scénario écrit par la maison mère ; ce sont les consignes du fameux « book marchandising ».

Toujours privilégier les portants à l’avant, mais aussi respecter les zones couleurs identiques dans toutes les boutiques. Enfin, c’est la touche finale, la mise en scène du vêtement : les mannequins sont habillés, déshabillés, réhabillés, une à deux fois par semaine.

Car la durée de vie des produits est extrêmement courte : un mois environ. De quoi susciter la frustration et déclencher l’achat immédiat.

« Qui n’est pas accros aujourd’hui ? Ce n’est pas forcément les rendre accros, mais c’est une relation privilégiée qu’on a instauré avec notre clientèle et aujourd’hui, elles le savent, elles viennent chez nous, c’est le jeu. (Pascal, responsable magasin H&M Paris.)

Pour continuer à stimuler et à satisfaire les envies des clients, H&M et ZARA tout comme les autres chaînes de la mode jetable comptent maintenir ce rythme aussi longtemps que possible.

« L’erreur serait de ne plus être nous même. Les femmes viennent chez nous pour quelque chose de très spécifique (des produits à la pointe de la mode à petit prix), et, si elles ne les trouvent pas, elles sont déçues et frustrées. » (Xavier Wilmes, directeur général pour la France et la Belgique de New Look).

Chez H&M, on souligne que chaque visite doit être une expérience nouvelle de shopping. Le client doit pouvoir vivre de nouvelles sensations à travers le renouvellement permanent des collections.

« Des liens avec les musiques du moment, des références aux créateurs en pointe ou des amitiés avec les mouvements underground, tout cela plonge les consommatrices dans des ambiances nouvelles, provoque des envies soudaines qui doivent se traduire presque sur le champ en vêtement ou accessoires.

[…]Le jean doit avoir une taille haute, puis basse, doit sculpter le corps, puis être plus lâche, style boy friend. Les chaussures doivent suivre ces envies de mode, passant sans transition de la spartiate ou ballerine à l’escarpin compensé.»333

332 Lannelongue M-P., La mode racontée à ceux qui la portent, op. cit., p.190.

333 Isabelle Manzoni, « Championnes de la fast fashion, les chaînes entendent garder le cap », in journal du textile N°1991/3 mars 2009. p.4.

Presque toutes les combinaisons (stylistiques) sont permises grâce à ce renouvellement rapide et à la production d’articles en petite quantité. Dans ce système, l’enseigne ZARA se distingue particulièrement en devançant ses concurrents directs tels qu’H&M, Uniqlo ou Gap.

La spécificité de l’enseigne, que l’on se souvienne, c’est d’offrir quotidiennement des nouveautés parfois directement inspirées des marques haut de gamme.

L’offre de série limitée donne l’impression d’exclusivité. Du coup les shoppeuses, pour qui ZARA fait parti du quotidien, peuvent s’offrir des vêtements extravagants, rares qui cassent l’uniformisation du “look”.

Cette mode réactive permet aux filles et surtout aux fashionistas, de s’adonner à l’une de leur activité favorite : le shopping.

Ce concept du fast fashion consistant, de ce fait, à injecter des nouveautés de façon quasi permanente dans l’offre des enseignes de mode afin d’entretenir le désir d’achat des consommateurs convient-ils à tous les jeunes ? Cette pratique qui a fait la fortune de ceux qui l’ont inventé et mis en pratique : ZARA, H&M, Uniqlo, New Look, mais aussi Camaïeu, Tally Weijl ou encore New-Yorker est-il encore pertinente ? D’autres préfèrent acheter moins de vêtements pas chers et un article de créateur de temps en temps.

Ces jeunes s’inscrivent dans le concept appelé le slowear. Un procédé qui s’oppose à la mode jetable et à l’une de ses conséquences : l’achat compulsif. « On a surentraîné les consommateurs à changer d’avis sans arrêter, en mode comme en hi-tech.

Il n’y à qu’à voir la ruée sur le nouvel I pod ou les listes d’attente pour n’importe quel nouveau jean d’une marque “branchée”. La productivité des inventeurs et des créateurs est énorme, et il s’est produit un phénomène d’addiction : le consommateur n’est jamais satisfait, il lui faut toujours plus, toujours mieux »334.

Dans ce concept la consommation est beaucoup plus raisonnable, certes légèrement plus chère mais plus durable. Les clients préfèrent plus de qualité, des vêtements avec des styles plus affirmés et des valeurs ajoutées.

Ils optent, par exemple, pour des vêtements de créateurs, en lieu et place de plusieurs pièces ZARA ou H&M. Ces pièces leur procurent du rêve tout en leur permettant de se distinguer, de se mettre en valeur.

Ces achats de vêtements de marques souvent fabriquées en France sont dépourvus de toute suspicion ; cela sécurise ces clients. Aussi ils refusent de jeter leur garde-robe à chaque saison, elle est conservée tel un patrimoine.

Ces clients hésitent à s’offrir les vêtements basiques signés H&M et ZARA et ce surtout lorsque leurs armoires sont déjà bien fournis de vêtements identiques.

« Les placards remplis de tee-shirts, débordants de blouses, dans lesquels s’alignent les jeans comme dans une bibliothèque, ne peuvent plus l’être davantage.

Ce n’est pas vraiment le retour des grands basiques, encore moins du minimalisme, juste l’envie d’acheter un produit qu’on pourra aimer longtemps, porter, utiliser autant que l’on voudra, transformer, même, grâce aux accessoires ou à la superposition au gré des tendances. »335

Ce concept prône l’arrêt du gaspillage, des vêtements jetables que l’on abandonne bien avant qu’ils ne s’usent. « On ne s’intéresse plus uniquement aux qualités esthétiques (fondamentale) mais à toutes les qualités intrinsèques d’un vêtement, comme sa matière, sa façon, sa durée de vie, son utilité, son sourcing.

En un mot, tous les critères dont le consommateur se moquait auparavant. Des critères qui s’ajoutent à celui, essentiel lui aussi, de l’apparence. »336

Le sentiment d’une mode uniformisant et le soupçon d’une certaine dégradation de la qualité des vêtements du à un travail vite fait pousse certain a adopter le Slow Wear.

Une nouvelle manière de consommer la mode vestimentaire qui ne remplace pas la fast fashion mais évolue en parallèle.

« Les marques en réalisant trop à l’avance leurs collections, augmentent le risque de passer à côté des tendances de la mode, tandis que les détaillants peuvent avoir intérêt à garder une certaine marge de manœuvre budgétaire pour pouvoir accompagner la tendance.

L’idée est donc de rééquilibrer le budget entre le long terme et le court terme. »337

334 Agnès Kubiak, chercheuse de tendance, directrice artistique de Style vision citée dans Isabelle Manzoni, « Championnes de la fast fashion, les chaînes entendent garder le cap », op. cit., p.4.

335 Isabelle Manzoni, Sophie Bouhier de l’Ecluse, « Le slowear va-t-il détrôner la fast fashion ? » in journal du textile N°1991/3 mars 2009. p.3.

336 Idem.

337 Patricia Romatet de l’Institut Français de la Mode citée dans Isabelle Manzoni, Sophie Bouhier de l’Ecluse, « Le slowear va-t-il détrôner la fast fashion ? », op. cit., p.3.

Selon Isabelle Manzoni, un débat oppose les tenants d’une préparation des collections le plus en amont possible dans le but de répondre au besoin d’un marché américain, exigeant une livraison précoce, et les partisans d’une préparation la plus tardive possible pour offrir le plus de réactivité aux tendances du moment.

Pour les uns, il faut opter pour une conception des collections beaucoup plus tardive : « La seconde solution est plus pertinente.

Dans tous les secteurs, le modèle le plus efficace consiste à raccourcir le “time to market” (le temps d’accès au marché), pour être le plus proche du marché. »338

Alors que pour d’autres, les détaillants multimarques ne devraient pas suivre le concept du fast fashion pratiqué par ZARA H&M et les autres : « Les multimarques ont sans doute plus intérêt à occuper un territoire délaissé par les chaînes qui s’adressent plutôt aux jeunes.

[…] Il faudrait ainsi sans doute privilégier le créneau du service et de la qualité. Ce qui n’empêche pas de trouver peut-être également un nouveau rythme intermédiaire, entre les deux collections annuelles et les injonctions permanentes des chaînes.»339

Un avis que partage même Ann-Sofie Johansson : responsable du design chez H&M, ayant succéder à Margareta van den Bosch, dorénavant consultante création pour l’enseigne ; selon la designer, contrairement à ce que pensent les gens, la mode ne va pas aussi vite.

338 Patricia Romatet de l’Institut Français de la Mode citée dans Isabelle Manzoni, Sophie Bouhier de l’Ecluse, « Le slowear va-t-il détrôner la fast fashion ? », op. cit., p.3.

339 Gildas Minvielle de l’Institut Français de la Mode dans Patricia Romatet dans Isabelle Manzoni, Sophie. Bouhier de l’Ecluse, Le slowear va-t-il détrôner la fast fashion ? », op. cit., p.3.

« Les clients intéressés par la mode souhaitent toujours du nouveau dans leur garde-robe, et ils peuvent le trouver dans nos magasins.

Parallèlement, les consommateurs ont appris à prendre plus soin de leurs anciens vêtements. Nous n’encourageons pas les gens à porter quelque chose aujourd’hui et à le jeter le lendemain.

J’ai personnellement beaucoup de vêtements que j’ai porté durant de nombreuses années – par exemple, une ancienne veste de soirée de chez H&M qui se porte toujours très bien.

Nous dépensons également beaucoup d’énergie à concevoir des vêtements respectueux de l’environnement.» (http://www.puretrend.com/rubrique/tendances_r12/rencontre-avec-ann-sofie-johansson-la-styliste-d-h-m_a44612/1)

Malgré ce débat, le concept du fast fashion est plus que jamais présent. Sa pratique continue de faire la fortune de ZARA, H&M, Gap, Uniqlo et compagnies.

Les jeunes que l’on a interrogé affectionnent particulièrement le concept ; ce qui laisse présager encore de beaux jours à la mode jetable.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La captation de la jeune clientèle en matière de mode : Le cas D’H&M et ZARA
Université 🏫: Université PAUL VERLAINE METZ - Sciences de l’information et de la communication
Auteur·trice·s 🎓:
Xavier Manga

Xavier Manga
Année de soutenance 📅: Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’université Paul Verlaine Metz - Le 15 décembre 2010
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top