La flexibilité du travail dans le secteur des fruits et légumes

II- La flexibilité du travail en agriculture et la flexibilité du contrat OMI

II.1 – La flexibilité du travail dans le secteur des fruits et légumes

Avant d’analyser plus spécifiquement la forme de flexibilité offerte par les travailleurs OMI, nous revenons brièvement sur les contraintes de flexibilité du secteur des fruits et légumes et sur les différents types de flexibilité du travail communément présentés dans la littérature.

Le secteur des fruits et légumes, dont les produits sont périssables et peu stockables, est soumis à de fortes fluctuations d’activité. Lorsque ces fluctuations correspondent à la succession des différentes tâches agricoles (éclaircissage, récolte, taille…) et font appel à la notion de saison, elles sont relativement prévisibles.

Lorsque, au contraire, elles sont liées à des variations du climat ou de la demande, et font intervenir la notion d’incertitude, elles sont plus difficilement prévisibles.

Les évolutions du secteur, à savoir, le mouvement de spécialisation des exploitations, l’augmentation de la concurrence et la place grandissante des Grandes et Moyennes Surfaces, sont susceptibles de renforcer les exigences des exploitants vis-à-vis de leurs travailleurs en termes de flexibilité.

Les ressources humaines sont souvent une variable importante de la flexibilité d’une entreprise, c’est-à-dire de sa capacité à s’adapter rapidement à un changement.

Comme nous l’avons vu précédemment, en termes de flexibilité du travail, deux formes polaires de flexibilité sous souvent distinguées : la flexibilité interne et la flexibilité externe (voir par exemple [Everaere, 1997 ; Tarondeau, 1999]). Ces deux formes de flexibilité renvoient à une vision duale du marché du travail.

La première consiste à répondre aux variations d’activité par un ajustement du volume de travail des salariés de l’entreprise. La seconde consiste à moduler le volume d’emploi en fonction des besoins de la production en ayant recours au marché externe du travail.

Au sein de chacune de ces flexibilités, on peut distinguer la flexibilité qualitative et la flexibilité quantitative. La flexibilité qualitative interne correspond à la polyvalence des travailleurs et la flexibilité quantitative interne à une organisation souple du temps de travail au sein de l’entreprise.

L’emploi de travailleurs via des contrats temporaires renvoie à une flexibilité externe quantitative et l’externalisation renvoie à une flexibilité externe qualitative.

Comme nous l’avons déjà souligné, cette typologie fait écho à la typologie de J. Atkinson [1985a ; 1985b ; 1987] qui distingue la flexibilité fonctionnelle de la flexibilité numérique.

Les formes de flexibilité mises en place dépendent bien sûr de leurs caractéristiques en termes de coûts, de délai…. Elles dépendent aussi des caractéristiques des fluctuations (prévisibilité, amplitude…) [Bunel, 2004] : l’imprévisibilité de la fluctuation favorise le recours à la flexibilité interne.

Son amplitude favorise, quant à elle, le recours à la flexibilité externe. Les formes de flexibilité mobilisées procèdent aussi des compétences dont l’entreprise a besoin.

La flexibilité externe ne favorise pas l’accumulation de compétences spécifiques par les travailleurs. Elle est mise en place lorsque les compétences requises sont faibles, standardisées ou codifiables.

La flexibilité interne est préférée lorsque les compétences requises sont spécifiques à l’entreprise. Plus précisément, lorsque le savoir est tacite, porté par les individus, la flexibilité interne est garante du développement des compétences organisationnelles de l’entreprise [Caroli, 2000].

L’analyse de la flexibilité du travail en agriculture s’est essentiellement centrée sur des systèmes de production familiaux.

La flexibilité de tels systèmes est portée par la polyvalence du chef d’exploitation, la modulation de ses horaires de travail et la mobilisation d’une main d’œuvre extérieure proche, sans coût visible supplémentaire (conjoint, proches ou entraide…) [Mundler et Laurent, 2004].

Dans ce type d’agriculture, lorsqu’il y a recours au marché externe du travail, les relations professionnelles s’inscrivent dans un espace professionnel de type domestique [Boltanski et Thévenot, 1991] dans lequel le lien privilégié et paternaliste de l’employeur et de l’employé est inscrit dans le local [Lamanthe, 2005].

Le recours à cette main d’œuvre proche, soit familialement, soit géographiquement, permet souvent aux relations de travail de s’inscrire dans la durée. Bien que parfois mobilisée de manière ponctuelle, cette main d’œuvre connaît l’exploitation et les tâches à effectuer.

Cette flexibilité externe originale n’est donc pas antagonique avec l’accumulation de compétences spécifiques à l’entreprise.

La flexibilité du travail dans le secteur des fruits et légumes

Cependant, comme nous l’avons vu, le salariat tient une place importante dans l’agriculture familiale, notamment dans le secteur des fruits et légumes.

De plus, les exploitations connaissent un mouvement de salarisation. Les exigences accrues en termes de flexibilité doivent donc être désormais en grande partie supportées par la main d’œuvre salariée.

La clef de l’organisation des exploitations de fruits et légumes semble reposer sur la polyvalence des permanents et la disponibilité des saisonniers [Codron et al., 1995; Lamanthe, 2005].

Elles s’appuieraient donc sur une flexibilité interne qualitative et une flexibilité externe quantitative, la main d’œuvre familiale assurant toujours, mais dans une moindre mesure, sa part de flexibilité.

Pourtant, nous l’avons vu, la dichotomie entre travailleurs permanents et travailleurs saisonniers peut s’avérer délicate à établir (voir notamment Partie 2). Depuis les années 1990, des mesures successives d’exonérations de charge sur les contrats courts ont été mises en place.

Certains contrats sont désormais exonérés à 90% sur une durée de 116 jours ouvrés. Ces mesures ont rendu le recours aux contrats courts particulièrement attractif pour faire face aux impératifs de coût du secteur ; et comme nous l’avons vu, l’accroissement de la concurrence renforce ces impératifs de coûts.

Dans le même temps, cette concurrence raffermit les exigences des agriculteurs vis-à-vis des salariés, tant du point de vue de la productivité que du point de vue de la qualité du travail.

Or un recours accru à la flexibilité externe via les contrats courts a généralement un effet démobilisateur sur les salariés et conduit souvent à rogner sur les compétences des travailleurs embauchés.

Ce phénomène est d’autant plus vrai que le réservoir de population dans lequel les agriculteurs recrutaient précédemment (famille, population rurale) semble se tarir.

Ce « délitement de l’espace professionnel domestique » peut conduire les agriculteurs à recruter leur main d’œuvre dans des populations moins proches, familialement ou géographiquement, et dont les caractéristiques sont moins en adéquation avec leurs attentes (population urbaine…) [Lamanthe, 2005].

Désormais, la relation liant les travailleurs saisonniers aux exploitants agricoles ne s’inscrit pas forcément dans la durée. D’après une étude menée en 1998 sur les trajectoires des salariés agricoles [Tahar et al., 1998], deux tiers d’entre eux passent par le travail saisonnier de manière transitoire (un à deux ans) avant de quitter définitivement le secteur agricole.

Enfin, près de 90% du total des emplois saisonniers ne sont pas renouvelés [MSA, 2004]. La flexibilité externe que les agriculteurs peuvent désormais mobiliser à moindre coût semble difficilement compatible avec l’accumulation de compétences par le salarié et avec son engagement dans le travail.

Elle est donc difficilement conciliable avec les exigences grandissantes en termes productivité, de qualité et de qualification.

Dans ce contexte, nous nous interrogeons sur la forme de flexibilité apportée par le contrat OMI afin de mieux comprendre le renouveau de ce type de contrat.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement - Centre International d’Études Supérieures en Sciences Agronomiques (Montpellier SupAgro)
Auteur·trice·s 🎓:
Aurélie DARPEIX

Aurélie DARPEIX
Année de soutenance 📅: École Doctorale d’Économie et Gestion de Montpellier - Thèse présentée et soutenue publiquement pour obtenir le titre de Docteur en Sciences Économiques - le 27 mai 2010
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