Situation professionnelle et familiale – l’avancée en âge

Situation professionnelle et familiale – l’avancée en âge

Partie I – L’avancée en âge, ruptures et continuités dans le mode de vie

La période d’âge 45-60 ans constitue une période intermédiaire entre la jeunesse et la vieillesse. Au cœur de l’âge adulte, les individus sont intégrés socialement. Néanmoins l’avancée en âge est-elle nécessairement synonyme de stabilité ? L’avancée en âge s’accompagne de changements comme le départ des enfants ou les effets du vieillissement. Quels impacts ont alors ces changements dans le mode de vie des individus ?

1. Stabilité et évolutions de la vie professionnelle et familiale

L’avancée en âge pourrait caractériser une vie familiale et professionnelle stable. En effet arrivé à l’âge adulte, l’individu s’intègre professionnellement, il construit également une famille. Socialement intégré, la stabilité pourrait alors caractériser la période de vie de la population étudiée. Cependant, la vie est-elle « un long fleuve tranquille » ?

1.1. Situation professionnelle et familiale

1.1.1. Mise en perspective de la stabilité professionnelle et familiale dans la construction identitaire

L’avancée en âge est une avancée dans la vie, plus précisément dans la construction de la vie professionnelle et familiale. Certains enquêtés connaissent une stabilité professionnelle et ainsi une identité professionnelle bien définie. Comme le rappelle Guy Bajoit dans Le changement social8, l’identité professionnelle est « centrale dans la vie », car l’individu estime être ce à quoi il sert, ce qu’il apporte à la collectivité par ses diplômes et son travail. Face à une flexibilité du travail de plus en plus forte, notamment pendant la période de construction de la vie professionnelle, l’avancée en âge mène donc l’individu vers une stabilité professionnelle, et ainsi une valeur identitaire stable et affirmée. Cette stabilité de l’identité professionnelle s’exprime d’ailleurs par une satisfaction de la situation professionnelle :

« Je suis pharmacienne, précisément assistante dans une officine. J’ai toujours eu une fonction de cadre depuis maintenant 25 ans. Le travail me plaît, le contact avec les clients, l’ensemble est satisfaisant. » (Marie, F, 49 ans, pharmacienne)

8 BAJOIT, G., Le changement social, Paris, Armand Colin, 2003

L’avancée en âge a également établi pour certains une stabilité familiale. Cette stabilité confère à l’individu un lien social fort face à un cercle social de proximité stable. Une forte intégration au sein du cercle familial a d’ailleurs une dimension protectrice pour l’individu :

« Ca fait plus de 30 ans que je suis avec mon mari, j’ai 4 enfants, 4 petits enfants. Pour l’instant ça se passe bien. » (Françoise, F, 55 ans, manutentionnaire en intérim)

L’avancée en âge s’accompagne donc pour certains individus d’une stabilité professionnelle et familiale. Ces deux noyaux de la construction identitaire assignent donc à l’individu une identité stable et bien définie. Cependant, certains enquêtés ont rencontré des ruptures tant professionnelles que familiales.

1.1.2. Des ruptures professionnelles

L’évolution du visage du marché de l’emploi se traduit par une mobilité croissante des travailleurs. Ainsi, le contexte économique favorable aux mutations professionnelles altère la stabilité professionnelle. L’avancée en âge n’est donc pas nécessairement synonyme de stabilité. De cette mobilité s’ensuit une perte de référence à un cercle social défini, et une socialisation constante face à une nécessité de s’intégrer différents espaces de travail et de vie :

« J’ai suivi mon mari dans ses mutations. Donc à chaque fois j’ai dû trouver du travail, et comme toute femme qui suit son mari. Peut-être que si je n’avais pas eu à le suivre j’aurai fait moins de choses et j’aurai plus de stabilité. » (Claudine, F, 60 ans, médiatrice familiale)

On pourrait penser que l’orientation professionnelle est a priori un choix qui se dessine aux alentours de la période d’apprentissage scolaire. Cependant, cette période d’orientation ne constitue que les prémisses de la construction de la vie professionnelle et des rôles sociaux de l’individu.

Certains enquêtés ont vu en effet leur situation professionnelle changer. La reprise des études dans une perspective de changement de métier au cours de différentes périodes de la vie indique bien que l’identité qui s’affirme au cœur de l’activité professionnelle et des rôles qui en découlent, est une construction continue :

« D’abord au départ après mon bac j’étais partie pour faire une licence de lettres et je voulais être enseignante. Donc je pense que ça m’a traversé, enfin pas toute ma vie parce que j’espère qu’elle n’est pas terminée.

J’ai toujours étudié, j’ai toujours fait des formations, et puis j’ai fait cette formation d’assistante sociale et j’ai mené en parallèle ma curiosité intellectuelle, mon goût de la recherche, et en même temps du fait de ma formation d’assistante sociale, tout ce qui est relations aux autres, relations d’aide. » (Claudine, F, 60 ans, médiatrice familiale)

Le changement de métier peut correspondre à une construction identitaire continue où « l’identité pour autrui » et « l’identité pour soi » questionnée par Claude Dubar9 se confrontent. En effet, « l’identité pour autrui » est à la fois imposée et inculquée au travers des attributions d’étiquettes et de statuts comme celui de la profession. L’identité pour soi est celle qui est acceptée et intériorisée à travers le sentiment d’appartenance. Les réorientations professionnelles sont alors pour certains le fait d’une inadéquation entre « l’identité pour autrui » et « l’identité pour soi ».

9 DUBAR, C., La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Ed. Armand Colin, 1998

Ainsi, certains enquêtés ont évolué professionnellement pour se diriger vers une autre carrière, comme c’est le cas d’un enquêté qui après avoir eu une carrière de sportif professionnel international a réorienté sa vie professionnelle vers une carrière moins tourné vers la réussite incarnée dans les médailles, mais vers le partage de sa passion avec les autres. L’avancée en âge est alors une prise de recul sur le parcours professionnelle pour une redéfinition de son identité :

« En 23 ans de carrière sportive j’ai remporté 237 médailles, 117 d’or, 43 d’argent, 77 de bronzes. C’est mes parents qui ont fait le calcul, c’est pas moi ! Mais je me suis aperçu que ce n’était pas ça le plus important.

C’était faire la reconnaissance de ma discipline, ma passion. Actuellement je suis professeur de sport et je suis au ministère des sports depuis 1971 et j’ai des missions. Une mission nationale qui concerne l’insertion voire la réinsertion dans le milieu carcéral. Ensuite j’ai une mission internationale, c’est de former des cadres pour le comité national olympique en Afrique et Outre-mer. Et j’ai une troisième mission où je m’occupe des paralympiques handisport pour la préparation des Jeux Olympiques. » (Jean, H, 58 ans, professeur de sport)

Pour d’autres, ce sont des ruptures familiales comme un divorce qui ont entraîné une évolution au niveau de la situation professionnelle. La nécessité économique pour une enquêtée d’échanger le rôle de mère au foyer pour celui de salarié, est une contrainte qui a opéré une valorisation de soi dans une société où la valeur travail est centrale. Ainsi, certaines ruptures de la vie sociale constituent des éléments déclencheurs d’une redéfinition des rôles sociaux et de l’identité.

La construction identitaire n’est donc pas uniquement un arbitrage individuel, mais il est sous contraintes des ruptures rencontrées dans le parcours de vie :

« Je suis assistante commerciale à mi-temps dans une entreprise qui vend de la vaisselle, particulièrement pour des secteurs grande distribution. […]Je travaille depuis 5 ans. Avant je m’occupais des enfants, j’ai travaillé 2 ans avant d’avoir mes enfants, donc j’ai arrêté de travailler pendant 14 ans. Et là depuis 5 ans je suis assistante commerciale. Il y a eu un divorce et les enfants grandissaient.

J’avais besoin de me trouver une activité pour me valoriser et pour gagner un peu d’argent aussi, pour me remettre dans le coup au niveau professionnel, c’est important. » (Pauline, F, 45 ans, assistante commerciale)

L’évolution professionnelle est aussi pour certains enquêtés un moyen d’échapper à une vie stable et monotone ; à la routine qui peut être angoissante. Pour certains la stabilité professionnelle et été contrée par une évolution du statut, par exemple par le passage du statut de salarié à celui de libéral.

Pour d’autres, l’éviction de la routine constitue davantage une démarche volontaire qui passe par le suivi de formations afin de diversifier ses compétences en vue d’une diversification des missions professionnelles. Ainsi, la stabilité professionnelle peut prendre le sens de monotonie, et constitue pour certains enquêtés une entrave à l’épanouissement personnel. Il apparaît alors que la construction identitaire à travers la profession se remodèle continuellement. Les réorientations professionnelles constituent donc un moyen de ne pas cloisonner sa propre identité :

« Je suis chargée de mission formatrice, accompagnement de public, insertion, accompagnement à l’emploi et projet professionnel. Voilà 15 ans que je fais ce métier-là. Avant j’étais commerçante, et j’ai été quelques années secrétaire. J’avais envie de changements, commerçante j’avais fait le tour. Je trouve que c’est très enrichissant, c’est tout public, les gens m’apportent énormément.

On a affaire à des humains qui ont un parcours qui est toujours intéressant. » (Martine, F, 50 ans, chargée de mission formatrice)

Certains enquêtés ont connu une stabilité professionnelle avant de se retrouver dans une situation précaire. En effet, la flexibilité du travail enraille la stabilité professionnelle, en particulier pour les classes sociales les plus défavorisées et les individus peu diplômés. Ainsi, certains enquêtés sont passé d’un statut de salarié à un statut d’intérimaire, amenant alors une instabilité certaine du mode de vie :

« Je travaille à l’usine, pour l’instant je suis intérimaire. J’étais embauchée, mais là il me reste 5 ans avant d’avoir ma retraite. J’ai toujours travaillé à l’usine. Mais j’ai été embauché plusieurs fois. Mon dernier emploi j’ai travaillé 13 ans dans la même boîte, et puis là je suis en intérim, ça fait 2 ans. La boîte a fermé, et puis j’ai pas trouvé d’autre travail.

Il n’y a pas beaucoup de travail et puis maintenant je suis trop vieille. Alors 1 mois ici, 15 jours là. Là j’ai travaillé une semaine, j’ai travaillé pendant 6 mois dans une autre usine. Là je travaille pour les bébés, je fais les petits pots de bébé. Donc je fais de l’intérim et je pense que je vais rester les 5 ans comme ça parce que personne ne va me prendre à 55 ans ! Donc je finirai comme ça. » (Françoise, F, 55 ans, manutentionnaire en intérim)

Si la stabilité professionnelle rencontrée par certains est source de satisfactions, d’autres ont connu des réorientations professionnelles non seulement du fait de la réalité du marché du travail, mais aussi parce que l’avancée en âge permet un recul sur la vie qui rend compte des inadéquations identitaires.

1.1.3. Des ruptures familiales

L’avancée en âge n’est pas synonyme de stabilité au niveau familial. Certains enquêtés ont rencontré des ruptures familiales comme un divorce. Ce changement constitue un tournant dans la vie des individus. En effet, certains ont changé radicalement de mode de vie à la suite d’un divorce, de par l’arrivée d’un nouveau conjoint, la construction d’une famille recomposée, ou encore le retour à la vie de célibataire.

Le divorce dans le cas d’une mère au foyer se trouvant dans l’obligation de travailler constitue un tournant dans la vie de l’individu. Celui-ci constitue un regain d’autonomie avec une indépendance financière, et une vie sociale qui n’est plus uniquement restreinte à l’entourage familial, mais qui s’est ouverte au monde professionnel. La stabilité familiale n’est donc pas synonyme de bien-être et en dépit de l’avancée en âge qui n’offre pas de mode de vie stable, l’individu doit sans cesse développer des capacités d’adaptation :

« Je profite de la vie beaucoup plus maintenant. Je travaille, j’ai un compagnon formidable, donc vraiment c’est le bonheur maintenant. Avant c’était plutôt des sacrifices pour les enfants, on ne pouvait pas vraiment faire ce qu’on voulait. J’étais femme au foyer donc quand-même à leur service. Donc j’ai l’impression maintenant de vivre ma vie. Donc je vis pleinement, je suis bien.

Je dirai que c’était un mal pour un bien le divorce. Même si j’ai eu beaucoup de satisfactions avant, j’ai jamais été très malheureuse, mais c’est encore mieux maintenant. » (Pauline, F, 45 ans, assistante commerciale)

La période adulte est une période de construction professionnelle et familiale, mais trouver un équilibre entre vie familiale et professionnelle n’est pas choses aisée. Cette période est une période clé de l’intégration au monde professionnelle. Dans une société où la travail est un élément centrale de l’intégration sociale, la carrière peut devenir une priorité au dépend de la famille. Ainsi, certains enquêtés n’ayant pas trouvé cet équilibre entre carrière et vie familiale ont fait l’expérience de ruptures familiales exprimées dans le divorce :

« Je dirais que réussir une carrière sportive c’est bien, mais réussir sa vie c’est autrement plus difficile. Déjà le sport m’a coûté deux divorces. Le premier mariage a duré 11 ans, pas d’enfant. Je ne savais pas que ma première femme ne pouvait pas avoir d’enfant, et ça m’a coûté un divorce. Ensuite je me suis remarié très vite. En fait quand on est sportif de haut niveau, c’est pas facile de concilier carrière et vie de famille. » (Jean, H, 58 ans, professeur de sport)

1.1.4. Une nécessité de développer des capacités d’adaptation

Les ruptures vécues au long du parcours de vie de l’individu nécessitent des capacités d’adaptation au changement. Certains enquêtés ayant vécu un changement de situation professionnelle, ont été confronté à la contrainte du niveau de diplôme.

En effet, pour une mère au foyer se trouvant soudainement dans l’obligation de travailler le manque de diplôme constitue une entrave d’accessibilité à un travail qui puisse satisfaire l’individu. Face aux ruptures, l’individu doit donc reconstruire sous contrainte de ses ressources :

« Ma situation professionnelle me convient très bien. Je suis à mi-temps donc je peux m’occuper de ma vie personnelle et de mes enfants, je peux concilier les deux en fait. Donc ça c’est un luxe ! Et puis au niveau financier ça se passe bien. C’est vrai que mon travail pourrait être plus passionnant mais comme je n’ai pas fait beaucoup d’études, j’ai que le bac, je me contente de ça. J’y trouve quand-même un intérêt et beaucoup de contacts au niveau de la clientèle. Donc ça c’est assez intéressant quand-même. » (Pauline, F, 45 ans, assistante commerciale)

Pour d’autres, la précarisation de leur emploi entraîne un changement de mode de vie caractérisé par une forte instabilité des horaires de travail comme de l’espace de travail. Il s’agit alors de développer des capacités d’adaptation à mode de vie marqué par l’instabilité et planifié à court terme :

« C’est chiant parce que tu ne sais jamais quand tu as du boulot. Aujourd’hui tu en as, demain t’en n’as pas, ensuite t’auras pour 3 semaines ou pour une journée. C’est pas évident quoi ! Il faut aimer, mais moi ça ne me plait pas. Je préfère être embauchée définitivement, tu sais ce qui tu as à faire. Là tu ne peux pas prévoir quoi que ce soit. » Françoise, F, 55 ans, manutentionnaire en intérim)

L’avancée en âge constitue une contrainte dans le monde du travail. En effet, pour les enquêtés ayant vécu une rupture professionnelle l’avancée en âge constitue une discrimination à l’embauche. D’une part à l’approche de la retraite, certains sont considérés comme de mauvais investissements puisque l’individu quinquagénaire est un salarié qu’il faudra remplacer d’ici quelques années.

Par ailleurs dans les représentations, le quinquagénaire est un individu obsolète pour le travail, moins dynamique que les jeunes entrant sur le marché du travail. L’arrivée des signes de vieillissement ayant des répercussions physiques est susceptible d’entraîner des arrêts de travail, en particulier pour les classes ouvrières qui sont marquées par la pénibilité physique du travail. L’avancée en âge est donc discriminante pour la réintégration professionnelle après une rupture :

« On ne va pas m’embaucher à 55 ans ! Les jeunes oui, c’est plus intéressant pour eux. Quoique je n’en sais rien parce que les jeunes s’arrêtent pour les bébés, mais ça fait partie de la vie, c’est normal.

Mais moi à 55 ans, ils ne vont pas m’embaucher, je pense qu’ils doivent avoir trop de charges à payer. Je continuerais comme ça en intérim, si j’arrive à trouver. Parce que c’est pas évident. » (Françoise, F, 55 ans, manutentionnaire en intérim)

En définitive, l’avancée en âge ne s’accompagne pas nécessairement d’une stabilité professionnelle et familiale. Les ruptures entraînent la nécessité de développer des capacités d’adaptation car celles-ci n’ayant pas été planifiées, les perspectives de reconstruction sont sous contraintes des ressources des individus. L’avancée en âge est un élément amplificateur de ces contraintes car l’âge peut être discriminant, et le poids des habitudes au fil de l’âge rend les ruptures plus rudes.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les 45-60 ans : âges de transition
Université 🏫: Université Paris Descartes - Faculté des Sciences Humaines et Sociales Sorbonne
Auteur·trice·s 🎓:
Charlotte Feuillafée

Charlotte Feuillafée
Année de soutenance 📅: Master 2, Magistère de sciences sociales appliquées à l’interculturel - Juin 2008
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